Le capitalisme n'est pas une institution que l'on peut modifier à
son gré, il est essentiellement le produit d'une évolution
spontanée qui a conduit à sélectionner les formes
d'organisation les plus aptes à permettre la coopération
des êtres humains dans la production de richesses. Même si
sa forme juridique a fait l'objet de dispositions légales dans la
plupart des pays, une organisation comme la société anonyme
est bien le produit de ce processus d'expérimentation. Et au lieu
de s'alarmer des quelques péripéties récentes, on
devrait admirer les miracles réalisés tous les jours par
le système capitaliste.
Ce système est le plus efficace, parce qu'il est le plus juste:
il est fondé sur le respect des droits de tous ceux qui coopèrent
dans les activités productives. Bien sûr, aucun système
ne peut être parfait, mais le capitalisme n'en reste pas moins le
système qui est relativement le meilleur. Ainsi, on devrait s'étonner
que les quelques dérapages spectaculaires de la période récente
soient aussi peu nombreux. Ils sont certes douloureux pour ceux qui en
sont les victimes, actionnaires, salariés, créanciers, mais
aucun système humain ne pourra jamais prémunir tous les individus
contre tous les risques. Et ces dérapages comportent aussi une face
positive dans la mesure où ils apportent des leçons et peuvent
susciter des réformes nécessaires.
Mais de ce point de vue aussi, il nous semble que la réponse ne
doit pas se trouver dans un accroissement des contraintes légales
et réglementaires, mais dans des adaptations spontanées de
ceux qui sont directement concernés. Ainsi, l'éclatement
de la firme de consultants Andersen apporte une preuve spectaculaire de
la capacité de régulation d'un système capitaliste.
Voici une firme réputée qui, au demeurant, avait en partie
fondé sa notoriété sur sa rigueur déontologique
depuis qu'elle avait dénoncé des manipulations comptables
d'une grande firme américaine dans les années trente et qui
disparaît brutalement parce qu'une poignée de ses membres
– sur les 80 000 qu'elle comprenait dans le monde – a failli
à ce code déontologique! Et il y a fort à parier que
les firmes de consultants mettent maintenant en oeuvre des procédures
rigoureuses pour contrôler le respect d'un code de déontologie
par leurs membres.
« Une société ne peut fonctionner bien que s'il existe
des systèmes de contrôle. Et, de ce point de vue, le contrôle
par la concurrence constitue la meilleure solution. » |
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Nous n'avons certes pas l'intention de passer en revue tous les projets
de réforme qui ont fleuri récemment à la suite de
ces événements malheureux. Mais nous voudrions insister sur
une proposition qui semble être très favorablement accueillie
à travers le monde, à savoir l'idée qu'il conviendrait
d'accroître le nombre et les pouvoirs des administrateurs indépendants
dans les conseils d'administration des grandes entreprises. Malheureusement,
on fait totalement fausse route lorsqu'on déplore le manque d'indépendance
des membres des conseils d'administration.
De manière générale, il existe un véritable
mythe de l'indépendance à notre époque. On s'imagine
que l'indépendance est la clef d'une bonne gestion. On créera
donc une banque centrale indépendante, un organisme indépendant
pour répartir les fréquences hertziennes ou pour attribuer
des licences d'exploitation dans les télécommunications,
une autorité indépendante pour contrôler les marchés
financiers, etc. Mais une société ne peut fonctionner bien
que s'il existe des systèmes de contrôle. Et, de ce point
de vue, le contrôle par la concurrence constitue la meilleure solution.
Si l'on est indépendant, c'est-à-dire qu'on n'a de comptes
à rendre à personne, on est irresponsable. Et l'on peut profiter
de son indépendance pour faire de bonnes choses, certes, mais aussi
pour en faire de mauvaises. Même avec de la bonne volonté,
on est dépendant de ses préjugés, de ses informations,
de ses projets personnels, au lieu d'être au service de ceux que
l'on devrait servir.
Les membres d'un conseil d'administration ne doivent pas être indépendants,
ils doivent être propriétaires, donc responsables. Dans les
faits, d'ailleurs, un membre « indépendant »
de conseil d'administration n'est pas véritablement indépendant,
en ce sens qu'il est redevable à celui qui l'a nommé – en
général le président – d'une position qui lui apporte
prestige et rémunération. Il aura donc intérêt
à être le moins indépendant possible et à se
comporter en reflet du président. Si, en France, le conseil d'administration
de Vivendi a trop tardé à démettre son président,
c'est parce que beaucoup de ses membres étaient « indépendants
». S'ils avaient dû défendre la valeur de leur
patrimoine – et donc celle des autres actionnaires, parmi lesquels les
petits actionnaires – ils auraient agi plus vigoureusement et plus rapidement.
Le capitalisme est fondé sur la propriété et donc
sur la responsabilité. Plus une organisation s'en éloigne,
plus elle est fragile. L'urgence n'est pas de « réformer
le capitalisme » par des gadgets, tels que les administrateurs
indépendants, mais de le respecter.
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