Montréal, 29 mars 2003  /  No 122  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
L'INDUSTRIE DU DISQUE ET LE NET:
ENTRE LA TAXATION ET L'INNOVATION
 
par Gilles Guénette
 
 
          Le président de l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (l'ADISQ) souhaite la mise sur pied d'un fonds pour la création musicale qui imiterait le Fonds canadien de la télévision. Jacques Primeau était censé en discuter avec le président du CRTC lors des récentes Rencontres professionnelles de l'industrie qui se tenaient à Montréal la semaine dernière, mais rien n'a transpiré de la discussion. On ne sait pas si cette dernière a seulement eu lieu. Ce qu'on sait par contre, c'est que ce serait les fournisseurs d'accès internet qui renfloueraient les coffres de ce nouveau fonds. « Hein, c'est quoi le rapport? », comme dirait ma nièce.
 
Faire sortir le fric 
  
          Le raisonnement est simple: « En tant que canal permettant l'accès à la musique et facilitant l'échange de fichier, dixit Mme Solange Drouin, directrice générale de l'ADISQ, les fournisseurs d'accès internet devraient eux aussi soutenir la création musicale. »(1) Vous permettez l'accès, vous compensez. Fallait y penser!  
  
          Les « contributions » que le CRTC pourrait obliger les fournisseurs à verser dans un tel fonds permettraient l'« injection d'argent neuf dans une industrie malmenée depuis quelques années ». Elles seraient redistribuées aux créateurs et aux producteurs afin de soutenir « une production musicale canadienne significative » Whatever that means! Le fonds « ne réglerait pas le problème économique qui existe en ce moment dans l'industrie du disque, ni la question des téléchargements sur internet », de préciser Jacques Primeau, mais ça serait un début de solution. Une « piste » à envisager.  
 
          Au fond, ce que suggèrent ces bonnes gens, c'est l'instauration d'une toute nouvelle taxe bien personnalisée pour un secteur qui, selon eux, ne serait pas suffisamment mis à contribution (ou taxé, si l'on préfère). Pas sûr que mon fournisseur internet voit les choses de la même façon, mais bon... Si le président du CRTC trouve l'idée bonne (ce qui se pourrait très bien; les voies du CRTC sont impénétrables) et qu'il impose un fonds à l'ensemble du secteur, il n'aura qu'à plier l'échine et à payer. 
  
Problème = Solution 
  
          Ah les taxes! La solution à tous les problèmes. « Pourquoi s'arrêter là? » Un coup parti, pourquoi ne pas forcer les magasins de disques à contribuer, eux aussi, à un tel fonds? Eux aussi permettent l'accès à la musique et facilitent l'échange. (C'est vrai que Pierre Rodrigue, du Groupe Archambault, siège sur le conseil d'administration de l'ADISQ...) 
  
          Tout peut être taxé. Il suffit de savoir qui aller voir (dans ce cas-ci, le président du CRTC, Charles Dalfen) et quoi réclamer (une taxe, un programme, une mesure...). Ce qui est plus difficile est de savoir quand s'arrêter. Il ne faut pas trop imposer, juste assez – on ne veut surtout pas achever notre entrepreneur-contribuable avant même d'avoir commencé à le siphonner! 
  
          Et si l'instauration d'un tel fonds entraînait une vague de fond (pas de jeu de mots, s.v.p.), un déferlement de demandes semblables? À quand le Fonds à la création pour blogueurs, pour photographes, stars de la porno, journalistes « alternatifs » (eux ils l'ont déjà)? Mettez-vous en ligne, les fournisseurs internet ont le dos large et le porte-feuille profond! Comme ils « permettent l'accès » à toutes sortes de choses, ils devraient avoir à contribuer à toutes sortes de fonds. C'est logique! 
  
Vendre la taxe 
  
          Pour vendre son idée, M. Primeau cite le Fonds canadien de la télévision en exemple. Le FCT a remis 250 millions $ dans le secteur télévisuel en 2002 seulement. Cent dix millions $ provenant de la contribution imposée au privé – établie à 5% des revenus bruts des câblodistributeurs et des fournisseurs de télévision par satellite le reste, en gros, provenant de notre contribution imposée à vous et moi. 
  
