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Montréal, 18 janvier 2003 / No 117 |
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par
Jean-Louis Caccomo
C'est un signe inquiétant de profonde régression intellectuelle et de manipulations des esprits que d'associer racisme et exclusion au fonctionnement de l'économie de marché. Le fondement moral et philosophique du marché est l'individualisme, lequel n'est pas le culte béat de l'égoïsme aveugle, mais implique justement de considérer l'individu en dehors de ses attributs spécifiques que peuvent être la couleur de la peau, l'appartenance à un groupe ethnique, la religion, la catégorie socioprofessionnelle, le statut ou encore le sexe de l'individu. Une société individualiste refuse justement de considérer les individus selon leurs attributs car, avant d'être homme ou femme, paysan ou professeur, noir ou blanc, patron ou ouvrier, nous sommes d'abord tous des individualités. |
À partir du moment où l'on admet la valeur suprême
et irréductible de l'individu – qui ne saurait être dissoute
dans l'appartenance à un groupe et qui ne saurait être réduite
à la somme des attributs spécifiques –, alors une société
juste ne peut être fondée que sur le respect de la liberté
individuelle. Seul l'État de droit est à même de garantir
une telle justice. En ce sens, la justice ne saurait être une justice
des patrons contre les ouvriers, ni une justice au service des syndicats
contre les employeurs. Elle ne saurait être non plus une justice
des hommes contre les femmes. C'est bien le concept fallacieux de Ce sont précisément ceux qui raisonnent en terme de classes, de castes ou de groupes ethniques qui incitent à la lutte des classes, au sexisme et au racisme(1). Ils n'admettent pas et ne conçoivent pas l'autonomie de l'individu et font de l'État l'instrument du pouvoir au profit d'un groupe social. Dans l'analyse marxiste, l'État est l'agent de la dictature du prolétariat. Pour Hitler, l'État national-socialiste était l'instrument d'un nettoyage ethnique qui permit de spolier les juifs. Pour Staline, l'État fut l'instrument du désembourgeoisement de la société qui se traduisit par la déportation des koulaks et la confiscation de leurs biens. D'État de droit en État-providence En considérant l'économie comme le champ d'une lutte entre deux classes – les capitalistes et les prolétaires –, l'analyse marxiste, qui sous-tend toute la pensée de gauche, est une grille idéologique qui conduit immanquablement à transformer l'État de droit en État-providence et la démocratie en social-démocratie. La vision libérale se refuse d'enfermer les individus dans des groupes. L'État a seulement pour fonction de protéger les libertés individuelles de manière à ce que les individus soient libres de s'engager dans des relations contractuelles. Les relations économiques et les agents économiques – comme les entreprises par exemple – naîtront de ces contrats. Considérons par exemple un individu A, cherchant à recruter du personnel, mais qui refuse d'embaucher un autre individu B. Si l'on admet le principe de liberté individuelle, le gouvernement n'a pas à empêcher cette décision et A n'a même pas à se justifier(2). Si, en tant qu'employeur, A estime que le recrutement de B serait nuisible à son entreprise, il est dans son droit le plus strict de ne pas proposer de contrat de travail à B. La liberté des contrats n'est pas l'obligation des contrats: elle implique nécessairement la liberté de choisir. S'il se trouve que B est une femme, on pourrait y voir une forme de discrimination sexiste; s'il se trouve que B appartient à une minorité ethnique, on y verra de la discrimination raciale. Dans une société ouverte et libre, il y a une probabilité non négligeable que B soit une femme ou une personne d'origine étrangère puisque c'est précisément dans une telle société que le marché du travail est ouvert à tous les individus, quels que soient justement leurs attributs. Dans les sociétés traditionnelles, il est rare que les femmes occupent des positions professionnelles(3). Multiplier les mesures de discriminations positives et les quotas est une atteinte à la liberté contractuelle, puisqu'elle revient à réglementer les choix des individus (et donc leurs préférences puisque les choix reflètent nos préférences). Si un individu de race blanche rejette un homme de couleur, cela signifie-t-il que tous les blancs en tant que blanc excluent les noirs en tant que noir? De même, si un homme ne supporte pas une femme, cela revient-il à dire que tous les hommes sont sexistes? Et si un homme préfère au contraire s'entourer de femmes, cela signifie-t-il que tous les hommes sont des machos? Si l'on admet encore une fois le principe individualiste qui reconnaît une autonomie de pensée – une liberté de pensée c'est-à-dire une intimité –, on ne peut réglementer le choix des individus(4) parce que justement le choix de A n'engage que lui-même et non le groupe auquel on pourrait l'identifier de l'extérieur. D'ailleurs, cette identification est toujours problématique, relative et partisane puisqu'on appartient toujours à plusieurs groupes en même temps.
Dans notre exemple, si A est une femme blanche et B un homme noir, B va-t-il invoquer le racisme ou le sexisme? Va-t-on voir dans la décision de A un choix typiquement La généralisation des mesures de discrimination positive est un des avatars du concept fallacieux de justice sociale qui nous vient tout droit des États-Unis. Mais, le Deux poids, deux mesures Peut-on attendre le salut de nos élites quand on entend la militante écologiste Corinne Lepage affirmer La question n'est pas, en effet, de punir quelqu'un parce qu'il est syndicaliste, pauvre, jeune ou riche. La question est de réprimer tout individu qui a violé la loi qu'il soit syndicaliste, jeune, pauvre ou riche; car personne n'est au-dessus des lois, pas même un ministre, un président ou un syndicaliste. Voilà la seule justice qui vaille et il a fallu la Révolution française pour inscrire ce principe dans la constitution. Avant la Révolution française, et en vertu du principe de droit divin, ceux qui faisaient la loi se donnaient aussi le droit de ne pas la respecter. Aujourd'hui, l'État-providence a remplacé la providence en donnant naissance à une nouvelle catégorie d'individus qui pourraient échapper à la loi parce qu'ils seraient syndicaliste, président, pauvre ou non solvable. La notion de On voit bien là que, dans le pays où l'on s'obstine le plus à nier la réalité du fonctionnement de l'économie de marché, la violence se substitue au contrat. Car, il n'y a pas mille façons d'acquérir la richesse: soit par le respect des droits de propriété, autre droit fondamental inscrit dans la constitution que les activités syndicales de M. Bové conduisent à violer sciemment, et qui implique la production et l'échange; soit par la négation de la propriété et de l'échange qui conduit au pillage, à la violence et à la guerre civile larvée. Dans ce contexte, la compétitivité de la France continuera de décliner et tout l'édifice social sur lequel nous avons bâti le modèle français s'écroulera irrémédiablement.
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