Montréal, 21 décembre 2002  /  No 116  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval, à Québec.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
LES LIBERTÉS S'EFFRITENT AUX ÉTATS-UNIS
 
par Carl-Stéphane Huot
  
     « La guerre est une poursuite de l'activité politique par d'autres moyens. »
 
– Carl von Clausewitz, général et théoricien militaire allemand
  
  
          J'aurais pu intituler cette chronique « Les terroristes du 11 septembre doivent s'en tordre les côtes de rire », ç'aurait été la même chose. Dans son obsession à contrer les actes terroristes sur son territoire, le gouvernement américain atteint en effet des sommets dans la violation de la vie privée des gens, et des abîmes dans le ridicule.
 
          Le gouvernement Bush va de l'avant avec son super ministère de la Sécurité intérieure, de même que la mise en place de systèmes ultra perfectionnés qui lui permettront d'espionner qui bon lui semble, peu importe où sur la planète. En effet, un article publié dans le New York Times le 23 novembre dernier et repris par Le Soleil de Québec une semaine plus tard fait état du développement par le Pentagone d'un nouvel outil informatique permettant au gouvernement américain de procéder sans mandat à toutes les fouilles des systèmes informatiques qu'il jugera nécessaires.  
  
          Il est étrange de voir combien les protestations ont été peu nombreuses, surtout lorsqu'on considère que cela ne réduira que de très peu, sinon pas du tout, le nombre d'attentats qui pourraient être commis aux États-Unis, s'il doit y en avoir d'autres. En plus, la concentration d'informations personnelles dans les mains de fonctionnaires mène trop souvent à des utilisations abusives. Nous n'avons qu'à penser à cette fonctionnaire de la Société d'assurance automobile du Québec, criblée de dettes de jeu, qui a accepté de vendre des renseignements à des groupes criminels, ce qui a mené à la tentative d'attentat contre Michel Auger, un journaliste des affaires criminelles bien connu chez nous. 
  
Sous haute surveillance 
 
          La commission d'attentats n'est, en somme, pas très compliquée. Elle demande certes un minimum de préparation, de formation et de matériel, mais il est possible d'obtenir cela à peu près partout dans le monde, y compris et surtout aux États-Unis. Ce pays, dont le deuxième amendement garantit un accès sans limite aux armes, offre aussi bon nombre de formations sur différents sujets pouvant intéresser des terroristes: entraînement de commando de même que maniement d'armes et d'explosifs par exemple. 
  
          On y trouve aussi de nombreuses milices paramilitaires, dont étaient entre autres issus les individus qui ont attaqué le bâtiment fédéral d'Oklahoma City en avril 1995. L'organisation Al-Qaida ne s'est d'ailleurs pas gênée pour utiliser ces ressources lors des événements entourant l'attentat du World Trade Center. Si nous ajoutons à ce fait que les exécutants n'ont, règle générale, pas à connaître leur objectif avant de passer à l'acte – et donc que la cible désignée d'un attentat n'a pas à sortir d'un très petit cercle d'initiés –, il devient quasiment impossible aux services secrets de savoir ce qui se trame avant l'attentat. 
  
          La surveillance accrue des communications électroniques se heurte aux mêmes contraintes. En effet, il est possible de planifier et d'exécuter un attentat sans faire appel aux communications électroniques, ou en contournant le problème par l'utilisation d'un code banal. Par exemple, en utilisant un forum de discussion Internet, il est possible d'ordonner à un groupe de passer à l'acte en envoyant un message sur un sujet d'actualité contenant un certain nombre de mots clés. Une ou plusieurs annonces classées dans un journal peuvent aussi faire l'affaire, de même qu'une simple lettre ou un appel personnel avec des mots clés. Enfin, l'ordre peut aussi être transmis par messagers, et n'a donc pas besoin des canaux électroniques de communication. 
  
     « Le nombre exact de victimes dans un attentat n'a pas vraiment d'importance. Ce qui importe, c'est de créer l'insécurité et la peur. Et dans des sociétés hyper médiatisées comme les nôtres, c'est extrêmement facile à réaliser. »
 
          D'autres possibilités sont aussi données par l'utilisation de méthodes de chiffrement efficaces, comme celles basées sur les nombres premiers. Le bris de ces codes demande énormément de capacité informatique et avec quelques précautions, il est facile de se prémunir contre l'interception des clés. Il en existe aussi d'autres, basés par exemple sur l'utilisation des numéros de l'annuaire d'une ville. Il devient alors risible de penser qu'un service secret parviendra, grâce à l'écoute électronique, à détecter la préparation d'un attentat et à l'empêcher. 
  
