Montréal, 29 mars 2003  /  No 122  
 
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Christian Michel est propriétaire du site Liberalia.
 
PHILOSOPHIE LIBERTARIENNE
 
LE BON GOUVERNEMENT
 
par Christian Michel
 
 
          La démocratie est la réponse moderne et prétendument universelle à la question historique de la légitimation du pouvoir. Pourquoi dois-je soumettre ma volonté à celle d'un autre? Qu'a-t-il de plus que moi que je lui obéisse?  
  
          Une bonne raison est qu'il est plus fort que moi. Il est armé et je ne le suis pas. Mais si c'est la seule raison, il ne va pas jouir longtemps de cette supériorité. J'exécuterai ses ordres avec la plus grande mauvaise volonté, les sabotant au besoin, et au premier relâchement de sa surveillance, je le tuerai ou m'évaderai.
 
Les croyances qui fondent le consentement 
  
          Pour obtenir mon consentement à la sujétion qui m'est imposée, il faut qu'il me fasse croire à certaines propositions, par exemple: 
  • C'est la volonté des puissances d'en haut que tu obéisses; ceux qui te gouvernent leur sont soumis tout comme toi (ces puissances sont les dieux, la tradition, aujourd'hui, la crise, les lois de l'économie...).

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  • C'est pour ton bien; tu ne possèdes pas la compétence des dirigeants; ils savent mieux que toi ce qui est bon pour toi.

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  • De toute façon, les autres ont accepté de se soumettre; qui es-tu pour penser que tu as raison seul contre tous?
          Ces arguments légitiment le pouvoir par son origine. Celui qui nous gouverne a mandat pour le faire en vertu de ce qui l'élève à cette fonction: l'onction divine, l'adoption (comme chez les empereurs romains), l'élection, les marques de compétence et les concours (le mandarinat, l'énarchie...), le tirage au sort (en Grèce antique pour nombre de fonctions), etc. 
  
La règle d'or de l'unanimité 
  
          Or ce n'est pas l'origine du pouvoir qui importe, mais l'usage qui en est fait. Je me fiche totalement de savoir d'où l'individu qui me commande tire son autorité. Mon souci est l'étendue de cette autorité qu'il peut exercer sur moi. Que ce soit son thème astral, comme au Tibet, qui l'ait désigné comme mon souverain ou le suffrage universel, seul compte qu'il soit un « bon souverain » 
  
          La cause est déjà entendue pour l'exercice du pouvoir économique. On n'exerce plus la profession de drapier ou d'armateur par privilège royal, comme au temps de Colbert. Nous ne cherchons même pas à savoir qui contrôle les entreprises auxquelles nous faisons appel. Il suffit qu'elles nous donnent satisfaction. Dans cette seule satisfaction des employés, clients, fournisseurs, banquiers..., renouvelée en permanence, réside la légitimité du pouvoir économique. L'unanimité est la règle. Il n'existe pas de minorité sur un marché libre. La minorité est devenue la clientèle des concurrents. 
  
     « Paradoxalement, en se déclarant propriétaire et répartisseur légitime des propriétés, chaque gouvernement, même le plus soviétique, manifeste l'existence universelle de ce droit de propriété. Tout appartient à quelqu'un, toute chose a son propriétaire. »
 
          Certes, la satisfaction que nous obtenons sur le marché n'est pas l'expression de notre volonté. Les critiques du marché confondent les notions de liberté et de volonté. Je ne veux pas travailler pour 1500 euros par mois. En réalité, je veux un salaire de 1 million. Mais personne ne me l'offre. Et puisque je ne saurais violer la liberté de quelqu'un d'autre en l'obligeant à me payer 1 million par mois, je me rabats sur la meilleure offre disponible, qui est 1500 euros. Pour un être mature (c'est même la définition de la maturité), la satisfaction n'est pas mesurée par référence à sa volonté/illusion/chimère, mais par rapport à la réalité. 1500 euros étaient plus satisfaisants que toutes les autres offres reçues, c'est donc celle-là que j'ai choisie. Librement. Il m'appartient de transformer la réalité pour que l'an prochain, je vaille plus cher. 
  
Tout appartient à quelqu'un 
  
          Peut-on appliquer ce critère de la satisfaction unanime au gouvernement de la Cité? Il n'aurait plus alors qu'une seule fonction, seule susceptible de réunir l'unanimité: protéger la propriété de chacun. Par définition, protéger la propriété implique que nul ne pourra en être privé totalement ou partiellement, sous quelque prétexte que ce soit, y compris donc du fait du souverain. (La protéger implique aussi, bien sûr, que nous pouvons la donner ou la mettre en commun – volontairement – comme le font les familles, quelques institutions religieuses, les rares communistes sincères...)  
  
          Quel gouvernement peut inscrire dans son programme qu'il ne respectera pas la propriété? Ils expliquent tous qu'ils vont prendre à certains pour donner à d'autres; ou qu'ils vont accaparer des propriétés pour en réserver la jouissance à certains plutôt qu'à d'autres. En d'autres termes, ils vont créer des discriminations, des mécontents. D'emblée, ils déclarent que l'unanimité n'est pas leur but. Mais paradoxalement, en se déclarant propriétaire et répartisseur légitime des propriétés, chaque gouvernement, même le plus soviétique, manifeste l'existence universelle de ce droit de propriété. Tout appartient à quelqu'un, toute chose a son propriétaire. 
  
          Comme nous sommes tous propriétaires – au moins de notre corps, et de ce que nous produisons grâce à lui –, le respect de la propriété peut fonder un gouvernement cherchant un soutien unanime. Sa légitimité ne serait plus son origine (ancrage dans le passé), mais son programme (tourné vers l'avenir). Non pas d'où il provient (critère aristocratique), mais ses réalisations (critère capitaliste). Ce gouvernement ne ferait pas la volonté de tout le monde (pas celle des voleurs), mais il apporterait une satisfaction unanime (si je ne peux plus voler les autres, j'ai au moins la satisfaction de ne l'être pas moi-même). 
  
          Ainsi naîtrait une société d'hommes libres. 
 
 
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