|
|
Montréal, 15 février 2003 / No 119 |
|
par
François-René Rideau
J'ai entendu dire à maintes reprises, et par la voix de personnes les plus diverses, dont certaines se veulent sérieuses, que la guerre à venir en Irak serait pour les Américains un prétexte pour s'emparer du pétrole irakien. Un raisonnement simple suffit à démontrer l'absurdité de cette affirmation; malheureusement, ces personnes sont plus promptes à rejeter les principes de la raison que les croyances qu'elles affichent. Aussi, quelques calculs élémentaires permettront tout d'abord d'établir la vérité. |
Un
peu d'arithmétique
Pour commencer, acceptons un instant le point de vue macroéconomique des accusateurs du gouvernement américain. Faisons donc une analyse coûts/bénéfices de l'opération militaire, en prenant des chiffres trouvés grâce à un usage judicieux de Google:
Le principe guerrier contre le principe marchand Il n'y a clairement aucun profit macroéconomique pour l'Amérique à attaquer l'Irak pour son pétrole. Cependant, cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas des profiteurs qui s'enrichiront aux dépens des Américains autant que des Irakiens: entre les marchands d'armes et autres fournisseurs de l'armée, les hauts fonctionnaires qui géreront les prises de guerres, les leaders d'opinion relais du pouvoir, nombreux sont ceux qui s'empareront d'une partie des bénéfices de l'action gouvernementale. Sans parler des hommes politiques qui vivent précisément par goût du pouvoir, et dont le pouvoir n'est jamais si grand qu'en temps de guerre. Bref, il existe aux États-Unis une classe minoritaire mais très puissante de personnes qui elles ont intérêt à la guerre. Toutefois, de telles considérations impliquent que l'on doive cesser d'identifier les États aux nations, que l'on distingue les intérêts des individus variés qui participent à divers degrés aux décisions politiques. Avant de pouvoir critiquer les motivations derrière l'attitude guerrière du gouvernement américain, il faut abandonner le point de vue collectiviste, et adopter un point de vue individualiste(9). Alors seulement pourra-t-on voir comment les intérêts des uns peuvent prévaloir malgré qu'ils soient opposés au bien commun. Déjà en 1790, Tom Paine remarquait que les guerres étaient faites non pas pour le bénéfice des nations, mais pour accroître le pouvoir que les dirigeants politiques avaient sur les citoyens(10). Frédéric Bastiat en 1845(11) a bien décrit et chiffré cette divergence d'intérêt entre une classe dirigeante, vivant par son pouvoir politique, de la guerre et de la spoliation, et le peuple, vivant par son activité économique, du commerce et du bénéfice mutuel. Pour paraphraser Frank Chodorov, il existe deux façons de s'enrichir. La première, c'est la façon économique, celle non seulement des industriels et des marchands, mais de tous les individus qui composent le peuple: elle consiste à échanger librement les fruits de son travail, à s'enrichir par la création, et à créer plus et mieux par la division et la spécialisation du travail que permet l'échange commercial, dont le caractère volontaire est garant du bénéfice mutuel de l'opération. La deuxième façon de s'enrichir, c'est la façon politique, celle des gouvernants et des voleurs, des bandits et escrocs légaux ou illégaux qui consiste à s'emparer par ruse et par force des fruits du travail d'autrui. Cette façon de s'enrichir par la spoliation divise la société en deux classes, celle des créateurs, spoliés, et celle des parasitent, qui spolient. Entre ces deux principes de création et de destruction, il y a une opposition irrémédiable. Les États-Unis ont beau être un pays parmi les plus libres du monde, où le poids relatif de l'État est parmi les plus faibles, et où cet État est de plus éclaté et soumis morceau par morceau à la sanction des urnes, l'État n'y repose pas moins qu'ailleurs sur le principe de la politique, et ce principe attire tous les aspirants parasites possibles, à la mesure même des sommes que ces aspirants parasites projettent de gagner aux frais du contribuable impuissant. Ainsi, le budget de défense fédéral s'élèvera bientôt à 400 milliards de dollars dont 120 milliards iront aux industries d'armement(12).
