Les hommes de l'État savent interdire, mais il faut croire que leurs
capacités s'arrêtent là, car pour ce qui est de trouver
des prétextes, ils sont désolants: « crime
contre l'espèce humaine ». Il suffit d'une seconde
de réflexion pour s'apercevoir que cette expression ne veut absolument
rien dire. Un crime est dirigé contre quelqu'un, on peut en mesurer
le préjudice. La victime ou ses ayants droits peuvent demander réparation
au criminel (quand ils n'en sont pas empêchés par les hommes
de l'État, qui créent volontairement une pénurie judiciaire
en monopolisant par la violence les tribunaux et la production du droit).
Mais que peut signifier un « crime contre l'espèce
humaine ». Qui est visé par ce genre de crime?
Vous? Moi? Sommes-nous agressés? Volés? Mutilés? Au
nom de quoi demanderions-nous réparation, et pour quel préjudice?
Si ce n'est ni vous ni moi qui sommes agressés par ce «
crime », alors qui est-ce? Personne? Mais comment l'«
espèce humaine » peut-elle bien être visée si
aucun de ses membres ne l'est?
Peut-être faut-il entendre par « espèce humaine
», non pas l'ensemble des êtres humains vivant sur terre,
mais l'ensemble des caractéristiques communes à ces êtres
humains. Mais quelles peuvent bien être ces caractéristiques?
La rationalité (à condition de faire abstraction des hommes
de l'État dans notre analyse, je suppose)? Le clonage serait donc
un crime contre l'« espèce humaine »,
en tant que crime contre un ses attributs, par exemple la raison? Mais
l'astrologie, le socialisme et la démocratie ne sont-ils pas alors
aussi des crimes contre la raison? Faut-il punir les démocrates,
les socialistes et les astrologues de « 20 ans de prison
et de 7,5 millions d'euros d'amende »?
Ou peut-être que l'« espèce humaine »
se caractérise par la sociabilité de ses membres, leur curiosité,
ou que sais-je encore? Le clonage serait alors d'abord un crime contre
la sociabilité, ou contre la curiosité, ou contre tout autre
attribut, vrai ou supposé, de l'« espèce humaine
»? Non, vraiment, ces considérations abstraites et
presque absurdes ne mènent nulle part. Bref, ce fameux «
crime » a encore moins de sens si l'on entend par «
espèce humaine » un ensemble de caractéristiques
abstraites plutôt que l'ensemble bien réel des êtres
humains.
Mais s'il s'agit effectivement de l'ensemble des êtres humains, on
ne voit toujours pas lesquels sont concernés, lesquels
sont lésés. Le clone lui-même, peut-être? Comment
le sait-on? Aucun clone ne s'est encore plaint, que je sache. De toute
façon, de quoi pourrait-il bien se plaindre? D'exister? Mais libre
à lui de mettre fin à ses jours: il existe pour cela des
méthodes complètement indolores (à condition, évidemment,
que les brutes de l'État ne l'en empêchent pas). Pourrait-il
se plaindre de vieillir trop vite, alors? C'est-à-dire d'un manque
par rapport à ce qu'il aurait « pu être
». Mais précisément, il ne pouvait être
rien d'autre que ce qu'il est, sauf à ne pas exister du tout, ce
qui nous ramène à l'argument précédent.
On ne peut jamais considérer la vie comme un préjudice en
soi, puisque précisément la vie est la condition préalable
à tout préjudice.
Caducité
des arguments « anti-clonage »
Mais analysons plus avant les arguments de ceux qui sont favorables à
l'interdiction légale du clonage (i.e. sous menace de violences,
ne l'oublions pas): le clone serait, selon certains, un esclave, puisqu'il
aurait été produit non pour lui, mais pour d'autres. Ainsi,
une fois adulte, on lui prendrait ses organes pour les greffer sur son
« parent ». Lamentable, non?
Mais cette pratique-là s'appelle meurtre, ou mutilation, ou encore
esclavage. Elle constitue tout simplement une violation des droits de propriété
sur soi-même. Prendre les organes d'un clone (sans son consentement)
ou de n'importe qui d'autre est exactement aussi grave. Réduire
en esclavage un clone ou des enfants « normaux »
constitue une atteinte identique au droit de propriété sur
son propre corps. Le clonage n'a rien à voir là-dedans.
