Montréal, 10 mai 2003  /  No 124  
 
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André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal
 
ÉTHIQUE LIBERTARIENNE
 
DÉFLATION, CRÉATION D'ARGENT...
D'UNE INTERVENTION À L'AUTRE *
 
par André Dorais
  
  
          Les dirigeants de la banque centrale américaine (la Réserve fédérale, ou plus communément la Fed) préparent les plans d'une autre intervention monétaire dans le but de relancer l'économie et de prévenir la déflation, c'est-à-dire une baisse générale des prix selon la conception populaire. Le problème, c'est qu'ils ont pratiquement épuisé la capacité de manipuler leur outil de prédilection pour ce faire, soit les taux d'intérêt à court terme. Le taux directeur américain est actuellement à 1,25% et comme il ne peut être négatif – car alors les gens garderaient leur argent sous le matelas –, ils envisagent l'utilisation d'autres outils. Malheureusement, leurs manipulations relèvent davantage de la sorcellerie que de la science.
 
Un monstre à éviter 
  
          Depuis quelque temps, les fonctionnaires de la Fed évoquent la déflation comme un monstre à éviter. Ils en ont peur car ils ne la comprennent pas. Mais comme tous fonctionnaires et politiciens, ils prendront néanmoins des actions pour tâcher de la contrer. Il faut bien justifier son salaire! Or, il est très difficile de contrer quelque chose que l'on ne comprend pas et cela devient pratiquement impossible lorsqu'on développe une croyance irrationnelle comme explication du phénomène pour agir sur elle.  
  
          Selon eux, une baisse des prix alors que le taux directeur s'approche de zéro conduit à une augmentation du taux d'intérêt réel, soit le taux nominal moins l'inflation prévue. Par exemple, si les prix baissent à un rythme annuel de 5%, alors le taux d'intérêt réel sera de 5% [0% – –5% = +5%]. Ainsi, une plus grande déflation conduit à une augmentation du taux réel, ce qui, à son tour, aggrave la récession. Comme ils veulent éviter cela à tout prix, ils préparent la seule recette qu'ils sont capables de faire, soit de l'inflation, mais cette fois ils l'envisagent plus assaisonnée qu'à l'habitude. 
  
          Or, la principale raison pourquoi certains secteurs d'activités connaissent des prix à la baisse, c'est que les gens achètent moins. Et qui pourraient leur en vouloir après les énormes pertes dans les marchés boursiers ces dernières années et l'incertitude provoquée par les conséquences possibles de l'autre grande action « préventive » du gouvernement américain, soit la guerre en Irak?  
  
          Puisque la marge de manoeuvre pour baisser les taux d'intérêt à court terme est réduite, les bonzes de la Fed s'apprêtent à diminuer également les taux d'intérêt à long terme. Pour ce faire, ils achètent des obligations gouvernementales à long terme auprès des institutions financières qui voient ainsi leurs comptes crédités d'un montant équivalent en « argent neuf ». Il en résulte une création d'autant plus grande de crédit que le taux des réserves à maintenir dans les coffres de ces institutions est bas. 
  
          En provoquant une baisse des taux d'intérêt, une augmentation des prix des obligations s'ensuit. Lorsque le taux d'une obligation baisse, son prix monte et vice versa. Or, faire en sorte que les prix montent, c'est la façon qu'ont trouvée ces bureaucrates d'éviter la déflation. Autrement dit, ils pensent éviter la déflation, qu'ils définissent comme une baisse générale des prix, en faisant de l'inflation qu'ils définissent, au contraire, comme une augmentation générale des prix. Cela me fait penser au gars qui essaie de se remettre d'une soirée, un peu trop arrosée, en s'offrant un autre verre à son réveil...  
  
Le problème n'est pas la déflation, mais l'inflation 
  
          Les institutions financières qui reçoivent ce nouvel argent tenteront de nous le prêter, et comme les taux sont bas la tentation est grande de l'emprunter. Si nous ne mordons pas à l'hameçon, les dirigeants de la Réserve fédérale envisagent d'inonder le marché en achetant des obligations corporatives, voire même des actions. Le Japon le fait déjà pour soutenir un marché boursier à son plus bas niveau en vingt ans. Or, c'est la meilleure façon de reculer d'un autre vingt ans. C'est que le crédit n'est pas de l'argent qui provient de l'échange de biens réels, mais d'une escroquerie comptable incommensurable et, habituellement, lorsque les gens réalisent qu'ils se font arnaquer de la sorte, ils reprennent leur argent autant que faire se peut. Ils peuvent le faire très rapidement et en masse. 
  