Toutes ces personnes, politiciens, militaires, fournisseurs grassement payés de l'État, protectionnistes parmi le syndicats ou du patronat, et autres lobbyistes de tout poil qui privatisent sous forme de privilèges légaux les bénéfices du pouvoir politique, eux tous ont intérêt à la croissance du pouvoir politique. Eux tous qui vivent de la spoliation légale, du principe politique, du principe guerrier. Eux tous ont intérêt à ce que le peuple accepte de s'en remettre toujours davantage à l'État (donc à eux) pour régler toujours davantage de problèmes (qu'ils créeront au besoin). Le peuple lui, qui vit du principe économique, du principe marchand, a intérêt à ce qu'il y ait la paix, à ce qu'il n'y ait pas de guerre, pas de problèmes, pas d'impôts pour régler ces problèmes, et surtout, pas d'impôts pour créer ces problèmes. Fausses et vraies motivations américaines Nous avons donc vu que les Américains, en tant que collectivité, n'ont aucun intérêt économique à la guerre, contrairement à la classe politique, qui elle y a tout intérêt. Les slogans simplistes des collectivistes sont incapables de rendre compte de cette réalité; a fortiori, les collectivistes sont incapables de comprendre les diverses motivations des Américains dans les événements actuels. En fait, les collectivistes ne comprennent rien à l'âme humaine. La majorité des Américains sont plutôt favorables à la guerre. Nous avons vu que cela n'était certes pas dû à un calcul économique, car de ce point de vue, la guerre leur coûte bien plus qu'elle ne leur rapporte. C'est bien par souci de leur propre sécurité, et par le sentiment du devoir de débarrasser le monde d'un dictateur sanguinaire de plus, qu'ils sont motivés. C'est pour cela qu'ils sont favorables à des actions militaires partout où cela permettra d'éviter que le terrorisme s'abatte à nouveau chez eux, en dehors de tout bénéfice matériel direct, comme ce fut le cas en Afghanistan dernièrement. Certes, le gouvernement fédéral et la classe politique américaine ont, eux, unanimement intérêt à ce qu'il y ait une guerre; mais contrairement à ce qu'il se passe dans d'autres pays, cet intérêt ne peut leur suffire à imposer la guerre. Le régime républicain du pays empêche que la guerre se fasse sans au moins l'approbation passive d'une majorité conséquente des citoyens. Les politiciens, intéressés, peuvent bien sûr tromper le public, et il ne fait pas de doute que dans une certaine mesure, ils manipulent l'opinion publique, pour exagérer les avantages d'une guerre du point de vue politique, minimiser ses désavantages du point de vue économique, mais surtout, pour réduire le champ des possibles(13), et faire de la guerre un moindre mal parmi les alternatives restantes. Toutefois, même le gouvernement américain, aussi puissant et organisé soit-il, est loin d'être omnipotent face à la société civile américaine. Bush peut bien exagérer des éléments existants, il peut beaucoup plus difficilement les créer à partir de rien, et encore moins aller contre l'évidence. Pour ce qui est des avantages politiques de la guerre, il est clair qu'en intervenant en Irak, les États-Unis débarrasseront l'Irak et la terre d'un infâme dictateur de la pire espèce. Que de plus, ledit dictateur ait financé et soit prêt à financer, par vengeance personnelle, des actes terroristes contre les Américains, cela n'a rien pour choquer l'entendement – et vrai ou faux, il n'y a pas de doute que la plupart des Américains croient sincèrement leurs gouvernants élus quand ceux-ci l'affirment. Il est une autre fausse motivation que l'on prête parfois aux Américains, et qui n'est qu'une variante plus absurde encore de l'affirmation selon laquelle ils feraient la guerre pour des raisons économiques. Les mêmes qui croient voir un avantage macroéconomique à la guerre prétendront que cette guerre créera des emplois: Peut-on créer des emplois par la destruction? Allons donc! Derrière chaque emploi créé qu'on voit, il y a pour le financer les impôts prélevés par l'État, qui correspondent à autant d'emplois perdus qu'on ne voit pas(14). Présenter comme création ce qui n'est que déplacement pour le pire, faire passer les moyens (le travail) avant la fin (les satisfactions), prétendre que les lois de l'économie s'inversent à l'échelle des nations – telles sont les sophismes à la base de toutes interventions politiques dans l'économie. Encore une fois, la En fait, pour qui sait faire la différence entre création et déplacement, il est parfaitement clair que le déplacement massif de ressources d'activités pacifiques créatrices vers des activités belliqueuses destructrices (destructrices y compris de la mère de toutes les richesses: la vie humaine), ne peut absolument pas résulter en un bilan Réagir contre la bêtise L'affirmation selon laquelle Cet état d'ignorance, et pire, d'abrutissement, me semble bien plus préoccupant que la dictature de Saddam Hussein et que la guerre que projette le gouvernement américain à l'encontre de ce dernier. Car cet abrutissement, bien plus que cette dictature et cette guerre, est porteur de malheurs – de dictatures sans cesse renaissantes, de guerres sans cesse renouvelées. Cet abrutissement est le ferment même de l'oppression politique, c'est lui qui mène à la servitude volontaire, ce consentement apathique aux tyrans. Ceux qui propagent et amplifient cet abrutissement sont les véritables destructeurs de la liberté.
|
<< retour au sommaire |
|