Montréal, 10 mai 2003  /  No 124  
 
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Michel de Poncins écrit les flashes du Tocqueville Magazine et est l'auteur de Thatcher à l'Elysée (éditions Odilon Média).
 
OPINION
 
RETRAITES: NE PAS SEMER LE VENT ET RÉCOLTER MALGRÉ TOUT LA TEMPÊTE
 
par Michel de Poncins
  
  
          Il est clair pour tous que le premier ministre Raffarin ne bouge vraiment sur aucun problème tout en énonçant dogmatiquement qu'il va droit au but, sans d'ailleurs préciser lequel. Ainsi en est-il des retraites et, néanmoins, il se trouve placé devant de grandes manifestations prévisibles et une grève générale le 13 mai. 
 
          Il a commencé par annoncer qu'il ferait les réformes nécessaires pour sortir enfin de l'écroulement programmé, mais dans la foulée il s'empressait d'ajouter qu'il ne toucherait pas à la répartition, présentée mensongèrement comme une forme de solidarité nationale. Cette indication détruisait toute la volonté affichée de réformes puisque c'est le système de la répartition qui provoque les problèmes et qui s'écroule inévitablement sur lui-même, l'écroulement étant favorisé par la démographie que l'on connaît. 
  
          Quant aux projets qui mobilisent l'hostilité des syndicats, ce n'est qu'un moulinet dans un verre d'eau. Voyons ce qu'il en est, notamment, après la venue à l'émission des 100 minutes pour convaincre du ministre des Affaires sociales François Fillon, qui n'a convaincu personne ce jeudi 24 avril 2003. 
  
Un énorme mensonge 
  
          Le passage progressif des fonctionnaires à 40 ans de cotisations est présenté comme une mesure de justice sociale, l'inégalité en leur faveur paraissant scandaleuse. Mais c'est d'abord et surtout un énorme mensonge: les fonctionnaires ne cotisent jamais puisque leurs retraites sont payées par les privés sur leurs impôts sans qu'une caisse de répartition quelconque intervienne. Il n'y aura donc aucune ressource nouvelle.  
  
          La seule réalité est que progressivement ils devront travailler plus longtemps. Cela ne donnera pas un sou de plus aux privés dont la retraite continuera à disparaître. Bien au contraire, les fonctionnaires travaillant plus longtemps coûteront encore plus cher et nuiront plus longtemps à la création de richesse par les privés. Au risque de lasser, répétons que seule la création de richesse par les privés résoudrait le problème des retraites et bien d'autres dans la foulée. 
  
          On parle, mais tout à fait en pointillé, de la suppression progressive des avantages statutaires et catégoriels parfaitement scandaleux de certaines de ces fonctionnaires: voilà une mesure qui pourrait rapporter quelque argent. Mais elle n'aurait un peu de signification que si le premier ministre indiquait l'impôt à supprimer en conséquence. Faute de le faire tout le monde sait que l'argent disparaîtra à jamais dans le grand trou de l'État principalement au profit des élus et autres prédateurs publics. 
  
          Pour les privés, on promet donc le maintien de la répartition, mais bien évidemment en bricolant pour boucher les trous. À ce titre, la durée des cotisations va être allongée. Ici ce sont de vraies cotisations mais ce sera des gouttes d'eau sur un incendie. 
  
          Une annonce vraiment stupéfiante a été lancée. Tous les problèmes seraient résolus en 2020 à cause de l'évolution démographique! On nous promet rien moins que la quasi disparition du chômage grâce la fin du baby boom. Il y aurait, alors, moins de charges de chômage et donc dix milliards d'euros en plus pour les retraites: la quasi-destruction de la population française viendrait au secours de l'emploi! Chimène qui l'eût dit? Nous avouons que l'imagination la plus débridée n'aurait pu y penser. La grande presse, malgré sa servilité coutumière, n'a pas voulu beaucoup commenter, peut-être par peur du ridicule. 
  