Selon d'autres, le clonage serait « anti-naturel ».
Sur ce point, je mets au défit quiconque de formuler une définition
d'« anti-naturel » qui ne s'applique pas également
à l'essentiel des procédés industriels, médicaux
et pharmaceutiques qui ont simplement permis à la plupart de nos
ancêtres de survivre, et donc à nous-mêmes de naître.
Nous avons une dette énorme envers ce qui a toujours été
considéré comme « anti-naturel ».
Il serait temps de s'en rendre compte et d'en parler avec modération
et j'ose dire, si cela a un sens, avec respect. Pour ne prendre que cet
exemple, ce ne sont pas des procédés « naturels
» qui permettront aux centaines de millions d'hommes et de
femmes actuellement sous-alimentés de survivre. Et ce n'est pas
par la destruction brutale et bruyante des champs d'OGM « anti-naturels
» que nous allons les y aider.
En fait, ce terme d'« anti-naturel » n'a fondamentalement
pas de sens, malgré l'intuition qu'on peut en avoir, mais qui n'est
rien d'autre qu'une série de préjugés et de confusions.
Plutôt que de s'enfermer dans des considérations métaphysiques
inextricables censées distinguer ce qui est « naturel
» de ce qui ne l'est pas, il faudrait tout simplement comprendre
que ce qui est « anti-naturel », ce qui viole
les lois de la nature, ne peut pas exister, par définition. Le clonage,
s'il est possible, est évidemment naturel. Ce qui ne veut pas dire
qu'il soit moral.
Les
« crimes » sans victime
Nous avons vu que la principale contradiction de ce prétendu «
crime contre l'espèce humaine » est qu'il
ne fait pas de victimes. Hors si l'on admet l'existence de «
crimes sans victimes », de « crimes
» contre des entités abstraites ou imaginaires, comment
distinguer ce qui est criminel de ce qui ne l'est pas? Le blasphème
n'est-il pas un « crime contre le monothéisme
»? Pourquoi pas, si le critère n'est pas l'agression
contre des personnes bien définies ou leur propriété?
Et pourquoi pas le « crime contre la santé
» commis par des fumeurs même enfermés chez eux,
ou le « crime contre la démocratie »
commis par les abstentionnistes? Les prétendus « crimes
sans victimes » ont mené à l'enfermement
et à l'extermination de trop de gens pour qu'on ne s'en méfie
pas comme de la peste.
De plus, comment estimer le montant des réparations que devraient
les soi-disant « criminels »? 7,5 millions d'euros,
nous dit-on. Mais d'où sort ce montant? Pourquoi pas le double,
la moitié, ou un franc symbolique? De plus, à qui doit-il
être versé et en compensation de quoi? Bien sûr, vous
l'avez deviné: aux hommes de l'État eux-mêmes, en compensation,
je suppose, de la peine qu'il ne se sont pas donnée de travailler
pour vivre, comme tout le monde. Vous avez bien lu: les « criminels
» devront donner 7,5 millions d'euros aux hommes de l'État.
En quoi l'« espèce humaine »
est-elle indemnisée pour ce « crime »?
De même pour la peine de prison: pourquoi 20 ans(1)?
Mais le plus grave, c'est que si le « criminel »
est insolvable, alors pendant ces 20 ans, il sera nourri et logé
aux frais de qui? De vous, de moi, c'est-à-dire à n'en pas
douter, de l'« espèce humaine ».
Résumons-nous: un soi-disant « criminel »
a commis un « crime contre l'espèce humaine
» qui n'a fait aucune victime. Contre toute attente, c'est
l'« espèce humaine » elle-même
qui devra pendant 20 ans l'entretenir sous peine de sanctions, à
moins que le montant de l'amende effectivement payée ne couvre les
frais de l'emprisonnement. Le surplus éventuel sera alors encaissé
par les hommes de l'État(2).