     « Ce que suggèrent les gens de l'ADISQ, c'est l'instauration d'une toute nouvelle taxe bien personnalisée pour un secteur qui, selon eux, ne serait pas suffisamment mis à contribution (ou taxé, si l'on préfère). Pas sûr que mon fournisseur internet voit les choses de la même façon, mais bon... »
 
          Deux cents cinquante millions $ c'est bien beau, sauf que le milieu de la télévision est hyper-réglementé, donc hyper-subventionné. Ce qui n'est pas (encore?) le cas des fournisseurs d'accès internet. Dans une logique interventionniste, il faudra sans doute commencé à les subventionner, eux aussi – comme le sont indirectement les câblos et les fournisseurs satellite –, afin qu'ils puissent être en mesure de faire face à la musique... 
  
          Bien sûr, la plupart de ces fournisseurs étant de petite taille, ils n'auront pas à débourser des millions de dollars chaque année pour se conformer aux critères d'un fonds, mais ils devront quand même débourser des sommes qui autrement auraient servies à l'entretient de leurs équipements, à l'offre de forfaits toujours plus concurrentiels, à un meilleur service technique, et cetera. Par conséquent, ils seront forcés soit de couper dans le service, soit de refiler la facture à leurs clients. D'une façon comme de l'autre, c'est nous qui allons écoper. On n'en sort pas. 
  
Imaginaire absent 
  
          Ce sont des organismes comme l'ADISQ – qui, rappelons-le, ont comme mandat de protéger d'abord les intérêts de leurs membres, pas ceux des consommateurs – qui à force de réclamer de telles mesures poussent l'État à intervenir toujours plus dans toutes sortes de secteurs (à les voir aller, le Net ne sera manifestement pas épargné). Ce sont eux qui nous poussent par le fait même à débourser toujours davantage pour des biens que nous ne consommons pas nécessairement – et si je n'échange pas de fichiers musicaux sur Internet, moi? Je devrai quand même payer. 
  
          Les fournisseurs internet vendent l'accès à un réseau de fils sur lequel des gens peuvent se brancher pour échanger, se divertir, s'informer. On est à des années-lumière du concept de production télévisuelle ici. Si le fournisseur doit être mis à contribution parce qu'il est un « canal permettant l'accès à la musique et facilitant l'échange de fichier », est-ce que ça veut dire qu'on devra aussi forcer la poste à contribuer à un fonds à la création musicale? Après tout, les facteurs transportent des enveloppes qui pourraient contenir des cassettes ou des disques compacts. Vite, ils doivent compenser pour le « mal » qu'ils font. 
  
          Au lieu de s'occuper à trouver des façons innovatrices de vendre plus de disques et de spectacles – ce que l'ADISQ devrait s'efforcer de faire –, M. Primeau & Cie veulent tenter de convaincre un ou deux hauts fonctionnaires du bienfait de leur proposition et forcer tout le monde (par l'entremise d'une taxe) à payer pour leur manque d'imagination. Tout le monde le fait, fais-le donc! 
  
          « Oui mais on ne peut pas faire compétition à la gratuité! », se lamenteront les gens de l'industrie. À cela, Kaan Yigit, de la firme Solutions Research Group de Toronto, participant aux Rencontre professionnelles de l'ADISQ, répond: « Il suffit d'être différent. Votre défi n'est pas d'ordre musical, mais au niveau du marketing »(2), tout en exhibant... une bouteille d'eau. Et vlan! Si on réussit à vendre de l'eau embouteillée, on doit pouvoir réussir à vendre de la musique endisquée! 
  
          Pourquoi ne pas tenter de trouver des moyens de rendre l'achat de cd attrayant à l'aide de plus values? Je ne sais pas moi, offrir de riches livrets de textes et de photographies, une qualité sonore impeccable, des vidéoclips en bonus, des codes secrets permettant au consommateur de participer à des tirages, des mots de passe lui donnant accès à des sites internet spéciaux, des invitations à des événements VIP... Pourquoi ne pas réintroduire le single sur le marché? Réduire le coût du cd? Donner accès en magasin à des « postes de copiage » sur lesquels le consommateur pourrait créer ses propres compilations cd ou télécharger ses chansons préférées directement sur baladeur mp3? 
  
          Si le numérique voyage bien sur le Net, on ne peut pas en dire autant du matériel. La première génération de transporteurs à la Star Trek étant encore loin dans le temps, les gens de l'industrie du disque disposent encore de quelques années pour étudier d'autres pistes que la taxation... 
  
  
1. Alexandre Vigneault, « Un fonds pour la musique financé par le privé? », La Presse, 20 mars 2003, p. C-5.  >>
2. Alexandre Vigneault, « Rencontres de l'ADISQ: La vérité donne un choc! », La Presse, 21 mars 2003, p. C-5.  >>
  
 
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