     « Si la déflation suivait son cours normal, les entrepreneurs qui ont été leurrés liquideraient d'autant plus vite leurs entreprises ou à tout le moins leurs projets pour en entreprendre d'autres plus créateurs de richesses. »
 
          Les grands manitous des banques centrales à travers le monde – sauf de rarissimes exceptions – n'entrevoient pas les conséquences de leurs gestes car ils ne connaissent pas la nature de la déflation qu'ils tentent d'infléchir. L'inflation n'est pas, comme ils le croient, une augmentation générale des prix, mais une augmentation de l'offre de la monnaie et de crédit. De manière générale, celle-ci a pour conséquence une augmentation générale des prix des biens et services. De même, la déflation n'est pas une réduction générale des prix, mais bien une réduction de l'offre de la monnaie et de crédit qui a pour conséquence générale une diminution générale des prix.  
  
          Pour qu'il y ait croissance économique il doit d'abord y avoir plus de liberté. C'est la liberté qui permet aux gens de s'enrichir économiquement et moralement. La richesse économique consiste en l'épargne accumulée et la production de biens de consommations. C'est lorsque ce bassin de richesse est à la baisse que les véritables problèmes commencent.  
  
Un crédit trop abondant 
  
          Le crédit trop abondant encourage des entrepreneurs et des investisseurs dans certains secteurs de l'économie à prendre des risques qu'ils n'auraient pas pris en temps normal. Lorsque le crédit s'estompe, ils réalisent que leurs investissements n'étaient pas vraiment rentables et sont perdus. Ces pertes se répercutent chez les banquiers qui prêtent alors moins d'argent pour se couvrir. Le résultat est que l'argent qui a été créé de « nulle part » finit par se retrouver « nulle part ». C'est-à-dire que le crédit crée frauduleusement par la banque centrale et amplifié par le système des réserves fractionnaires finit par disparaître littéralement de la masse monétaire. Précisons qu'il s'agit d'une fraude légale. Ce qui ne la rend pas légitime pour autant. Ainsi, dans ce processus, certains se sont effectivement enrichis sans rien produire, alors qu'au contraire, d'autres se sont effectivement appauvris en tentant de produire.  
  
          Autrement dit, le point de départ de cet effet domino est l'inflation qui érode le bassin de richesse et qui, à son tour, peut conduire à une véritable déflation et à une baisse générale des prix (un phénomène qui est encore loin de se concrétiser, puisque la masse monétaire continue d'augmenter rapidement). La déflation n'a pas de vie en soi, elle est la conséquence de l'inflation et celle-ci, à son tour, est provoquée par ceux qui disent vouloir « prévenir » le mal. Or, ils sont le mal!  

          Comme injustice, c'est difficile à battre, et nous pouvons en remercier notre gouvernement. Or, c'est en grande partie à ce système bancaire (banque centrale, planche à billets et réserves fractionnaires) que l'on doit l'État-« providence » et une meilleure compréhension de ce système pourrait bien aider à nous en débarrasser. Il ne tient en effet qu'à la confiance que nous lui accordons. De façon concrète, l'effondrement du système pourrait bien survenir lorsque les investisseurs de l'Union européenne, du Japon et d'ailleurs décideront de rapatrier massivement leurs investissements des États-Unis. La baisse de la valeur du dollar américain depuis quelques mois est un signe annonciateur d'un tel développement.  
    
          La déflation ou l'argent qui disparaît de la même manière qu'elle a apparue serait une bonne chose dans les circonstances, car c'est de la fausse monnaie. Cependant, les fonctionnaires de la Réserve fédérale ne comprenant pas qu'ils en sont la cause tentent de l'éviter par le moyen même qui lui a donné naissance. Si la déflation suivait son cours normal, les entrepreneurs qui ont été leurrés liquideraient d'autant plus vite leurs entreprises, ou à tout le moins leurs projets en cours pour en entreprendre d'autres plus créateurs de richesses. Mais l'aveuglement étant mêlé aux bons sentiments mal placés, les dirigeants gouvernementaux tenteront de sauver ces entreprises de la mort, à l'aide de notre argent et de l'argent artificiel qu'ils créent par milliards. C'est de cette façon que Roosevelt a empiré et prolongé la Grande Dépression, au lieu d'y mettre fin comme le prétendent la plupart des livres d'histoire.  
  
          Or, pour relancer l'économie, il faut apprendre à laisser mourir les entreprises non rentables sinon ce sont les consommateurs qui écopent – ceux-là mêmes, pourtant, à qui fonctionnaires et politiciens cherchent tant à plaire. De même, il faut cesser de jouer avec le taux d'intérêt car on brouille ainsi un indicateur économique crucial. Il faut également cesser d'avoir peur des prix qui baissent, comme d'ailleurs des prix qui montent, car ce ne sont pas eux qui détruisent l'économie, mais leurs manipulations par les gouvernements. Bref, il faut laisser faire. Mais ce qui est primordial, à l'heure actuelle, c'est de mettre fin à ce système bancaire frauduleux. Autrement dit, la seule chose qu'il faut demander aux politiciens c'est de débarrasser le plancher avant qu'il s'effondre sous vos pieds. 
 
* Ce texte est inspiré notamment de l'article « Nowhere to Turn » de Frank Shostak (Ludwig von Mises Institute, 8 avril 2003). 
 
 
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