Donc, l'« espèce humaine »
(les contribuables...) ne peut qu'être perdante et les hommes de
l'État, gagnants.
« La principale contradiction de ce prétendu "crime contre
l'espèce humaine" est qu'il ne fait pas de victimes. Hors si l'on
admet l'existence de "crimes sans victimes", de "crimes" contre des entités
abstraites ou imaginaires, comment distinguer ce qui est criminel de ce
qui ne l'est pas? » |
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N'est-ce pas plutôt ce cafouillage informe qui constitue un «
crime contre l'espèce humaine », ou en
tous cas une bonne petite escroquerie intellectuelle?
La solution au problème du clonage, si problème il y a, ne
réside certainement pas dans la violence et l'arbitraire étatiques.
Le clonage n'est évidemment pas un crime, mais il n'est pas pour
autant un acte moral: c'est une réalisation qui ne correspond pas
aux valeurs de la plupart d'entre nous. Exactement comme le fait
de fournir des photos de pornograhie infantile à des adultes consentants
ou de regarder la télévision quinze heures par jour ne sont
pas des crimes, mais des comportements qui ne correspondent pas aux valeurs
de la plupart d'entre nous. C'est en ce sens que ces comportements
sont immoraux, bien qu'il ne violent les droits de propriété
de personne (ce qui est une façon précise de dire qu'ils
ne font pas de victimes). Puisque personne n'en est victime, personne ne
peut les punir ou en obtenir réparation, mais chacun peut les désapprouver
publiquement et boycotter les individus jugés « pervers
».
Ou plus exactement, chacun devrait pouvoir, ce qui serait le cas
sans les interventions constantes et inopportunes des hommes de l'État.
Le
boycott, solution simple et juste
Pour bien comprendre l'efficacité du boycott, et pourquoi il rend
inutile toute « punition » inévitablement arbitraire,
imaginons que nous soyons dans une société libre, c'est-à-dire
une société où les conflits ne sont pas perpétuellement
créés et ravivés par les hommes de l'État,
et où les crapules ne sont pas protégées. Imaginons
maintenant que vous vous aperceviez que votre voisin réalise des
expériences de clonage que vous désapprouvez. Or, si vous
êtes, disons, boulanger, aurez-vous vraiment envie de lui vendre
votre baguette accompagnée de ce charmant compliment: «
Comment va Madame? Et les enfants?... » Non.
Vous lui claquerez la porte au nez (dans une société libre,
il n'y a pas de délit de « refus de vente
»). Scandalisé, vous déciderez ensuite d'en
informer le plus de monde possible, par vos propres moyens et avec l'aide
de ceux qui sont prêts à vous aider. Etant donné la
condamnation quasi unanime de ce type d'expériences et son caractère
sensationnel, vous n'aurez aucun mal à ébruiter l'affaire
(si vous êtes timide, un de vos amis s'en chargera).
L'expérimentateur en question va très vite se retrouver isolé,
montré du doigt et conspué. Et il est à parier que
rapidement, notre homme, connu du grand public grâce aux journaux,
à la radio, à la télévision, etc. (médias
qui, dans une société libre, ne sont pas accaparés
par la politique et la propagande catastrophiste perpétuelle à
des fins de récupération électorale, et qui diffusent
donc éventuellement de la véritable information) ne trouvera
plus personne pour lui vendre les habits, l'eau, l'électricité,
dont il a besoin. Aucun propriétaire de rue ne lui permettra de
circuler chez lui, ni aucun propriétaire de trains ou d'avions de
voyager sur ses lignes. Aucun de ses contrats ne sera renouvelé.
Il se retrouvera bientôt sans toit, et personne ne voudra le reloger
(dans une société libre, le « droit au
logement » n'existe pas).
