Montréal, 1er février 2003  /  No 118  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Mickaël Mithra est Ingénieur et cadre bancaire à Paris. On peut consulter ses autres textes sur hérésie.org
 
OPINION
 
LE PHARE OU LA QUESTION DES 
« BIENS COLLECTIFS »
 
par Mickaël Mithra
  
  
          Si vous lisez l'article sur le libéralisme dans l'Encyclopédie en ligne proposée par Yahoo!, vous y trouverez, entre autres absurdités, mensonges et sophismes, l'argument suivant censé justifier la coercition étatique: 
    Pour qu'une marchandise soit produite dans une économie de marché, il faut qu'elle corresponde à une demande solvable. 
     
    Or, certains biens, qu'on qualifie pour cette raison de collectifs, sont tels que, s'ils sont produits pour un individu d'un groupe, ils sont produits pour tous les individus du même groupe. 
     
    L'exemple le plus connu est celui du phare: dès qu'il est construit, tous les navires de passage peuvent se guider grâce à lui. Comment espérer que le bénéficiaire potentiel paie pour un bien de cette nature (phare, radio ou défense nationale)? 
     
    Aussi un bien collectif risque-t-il de ne jamais apparaître si une contrainte n'oblige les individus à coopérer.
 
          Triste conclusion, vraiment. Toujours ce pessimisme concernant l'être humain: si on le force pas, c'est un bon à rien. Dommage qu'on ait fermé les camps de rééducation... 
  
Un phare verra le jour 
  
          Rappelons tout de suite que dans l'exemple ci-dessus, le phare étant envisagé comme un outil économique, il est impossible d'en déterminer la rentabilité et donc le coût d'opportunité en dehors d'un système de prix (en l'occurrence par la coercition). Comment savoir si ce phare sera réellement utile, et s'il ne vaudrait pas mieux pour tout le monde que les bateaux qui croisent au large prennent un autre chemin ou même renoncent à faire du commerce à proximité? Mystère total. 
  
          De plus, combien de phares faut-il construire? Où? À quel prix? 
Mystère toujours.  
  
          Excusez-moi, j'ai toujours du mal à croire que les hommes de l'État sont omniscients et qu'ils connaissent, eux, la réponse à toutes ces questions... 
  
          Dans une société libre, si un groupe d'individus a intérêt à construire un phare – ce qui veut dire que le phare a de bonnes chances de rapporter plus au groupe que ce qu'il lui coûtera –, ce phare verra le jour, n'ayez aucune inquiétude là-dessus. 
  
          Pour comprendre cela, il suffit de se demander quels seront les bénéficiaires de l'existence du phare, tous les bénéficiaires, et pas seulement les capitaines de bateaux étrangers qui croisent au large. 
  
     « Dans la société libre, on utilise ses méninges et son imagination pour inventer des solutions. Les hommes de l'État n'aiment pas trop ça: en dignes héritiers des hommes des cavernes, ils trouvent qu'il est moins fatigant d'utiliser la force, la contrainte, pour mener à bien leurs projets... »
 
          Réfléchissons ensemble: s'il y a besoin d'un phare, c'est que des bateaux ont besoin de longer la côte. S'ils ont besoin de longer la côte, c'est parce qu'ils se rendent vers une ou plusieurs destinations bien identifiées, et que le fait de longer la côte leur apporte un avantage par rapport à un autre itinéraire. Par exemple, ce sont des transporteurs de conteneurs ou des chalutiers qui se rendent dans un port voisin pour y échanger leurs marchandises ou vendre leur poisson à la criée.  
  
          Or, le brave Dumarin, propriétaire du port en question (ou de la halle à poisson), réfléchit (lui aussi! Décidément, il n'y a que les hommes de l'État qui ne le font pas...) et se dit: 
              « Si je construis un phare, il y aura deux, trois, ou dix fois plus de bateaux qui voudront venir dans mon port vendre leur marchandise, parce que ce sera beaucoup moins dangereux pour eux, donc moins coûteux. Je vais donc construire un phare et en répercuter le coût sous forme, par exemple, d'un droit d'entrée dans mon port. Je vais aller en parler à mon banquier. »
          Son meilleur ami, Dumarant, à qui il parle du projet, lui dit: 
              « Bonne idée, si tu construis ce phare, il y aura plus d'activités dans la ville. La population augmentera en conséquence. Tu vas donner du travail à des tas de gens par la même occasion. En outre, avant, il y avait une falaise déserte, désormais il y aura des promeneurs qui voudront bien acheter un billet pour visiter ton phare. Raison de plus pour le construire. Et j'y pense: pourquoi ne pas mettre une antenne émettrice de télévision en haut de ton phare? C'est une source de profit à étudier. Si tu veux, on s'associe. » 
          Vous avez compris? Alors un petit test: maintenant, à vous d'imaginer une autre exploitation possible du phare! Eh oui, dans la société libre, on utilise ses méninges et son imagination pour inventer des solutions. Les hommes de l'État n'aiment pas trop ça: en dignes héritiers des hommes des cavernes, ils trouvent qu'il est moins fatiguant d'utiliser la force, la contrainte, pour mener à bien leurs projets... Bien sûr, les incontournables égalitaristes diront: « oui, mais certains bateaux croiseront au large sans aller dans le port, certains touristes admireront le phare de l'extérieur mais n'achèteront pas de billet! C'est injuste. » 
  
          Alors, Dumarin, bonhomme: 
              « Et puis? Mon phare me rapporte, il bénéficie aux clients de mon port et aux habitants de la ville. S'il est utile même à de lointains étrangers, comment pourrais-je m'en plaindre? J'en suis ravi, au contraire. » 
          Car Dumarin est humaniste, c'est-à-dire libéral: il se réjouit toujours du bonheur d'autrui. 
  
          Encore une objection, votre honneur. Et si le trafic n'augmente pas vraiment et que les touristes ne sont pas intéressés par la visite du phare? Eh bien, c'est peut-être tout simplement que le phare n'est pas si utile que cela et que la falaise serait aussi belle sans lui... 
  
          La morale de cette histoire est que les « biens collectifs » n'existent pas, tout simplement, et qu'ils sont un prétexte fallacieux à l'existence de l'État. 
  
          Au fait, la bombe atomique... c'est un bien collectif, n'est-ce-pas? Heureusement que les États forcent leurs sujets à la financer (via l'impôt), parce que sinon, il n'y en aurait sans doute pas une seule sur Terre. Ouf! on l'a échappé belle. 
 
 
Note: L'idée selon laquelle les phares ne peuvent exister sans la coercition étatique est d'ailleurs historiquement inexacte. Dans un article (« The Lighthouse in Economics ») paru en 1974 dans le Journal of Law and Economics et reproduit dans son livre The Firm, the Market and the Law, l'économiste Ronald Coase (Prix Nobel 1991) a montré comment, contrairement au préjugé largement répandu, les phares ont été à l'origine construits, financés et gérés par des particuliers. En 1820, 75% des phares britanniques étaient privés. Le rôle de l'État se bornait à faire respecter les droits de propriété sur ces phares.
 
Ce n'est que vers le milieu du XIXe siècle que le gouvernement (en l'occurrence britannique) a regroupé tous les phares sous son propre monopole afin de profiter de cette manne financière développée par les entrepreneurs privés. C'est la raison pour laquelle l'Independent Institutethink tank libertarien américain – a choisi comme logo le phare, érigé pour l'occasion en symbole de l'initiative privée. Malgré l'évidence historique et logique, certains économistes (comme Joseph Stiglitz) persistent à présenter le phare comme l'archétype du bien public impossible à produire sans la coercition étatique.
 
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO