|
|
Montréal, 15 mars 2003 / No 121 |
|
Après avoir mis à jour les rouages de la pensée unique telle qu'elle s'exerce en France (voir LA TYRANNIE DU MÉDIATIQUEMENT CORRECT, le QL, Pour ce faire, il donne la parole à 34 auteurs de sensibilités diverses, de Chantal Delsol à Françoise Rudetzki en passant par Pierre Chaunu, Lucien Israël ou Ivan Rioufol d'où il apparaît clairement que le |
par
Jean-Marc Chardon
Qui sont les bien-pensants? Ils sont à côté de vous, mais on ne voit qu'eux. Les bien-pensants sont présents dans tous les lieux publics. Ils prêchent la bonne parole, revendiquent le monopole du coeur, s'arrogent tous les droits: de juger de tout, de vous encenser ou de vous condamner, de refaire le monde, de revisiter l'histoire, de changer la société, les moeurs, la vie, et même, disent-ils parfois, de changer l'avenir! Les avez-vous reconnus? À les entendre, ils sont incomparablement plus doués que vous, plus justes, plus solidaires, plus tolérants, plus ouverts, plus Suivisme béat Sous la férule des bien-pensants, tout nous invite au suivisme béat. Suivre sans se poser de questions. Répéter les mots d'ordre en coeur, pratiquer la contestation de principe, provoquer en bande pour déstabiliser. En cas d'échec, sortir l'attirail de guerre, en intimidant l'adversaire Une tentation: jouer « les idiots futiles » Il faut bien reconnaître que tout incite à se ranger docilement derrière les bien-pensants, tant la pression est forte, et sachant que tout se conjugue pour se conformer au modèle ambiant: singer les comportements inspirés par les publicitaires, ex soixante-huitards reconvertis, et se mouler mécaniquement dans le prêt-à-penser avec sa logorrhée d'usage. En clair, vivre Un piège redoutable: entrer dans le jeu des « idiots hostiles » Les idiots hostiles n'appartiennent pas à la catégorie des suivistes, au contraire, ils veulent exprimer haut et fort leur désaccord et sont prêts à faire du tapage si on ne les écoute pas. Ce faisant, ils ne se rendent pas compte qu'ils font exactement le jeu de leurs adversaires. Les bien-pensants en effet sont enchantés de trouver dans un colloque ou une émission un énergumène qui se cabre, une Une illusion: vouloir changer les bien-pensants Le bien-pensant se reconnaît à son goût pour les idées abstraites fondues sur un lit de bons sentiments. Tout son art tient à la maîtrise d'un discours emphatique bercé de litanies de cause altruistes. En outre, il est persuadé que sa génération a permis à l'humanité de faire plus de progrès qu'en 2000 ans d'histoire, et que ces progrès sont irréversibles. C'est la posture prométhéenne des bien-pensants qui s'attribuent toutes les
Inutile donc de vouloir amener le bien-pensant sur un autre terrain que le sien. Emmuré dans ses certitudes, prisonnier de son utopie, encapuchonné dans la bonne conscience, il est imperméable à toute objection. Le bien-pensant ne change pas, ou rarement, mais ce qui est sûr, c'est que lui veut changer les autres de gré ou de force, et qu'il s'en donne les moyens. Quand il n'en dispose pas, de bonnes âmes se précipitent pour le combler. La fête peut continuer... Faire tomber les masques de l'imposture Nos bien-pensants ont une propension à l'erreur qui serait cocasse, s'il était permis d'en faire l'inventaire: ils réclament Dernière posture très tendance chez nos bien-pensants: faire son mea culpa sur les ondes... pour se positionner en belle conscience et garder la parole! Dans ce style, dénoncer toute menace de C'est le pari des derniers chapitres de l'ouvrage: encourager le lecteur à sortir des sentiers battus et rebattus de la pensée unique, en s'organisant en réseaux, en témoignant hors des clivages idéologiques traditionnels et en cultivant à l'occasion l'hilarité à l'encontre des bien-pensants. La difficulté, c'est que nombre de nos concitoyens se sont habitués à se taire, par peur de prendre des coups. La dispute homérique qui vient d'éclater autour du quotidien Le Monde en est l'illustration la plus fracassante. Voilà un journal qui s'est auto-proclamé de référence, alors même qu'il n'est pas le plus lu parmi les quotidiens, contrairement à une idée répandue, et que jamais la question n'était posée: référence de quoi, et pour qui? Sous l'effet de la répétition, tout un chacun a concédé bon gré mal gré que Le Monde était pourtant Que disent les journalistes auteurs de ce prétendu brûlot? Que Le Monde n'est pas du tout le modèle de vertu journalistique qu'il se complaît à cultiver, que son regard sur l'information est tendancieux, que ses dirigeants ne sont pas désintéressés comme ils le prétendent, que les agissements de ses membres obéissent à des motifs peu glorieux, et que la police de la pensée qu'ils exercent est redoutable... En un mot, le quotidien emblématique d'une prétendue excellence journalistique n'est pas exemplaire! Toutes choses qui font scandale dans un petit milieu parisien, mais qui étaient parfaitement connues de la communauté journalistique. Pourquoi aura-t-il fallu attendre tout ce temps pour qu'une vérité d'évidence puisse être dite sur la place publique? Est-ce à dire que la France est en train de sortir de la pensée unique qui verrouille l'expression du corps social? Certainement pas! Le choc médiatique autour du Monde prouve, au contraire, que la France est en retard de plusieurs décennies! Ni Péan, ni Cohen n'ont fait de véritables révélations sur Le Monde: les premières à être déclinées sous forme livresque l'ont été par Michel Legris, lui-même ancien journaliste au Monde, qui avait décrypté la rhétorique du journal. C'était en 1977, lorsqu'il publia Le Monde tel qu'il est. À l'époque, toute critique était balayée d'un revers de manche et des haussements d'épaule. L'ouvrage, pourtant documenté et analytique de Michel Legris, allait être rapidement mis sous le boisseau, avec cette interjection finale: comment pouvait-on oser faire un procès d'intention à ce journal fondé par l'illustre Hubert Beuve-Méry? Il est vrai que Michel Legris avait un lourd handicap, connu pour être un journaliste de sensibilité libérale, et donc sans légitimité aucune pour prétendre à une critique éclairée! Quel changement en 2003? La fin du mythe révolutionnaire, certes, mais la critique – quand elle est autorisée – reste toujours étriquée. Il s'agit, et ne peut s'agir que d'une critique gauche/gauche. Les pourfendeurs du Monde sont des journalistes connus pour leur engagement à gauche, qui règlent leurs comptes avec une publication... de gauche. Imaginer un autre scénario tient de l'impensable. Et c'est là que l'on saisit combien le débat reste enclavé dans l'hexagone. Une critique n'est recevable que si elle émane de la gauche ou de l'extrême gauche, sinon elle n'a pas droit de cité et reste occultée. Le lecteur trouverait-il ce jugement trop sévère? Nous le renvoyons aux trois ouvrages qui ont fait florès, juste avant le livre accusatoire sur Le Monde: qu'il s'agisse des Maîtres-censeurs d'Elisabeth Levy, de La censure des bien-pensants de Robert Ménard, ou de l'ouvrage de Daniel Carton qui, à l'heure de la retraite, dit ses quatre vérités sur le journalisme, ils sont bel et bien signés par des journalistes qui se réclament ouvertement de la gauche. La seule question qui vaille alors la peine de se poser n'est-elle pas: que pensent les autres... Ou bien sont-ils interdits de parole dans un pays qui se prétend toujours être celui du débat et de la démocratie d'opinion? Comme quoi la tyrannie des bien-pensants, même si elle arrive à son crépuscule, a encore quelques beaux jours devant elle! Combien de décennies encore faudra-t-il pour en sortir, et en sortirons-nous à temps, c'est bien la question!
|
<< retour au sommaire |
|