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Montréal, 10 mai 2003 / No 124 |
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par
Mickaël Mithra
Qu'est-ce que la démocratie? N'importe quel dictionnaire nous donnerait une réponse du genre: |
Trancher
entre des alternatives
Pour Le peuple est composé d'un certain nombre d'individus ayant chacun leurs préférences sur un ensemble de choix possibles. Le premier problème incontournable à résoudre pour pouvoir parler de démocratie est donc l'agrégation de ces préférences individuelles en un choix collectif. Or les choses sont moins simples qu'il n'y paraît. Parce que l'agrégation ne peut pas se faire n'importe comment, sauf à cesser d'être qualifiée de Ce sont ces principes que nous allons formaliser plus clairement. Cette formalisation peut s'exprimer mathématiquement, mais pour la rendre plus accessible, notamment à ceux qui n'aiment pas les symboles mathématiques, j'utiliserai simplement le langage courant. 1. Principe d'universalité Ce principe énonce qu'à partir du moment où le groupe des individus dont les préférences vont être érigées en choix collectif a été déterminé, on ne peut pas éliminer par commodité les préférences de certains. Par exemple, si le processus d'agrégation est un vote, on ne peut pas décider que les votes de Durand et de Dupond, quoique procéduralement corrects, sont nuls. Sinon, qui oserait encore parler de démocratie? 2. Principe d'unanimité Ce principe énonce que si tous (pas seulement la majorité, mais bien TOUS) les individus préfèrent A à B (A et B étant des choix possibles dans l'ensemble des choix à agréger), alors le choix collectif devra aussi préférer A à B. Exemple: un groupe d'individus veut décider collectivement s'il y aura des poires, des pommes ou des abricots au dessert (et un seul de ces choix). Le principe d'unanimité énonce simplement que si tout le monde préfère les poires (A) au pommes (B), il ne peut y avoir de pommes au menu. Comment prétendre qu'une procédure qui viole un tel principe soit démocratique? 3. Principe de non-dictature Ce principe énonce que la préférence d'un seul individu ne peut être érigée en préférence collective si tous les autres sont d'avis contraire. Sans doute ce principe se passe-t-il de commentaire... 4. Principe d'indépendance vis-à-vis des états non pertinents Ce principe, quoique moins intuitif, n'en est pas moins incontournable. Il énonce que le choix collectif entre A et B ne doit dépendre que des choix individuels entre A et B et non d'un « état non Exemple: Un groupe d'amis en vacances doit choisir démocratiquement s'il ira à la plage (A), au cinéma (X) ou faire le ménage (B). Imaginons que la procédure d'agrégation (qui peut être par exemple un vote) ait mené au choix collectif suivant: le groupe préfère aller à la plage (A) plutôt que faire le ménage (B). Après cela, ils apprennent brusquement que le cinéma est fermé (état indépendant non pertinent). On reprocède à la consultation et à l'agrégation des choix individuels, selon les mêmes règles que précédemment. Le principe d'indépendance énonce que si personne n'a changé d'avis quant à ses propres préférences, le résultat ne doit pas être différent. Si donc le résultat de cette deuxième consultation est que le groupe préfère faire le ménage plutôt qu'aller à la plage parce que le cinéma est finalement fermé, alors, le principe d'indépendance a été violé. On dit que la procédure d'agrégation était manipulable(1). En réalité, une procédure manipulable fait en sorte que les consultés aient intérêt à ne pas révéler leurs véritables préférences. On peut croire a priori que ce principe n'est pas important, et que s'en passer fait partie des
5. Principe de transitivité Si dans le résultat de la consultation, A est préféré à B et B est préféré à C, alors A doit être préféré à C. Sinon, bien évidemment, n'importe quoi est préféré à n'importe quoi et il n'y a plus moyen de parler de Fort de ces cinq principes qu'aucune procédure d'agrégation démocratique digne de ce nom ne devrait jamais violer, nous pouvons maintenant énoncer le théorème d'Arrow, du nom de celui qui l'a formulé, Kenneth J. Arrow, Prix Nobel d'économie en 1972. Le théorème d'Arrow (1951) Le voici: Il n'existe pas de procédure d'agrégation des choix individuels en choix collectifs qui respecte les Remarquez ici qu'il s'agit bien d'un théorème mathématique et non d'une théorie empirique. J'ai exprimé les hypothèses d'Arrow en langage courant, mais elles sont également exprimables en langage mathématique. Ce théorème a été démontré de façon conclusive, par plusieurs méthodes d'ailleurs(3). Il est donc inutile de chercher à le prendre en défaut, sauf si vous avez vraiment du temps à perdre(4). Il faut d'ailleurs préciser qu'Arrow n'a pas été le seul à avoir mis à jour l'impossibilité logique des prétentions démocratiques. Il n'a fait que développer la théorie des choix publics, déjà pressentie au XVIIIe siècle par Borda et Condorcet, qui avaient déjà mis en relief certaines incohérences propres aux procédures de vote. Il a été suivi par de nombreux disciples (comme Gibbard, Satterthwaite, Müller, Bossert, Storcken, etc.). Les théorèmes démontrés par ces successeurs utilisent des hypothèses encore plus simples et minimalistes, ce qui donne à leurs résutats une force encore plus lapidaire(5). Dans certains cas, comme les hypothèses d'Arrow ne plaisaient pas aux démocrates, ces logiciens ont démontré les mêmes impossibilités avec d'autres hypothèses (comme la monotonie). Les défenseurs de la démocratie soutiendront sans doute à ce stade que la démocratie directe est effectivement impossible, ce qui justifirait l'élection de représentants. Mais cet argument ne tient justement pas puisque l'élection des représentants est elle-même une procédure d'agrégation des choix individuels en choix collectifs, et qu'elle est donc impossible (selon les hypothèses démocratiques) pour les mêmes raisons. De plus, que peuvent bien représenter ces Je pose donc solennellement la question aux démocrates: Que représentent les Remarquons ici que les adversaires de la démocratie, c'est-à-dire de l'obscurantisme moderne, font montre d'une excessive bonne volonté à l'égard des démocrates: en effet, il appartient aux démocrates de démontrer que leurs concepts Toutes ces foutaises démocratiques ne me dérangeraient évidemment pas si les démocrates se contentaient de s'appliquer à eux-mêmes leur croyance absurde. Mais non! Comme tous les fanatiques religieux, ils veulent l'imposer à la terre entière! Quelle différence y a-t-il entre les fous d'Allah et les fous du vote? Malheureusement il n'y en a pas.
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