Montréal, 12 avril 2003  /  No 123  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
CAMPAGNE ÉLECTORALE: LA FAMILLE
ET LA SEMAINE DE 4 JOURS
 
par Gilles Guénette
 
 
          Drôle de créatures les politiciens. Une fois tous les quatre ans, ils sortent de leur tanière pour frayer avec le bon peuple. Pendant une trentaine de jours, ils visitent commerces, entreprises et centres d'accueil, ils serrent des mains, et encore des mains, ils embrassent des bébés, beaucoup de bébés (et quelques petites mémés), ils montent sur des podiums, font des tas de promesses (toutes plus coûteuses les unes que les autres), le tout, dans la bonne humeur – autant que faire se peut – et sous l'oeil constant des caméras. Le but de l'exercice? Remporter la faveur publique et retourner dans leur tanière pour quatre autres années.
 
          Si certaines des promesses mises de l'avant durant la campagne ont pu sembler quelque peu déconnectées des réalités « du vrai monde » – après tout, la majorité des politiciens vivent dans une bulle la plupart du temps –, notre enthousiasme face à d'autres en dit long sur nous-mêmes... 
  
Tous éberlués 
  
          « Un parti comme le PLQ, qui n'a même pas parlé de sa position en matière familiale au cours de la campagne, ne peut être pris avec sérieux lorsqu'il se dit prêt à gouverner le Québec. » (Mario Dumont, 5 avril) « Il n'y a rien pour les jeunes familles dans le programme libéral, que vont faire les jeunes familles? » (Bernard Landry, 8 avril) « [La conciliation travail-famille] est une réalité pour tout le monde qui n'appartient pas à un seul parti politique. » (Jean Charest, 7 avril).   
  
          « C'est moi le plus familial! » « Non, c'est moi! » « Non, c'est moi! » C'était à se demander qui parlerait le plus de famille durant cette campagne. Qui serait photographié le plus souvent en compagnie d'enfants ou dans un Centre de la petite enfance. Comme si le bien-être de maman et de fiston était devenu l'enjeu principal de l'élection! La cause à défendre pour faire sortir le vote. Est-ce que j'ai manqué un bout? Pourquoi ce soudain intérêt pour la famille? M. Charest n'a peut-être pas fait de « discours structuré » sur la question (comme le lui a reproché M. Dumont), mais lui et ses libéraux – comme M. Landry et ses péquistes – en ont amplement parlé au cours de la campagne. Pourtant, la famille est presque une espèce en voie de disparition dans notre Belle Province! 
  
          Avouez qu'il est étrange de cibler les familles alors que le Québec connaît l'un des plus hauts taux d'avortement au monde: il a doublé en 20 ans, dix-neuf Québécoises sur mille se font avorter. Que l'on connaît l'un des plus bas taux de natalité du monde occidental: aux alentours de 1,4%, il était d'un peu plus de trois en 1965. Que l'on connaît le plus haut taux de divorce au Canada: 47,4%. Que le taux de suicide au Québec est aussi l'un des plus élevés au monde: cinq personnes se suicident chaque jour, soit quatre hommes et une femme. Et, faut-il le rappeler, que les Québécois sont les plus taxés en Amérique du Nord! De telles statistiques sont loin de favoriser des lendemains bien... familiaux!  
  
     « Les Québécois carburent aux décrets et aux projets de lois: "Je n'irai surtout pas demander une faveur à mon boss, tout d'un coup qu'il me dit non." Bien plus simple d'attendre que leurs boss soient obligés de leur donner ce qu'ils veulent! »
 
          Déconnectés, les messages électoraux? À moins qu'il ne s'agissait d'une stratégie. À moins que les experts en communication des partis n'aient ciblé l'idée que les électeurs ont de la famille... Hmm, profond. Ou une sorte de nostalgie de la famille? La grande famille « collective » des Québécois! Peut-être s'agissait-il en fait de la famille « en devenir »? Ou qu'au fond, la famille n'était qu'un subterfuge et qu'on tentait seulement de loger une impression positive dans la tête de l'électeur? Difficile d'expliquer. 
  
Donne-moi des peanuts... 
  
          Tout aussi difficile d'expliquer cette manie qu'ont les Québécois de toujours attendre que le gouvernement fasse les premiers pas pour « améliorer » leur vie au lieu que ce soit eux qui s'en chargent personnellement. Prenez les deux promesses faites par le premier ministre sortant, Bernard « Père Noël » Landry, en début de campagne: la semaine de quatre jours aux familles qui ont des enfants de moins de 12 ans (lâchez-nous avec les familles!) et une troisième semaine de congé payée pour tout le monde. 
  
          Comment expliquer que tous ceux qui trouvent ces propositions intéressantes – et ils sont nombreux – n'aient pas été foutus d'aller voir eux-mêmes leur employeur pour réclamer moins de travail et plus de vacances? Si ces propositions sont si bonnes, comment expliquer qu'elles ne se soient pas implantées d'elles-mêmes? Pas besoin d'une loi pour travailler moins! Sauf que les Québécois ont pris l'habitude d'« avancer » seulement quand l'État leur dit d'avancer – comme ils s'apprêtent à tourner à droite aux feux rouges, maintenant que l'État le leur permet. 
  
          Les Québécois carburent aux décrets et aux projets de lois: « Je n'irai surtout pas demander une faveur à mon boss, tout d'un coup qu'il me dit non. » Bien plus simple d'attendre que leurs boss soient obligés de leur donner ce qu'ils veulent! Les Québécois sont de grands observateurs. Ils préfèrent attendre de voir leurs désirs élevés au rang de « droits » par les syndicats, groupes de pression et gouvernements plutôt que de les revendiquer eux-mêmes auprès des principaux intéressés. 
  
          Mais pendant qu'ils observent, d'autres bougent. L'improvisée conciliation famille-travail tant annoncée par le PM Landry constitue maintenant une « priorité nationale vitale ». Et la province se dirige tranquillement vers une loi-cadre. Qui est-ce qui va payer pour cette autre « priorité nationale »? Les contribuables les plus taxés d'Amérique du Nord! Vous et moi. « La conciliation famille-travail, mesure-vedette de la campagne du Parti québécois, pourrait éventuellement être soutenue financièrement par la société plutôt que de reposer uniquement sur les épaules des employeurs. » C'est ce que nous apprenait Pauline Marois, ministre des Finances, le 9 mars dernier. 
  
          Le vieil adage qui veut que « l'union fait la force » se traduit ici par « l'État fait la force ». C'est tellement plus facile d'appuyer une entité politique anonyme chargée de faire avancer ses intérêts – dans ce cas-ci, forcer tous les employeurs à restructurer l'ensemble de leurs opérations pour intégrer la semaine de 4 jours, pour une petite portion de leurs employés, et une semaine de vacances supplémentaire – que de se lever un beau matin et d'aller parler à son patron – tout en acceptant de prendre la responsabilité des éventuelles retombées financières de son geste. 
  
          En laissant d'autres « agir » à sa place, on se garde la possibilité de chialer si les choses tournent mal... Parce que 4 jours travaillés, ce n'est pas la même chose que 5 jours travaillés – à moins que l'État ne dise le contraire et qu'il refile la facture « équitablement » à tout le monde, ce vers quoi on semble se diriger. Deux journées de travail en moins sur une paie, c'est moins d'argent pour les voitures, l'hypothèque, les vêtements de fiston, la bouffe, les cartes de crédit, les voyages, les restos, etc. Il y a deux côtés à une médaille – même si Bernie Landry, notre père à tous, ne nous en a montré qu'un. Le plus beau.  
  
 
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