Il sera ensuite exclu, expulsé de partout, lui et ceux de ses complices
qui ne l'auront pas abandonné depuis longtemps (ses complices ou
adeptes, connus également, seront licenciés de leur entreprise,
ce qui tarit les sources de revenus. Dans une société libre,
évidemment, il n'y a pas de « droit au travail
» ni de lois interdisant le licenciement pour des raisons
morales et philosophiques). Plus aucune agence de sécurité
ne voudra assurer sa protection, de peur de déplaire à ses
clients et à ses actionnaires, aucune mutuelle ne couvrira plus
ses frais de santé. Obligé de violer sans cesse la propriété
d'autrui pour s'approvisionner et se déplacer, il se placera hors
du droit et sera perpétuellement traqué, rejeté manu
militari s'il persiste, et peut-être même abattu à
bon droit s'il devient violent. À moins qu'il ne soit déjà
mort de faim, de froid et de terreur.
Bien sûr, notre homme se trouvera peut-être malgré tout
des alliés, il parviendra peut-être à acheter ce dont
il a besoin, sans doute au prix fort. Ses déboires seront simplement
fonction du degré de condamnation morale du clonage par les autres
individus. Et s'il trouve un grand nombre de partisans, il faudra se résoudre
à le tolérer. Mais n'est-il pas normal que les projets soutenus
par de nombreuses personnes puissent voir le jour, dès lors qu'ils
n'agressent pas les autres? Sur quel critère pourrions-nous exiger
leur condamnation? Remarquons que les États dits démocratiques
autorisent constamment des projets qui vont à l'encontre des valeurs
de la plupart des gens, à la différence qu'ils vous obligent
de surcroît à les financer, comme vous financez déjà
le maintien de toutes les lois injustes, les armes de destruction massive
et bien souvent les comportements que vous désapprouvez.
Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de doute que des projets hautement immoraux
aux yeux des gens seraient gravement entravés par la désapprobation
générale, rendus extrêmement coûteux, et dans
de nombreux cas, impossibles à réaliser. Sans violer à
aucun moment les droits de propriété de qui que ce soit,
donc dans le strict respect de la justice, et sans recourir à des
concepts douteux et arbitraires, la solution libertarienne résout
ainsi magistralement et simplement le « problème
du clonage ». Cette solution est simple: que ceux qui
poursuivent des buts contraires aux valeurs de tous les autres s'attendent
à devoir supporter les conséquences de la désapprobation
générale, qui vont de l'explosion des coûts de leurs
projets à la nécessité de produire seuls les conditions
innombrables de leur propre subsistance.
Dans une société libre, où le boycott n'est pas réprimé,
les individus dont le comportement déplaît trop à tous
les autres doivent en général le changer, et vite(3).
Mais personne ne les y oblige: ils peuvent également choisir de
perdre les bénéfices de la civilisation (en l'occurrence
le partage des tâches), à leurs risques et périls.
Si, dans nos sociétés étatisées, les pervers
peuvent circuler, se loger et s'enrichir sans égard pour la désapprobation
unanime et parfois même aux dépens d'autrui, c'est à
l'existence de la « propriété publique
» qu'ils le doivent, comme aux lois violentes sur l'«
égalité » et la « discrimination
».
C'est en fin de compte parce que l'État lui-même les protège(4).
1.
Je ne fais que souligner ici, en fait, l'arbitraire du droit pénal
que l'on retrouve absolument dans tous les autres domaines. >> |
2.
À moins de faire l'hypothèse que seuls les hommes de l'État
représentent l'« espèce humaine ».
On comprendrait alors mieux comment ils considèrent les autres...
et tout s'expliquerait! >> |
3.
Pour un approfondissement de l'usage du boycott dans le respect des droits
de propriété légitimes, voir Murray N. Rothbard, L'
Ethique de la liberté, Les Belles Lettres 1991. >> |
4.
Dans une société libre où presque tout le monde désapprouverait
le clonage, les raéliens qui financent de telles expériences
subiraient personnellement les effets du boycott: beaucoup d'entre eux
seraient probablement licenciés et auraient toutes sortes de difficultés
à s'approvisionner. La secte raélienne s'effondrerait en
quelques jours et avec elle l'entreprise Clonaid et tous ses dirigeants.
Mais les lois « anti-licenciement » ou sur la
« discrimination religieuse » ainsi
que les délits de « refus de vente »
protègent tous ces gens qui ont de beaux jours devant eux.
>> |
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