     « Le Smic s'analyse déjà comme un obstacle à l'emploi et donc à la solution des retraites et on augmente en fait son statut et son attrait. Aussi on va favoriser ceux qui ont commencé à travailler très jeunes. Ne créant pas de ressources et continuant son oeuvre destructrice de l'économie, le pouvoir disperse de l'argent qui n'existe pas. »
 
          Pour faire passer une pilule qui n'est qu'apparente, on s'empresse de jeter des miettes aux syndicats. C'est ainsi qu'on va encourager le travail non qualifié en augmentant la retraite des smicards. Le Smic s'analyse déjà comme un obstacle à l'emploi et donc à la solution des retraites et on augmente en fait son statut et son attrait. Aussi on va favoriser ceux qui ont commencé à travailler très jeunes. Ne créant pas de ressources et continuant son oeuvre destructrice de l'économie, le pouvoir disperse de l'argent qui n'existe pas. 
  
          Dans la foulée, de nouvelles bureaucraties étatiques vont être consolidées ou créées, ce qui est le propre de tout pouvoir socialiste. Il a été question lors de l'émission du fonds de réserve des retraites inventé par Jospin, et Fillon a dit fièrement qu'il venait d'être mis en marche avec conseil d'administration et tout et tout. Ce fonds gère 14 milliards d'euros et sa gestion ne coûtera que 10 millions d'euros par an avec seulement 26 personnes. Il sera alimenté par les recettes de privatisation. De qui se moque-t-on?  
  
          Pour privatiser les dinosaures publics, il va être obligatoire de fusionner leurs retraites extravagantes avec celles du privé, ce qui démolira davantage ces dernières, ou de les payer par les impôts, ce qui revient au même. Le premier acte de toute privatisation est ainsi de ruiner les retraites de tous. Quant aux quelques sous qui seront récoltés, la logique voudrait qu'ils remboursent des emprunts et conduisent par suppression des intérêts à des réductions d'impôts. 
  
          À une question plus précise, François Fillon a répondu que de toute façon ce fonds était mineur par rapport au problème, ce que tout le monde sait fort bien. Alors pourquoi le maintenir sinon pour enrichir ses dirigeants? Un autre organisme nouveau va être créé: la commission de garantie des retraites, chargée de veiller à leur pérennité. À quoi peut servir une commission de plus sans pouvoir et sans statut? 
  
Un seul petit pas positif 
  
          Le seul petit pas positif est une toute petite fenêtre vers la possibilité pour les privés d'adhérer à des fonds de pension. Mais c'est une toute petite bouffée d'air frais pas du tout à la mesure du trou noir en formation. 
Malgré le vide de la pensée, les syndicats se mettent donc en route et promettent la tempête. Ils ont finalement raison d'agir ainsi. Le gouvernement avait bien indiqué qu'ils ne feraient rien sans eux, ce qui est tout à fait antidémocratique, et, en bons stratèges des intérêts financiers de leurs dirigeants, ils s'engouffrent dans la brèche ainsi ouverte. 
  
          Le plus surprenant est l'attitude du Medef. Il critique seulement le manque d'ambition mais, restant toujours dans le cadre de la répartition, il salue l'égalité prévue pour le public et le privé dans l'âge du départ et salue la « grande nouvelle d'un gouvernement qui entame enfin les réformes structurelles! »  
  
          On reste pantois devant un tel texte. Est-ce de l'ignorance? Les grandes entreprises, dont le Medef est l'émanation, sont dirigées par les meilleurs élèves de l'Éducation nationale, c'est-à-dire que ces dirigeants ont subi de plein fouet toute leur vie le lavage de cerveau officiel. Malgré l'évidence, ils mettent sur le même pied les privés qui créent de la richesse et les fonctionnaires dont 80% environ détruisent par leur propre activité la richesse que créent les privés. Peut-être, aussi, les liens financiers, psychologiques et d'amitiés sont tels dans l'économie mixte qu'ils sont dans l'impossibilité presque physique de dire la vérité même s'ils la connaissent. 
  
          Devant cette déroute générale, on ne peut critiquer les jeunes qui ont la chance et le talent de pouvoir aller travailler à l'étranger là où ils récolteront dans la liberté le fruit de leurs efforts. 
  
          Bonne chance à tous pendant la tempête de grèves qui s'annonce! 
 
 
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