          Les possibilités d'attentats sont en plus illimitées, compte tenu du niveau de technologie dont nous disposons aujourd'hui, mais aussi de la nécessité de déplacer les biens et les personnes sans leur opposer trop de contraintes. Sans trop chercher, je pourrais vous sortir une vingtaine de méthodes, qui, sans nécessairement faire des milliers de victimes, pourraient encore paralyser l'Occident de peur. Certaines d'entre elles pourraient sans problème immobiliser une ville de la taille de New York pour plusieurs mois, peut-être une année. 
  
          Car le nombre exact de victimes dans un attentat n'a pas vraiment d'importance. Ce qui importe, c'est de créer l'insécurité et la peur. Et dans des sociétés hyper médiatisées comme les nôtres, c'est extrêmement facile à réaliser. Ainsi, plusieurs attentats de suite faisant, disons, dix morts et vingt blessés en moyenne pourraient facilement causer une plus grande panique que les événements du 11 septembre. Bien entendu, nos gouvernements, cherchant à créer l'illusion qu'ils nous protègent, se sentiraient obligés d'augmenter encore la sécurité, et pour ce faire, de restreindre nos libertés encore plus.  
  
Éliminer toute forme de liberté 
 
          Le but ultime de groupuscules extrémistes comme Al-Qaida est en effet d'éliminer toute forme de liberté non seulement en Occident, mais aussi, si possible, partout dans le monde. Pour les fondamentalistes religieux, tout écart avec les « principes » qu'ils veulent bien voir dans leur religion est blasphématoire. Nos sociétés nord-américaines et européennes, qui ont délibérément choisi la séparation de l'Église et de l'État et la liberté de conscience comme modus operandi, doivent donc être détruites pour leur hérésie. 
  
          Pourtant l'Islam, à ses débuts, se voulait ouverte aux influences extérieures. Par exemple, le concept d'université est un don de cet Islam. Pendant que l'Europe vivait dans l'obscurantisme religieux, les musulmans faisaient de nombreuses découvertes scientifiques et conservaient les idées de la Grèce antique. Puis, l'intégrisme, né avec le douzième siècle, éteindra ce grand bond en avant. Aujourd'hui, la flamme ne semble toujours pas vouloir se rallumer dans l'esprit des dirigeants moyen-orientaux. 
  
          À l'inverse, nos sociétés ont commencé à vraiment prospérer lorsque les idéologies religieuses ont perdu du terrain, et avec la redécouverte de l'Amérique par Christophe Colomb. Progressivement, malgré une farouche résistance des élites religieuses, nous sommes arrivés où nous sommes présentement. 
  
          De même, l'ancien empire soviétique, qui a stagné pendant plus de 70 ans, commence à sortir de son engourdissement après avoir jeté sa bible marxiste-léniniste par-dessus bord. Nous apprenions en effet récemment que les plus grandes compagnies russes commençaient à chercher des possibilités d'acquisition hors de leurs frontières et que des chercheurs lettons étaient en visite à Québec pour mettre en marchés leurs procédés d'exploitation de la biomasse sous forme d'huiles essentielles. Deux exemples qui me rendent assez optimistes pour les citoyens de l'ancien bloc de l'Est. 
  
          Les États-Unis, et surtout leurs dirigeants, semblent vouloir prendre le chemin inverse et restreindre au maximum les libertés civiles. Et cela moins de deux décennies après une autre administration, celle du président Reagan, qui abhorrait l'« Empire du Mal » soviétique et tout ce qu'il représentait, en particulier l'absence de libertés.  
  
          Le discours actuel de George W. Bush apparaît donc pour le moins tordu. Ces attentats, en démontrant la futilité du concept du « gouvernement qui protège la nation », ont mis les hommes publics dans une drôle de posture. D'un côté la liberté et de l'autre la sécurité absolue. Même si c'est de liberté dont nous avons besoin pour prospérer, nos politiciens semblent privilégier la sécurité. Pour notre plus grand malheur. 
 
 
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