Montréal, 21 décembre 2002  /  No 116  
 
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Christian Michel est propriétaire du site Liberalia.
 
PHILOSOPHIE LIBERTARIENNE
 
GENÈVE ET SA LEÇON DE MORALE
 
par Christian Michel
 
 
          Les valeurs, c'est tout ce à quoi on tient. La santé, une relation amoureuse, une belle voiture, un bon travail, l'amitié, un chien fidèle, la culture transmise par les ancêtres... sont des valeurs largement partagées, mais pas nécessairement dans cet ordre. La morale intervient pour hiérarchiser ces valeurs. Elle nous enseigne, par exemple, que si l'argent est estimable, l'honnêteté l'est plus encore, et que nous ne saurions acquérir de l'argent malhonnêtement. Une juste échelle de valeurs nous met en harmonie avec nous-même et avec notre environnement. Elle conduit à une vie fructueuse. C'est la fonction de toute morale.
 
La loi naturelle 
  
          En revanche, une échelle de valeurs inversée engendre des conflits, soit avec la société, dans le cas d'un comportement violent et prédateur, soit, plus fréquemment, avec soi-même. En effet, l'incapacité de trancher clairement entre deux valeurs qui s'opposent dans la pratique (la vie de famille et la réussite professionnelle, la fidélité conjugale et les amours furtives, la rigueur budgétaire et la surconsommation) est cause de stress, de mauvaise conscience et de dissipation d'énergie.  
  
          L'instinct guide les animaux vers une juste insertion dans leur environnement. Les êtres humains doivent la découvrir par la raison. La morale n'est donc nullement affaire de conventions. Ses lois sont à découvrir comme celles du monde physique. Elles paraissent arbitraires parce que des sociétés ont fait d'autres choix que les nôtres. C'est oublier que cette diversité ne reflète que les essais et erreurs de toute science. Il appartient à la raison de les analyser et d'en tirer ses connaissances.  
  
          Les Grecs croyaient que la nature de certains êtres humains les vouait à l'esclavage, mais ils croyaient aussi que la terre était plate, coiffée d'une coupole mouchetée de luminaires. Ces explications ne sont pas absurdes. Seulement celles de l'astrophysique et du libéralisme conduisent à bien plus d'efficacité dans notre action sur la nature et nos relations sociales (une théorie de la terre plate ne rend pas compte de l'activité des compagnies aériennes, les esclaves sont généralement peu créatifs et motivés). En fait, la connaissance des comportements moraux est prédictive. Elle est donc scientifiquement fondée.  
  
Où conduit l'ignorance de la loi naturelle 
  
          La gestion d'une société humaine à l'échelle d'un pays, d'une entreprise ou d'une ville est guidée aussi par des valeurs morales. Cette société prospère à mesure que sa morale réduit la violence, c'est-à-dire essentiellement celle des relations politiques, mais également lorsqu'elle elle hiérarchise suffisamment ses valeurs pour éviter les conflits entre elles. Les philosophes et les sociologues appellent trompeusement « tensions » les incompatibilités radicales de choix, comme, par exemple, celui entre l'égalité des conditions et la liberté.  
  
          Comme aux êtres humains individuellement, l'incapacité de choisir clairement entre ses valeurs cause à toute société des frictions, qui se traduisent par des coûts sociaux et un gaspillage de ressources. Un bel exemple d'incohérence dans les choix collectifs, que je cite souvent pour le connaître un peu, est celui de la Ville et du Canton de Genève. Aiguillonnés par les activistes roses-verts-voleurs, les édiles ont mis en place depuis 25 ans une politique d'urbanisation de faible densité, maintenant de larges zones agricoles, privilégiant le lotissement de villas.  
  
     « Alors que chaque individu est obligé de supporter le coût financier et psychologique de ses conflits de valeurs, le politicien a le pouvoir de les faire retomber sur ses concitoyens. Faire payer par d'autres le coût de ses préférences est le but et la fonction même de toute politique.»
 
          D'un côté, les politiciens spolient les agriculteurs de la valeur de leur terres devenues inconstructibles; de l'autre, ils obligent les contribuables à subventionner leur production, et du même coup, ils privent les paysans les plus pauvres du Tiers Monde de vendre aux consommateurs les plus riches de Genève. Pourquoi pas? Pour celui qui n'a pas ces scrupules, vivre entouré de jardinets et de champs de patates paraît préférable à la cohabitation en grands ensembles.  
  
          Mais en même temps, Ô incohérence, ces mêmes autorités, si soucieuses du bien-être de leurs administrés, décident le quasi bannissement des voitures privées en ville. Les Américains, qui apprécient fort l'urbanisme pavillonnaire, savent qu'il est incompatible avec les transports en commun. La raison en est simple: dans une ville, chaque arrêt de bus dessert des dizaines d'immeubles où habitent et travaillent des milliers de personnes. Dans une banlieue, un arrêt de bus est à l'usage de quelques familles. Ou bien, entre les villas, les bus circulent fréquemment, mais vides et à grands frais; ou bien ils sont rares et incommodes. 
  
          Je ne suis pas fanatique de la bagnole. Habitant Londres, je n'en possède pas, et si l'on m'en offrait une, je la vendrais aussitôt. Mais dans cette capitale, que l'on brocarde pour la vétusté de ses transports en commun, je me déplace bien plus vite, plus confortablement, sur de plus longues distances, qu'à Genève. Si je devais retourner dans la ville rose-verte-voleuse du bout du lac, je rachèterais une auto. 
  
Incohérence du pouvoir politique 
  
          Pour ajouter à leur inconséquence, les politiciens genevois s'émeuvent du trafic pendulaire, qui jette les employés matin et soir dans des bus bondés, puis dans le même souffle, ils imposent la fermeture de tous les commerces à 18h30. En d'autres termes, ils contraignent toute une population à quitter à la même heure le centre-ville, provoquant eux-mêmes le phénomène qu'ils déplorent. Des commerces qui ouvriraient aux heures convenues entre les employés et les gérants, y compris la nuit et le dimanche, étaleraient les heures de pointe. Enfin, si un Genevois veut aider ses concitoyens à ne pas sortir leur voiture en leur offrant un service de taxi bon marché, les édiles le lui interdisent. Le nombre de taxis et le prix des courses est imposé.  
  
          À travers cet exemple de la gestion d'une ville, on peut saisir le sens et la fonction de toute activité politique. Alors que chaque individu est obligé de supporter le coût financier et psychologique de ses conflits de valeurs, le politicien a le pouvoir de les faire retomber sur ses concitoyens. Faire payer par d'autres le coût de ses préférences est le but et la fonction même de toute politique. C'est en ce sens qu'elle viole nécessairement les valeurs morales. La morale n'est rien d'autre que la somme de nos connaissances des lois de l'efficacité à long terme.  
  
          Par efficacité, il faut entendre tous ces comportements qui nous évitent les frictions, les conflits, les gaspillages, et nous mènent vers plus d'harmonie en nous-mêmes et avec notre environnement. Or la politique est toujours au bout du compte policière. Elle est après tout un effort pour légitimer la violence. Au cours des âges, la raison et l'expérience nous ont fait découvrir les lois de la nature et de la morale. Elles heurtent bien des préjugés et des intérêts à court terme. C'est pourquoi chaque nouvelle avancée de la connaissance s'est toujours confronté au pouvoir en place. De l'esclavage au servage au collectivisme, l'activité politique, aujourd'hui encore, est le combat opiniâtre, réactionnaire et obscurantiste contre toute nouvelle connaissance scientifique et morale. 
 
 
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