Montréal, 19 juillet 2003  /  No 126  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
LE CONTRIBUABLE, LE PROPRIÉTAIRE
ET LA SOLIDARITÉ FORCÉE!
 
par Gilles Guénette
 
 
          « Je ne suis pas un gros fan [des syndicats]. En même temps il faut des syndicats parce qu'autrement il y aurait des exagérations. » Ces mots sont de Denys Arcand alors qu'il présentait son film Les invasions barbares à la presse quelques semaines avant sa sortie officielle au Québec (www.cyberpresse.ca, 15 avril 2003). Pourquoi cette allusion aux syndicats? Parce qu'il en est question dans son film.
 
          Pour illustrer son peu d'enthousiasme pour les syndicats du secteur hospitalier, le cinéaste y est allé d'une anecdote. Hospitalisée lors de la dernière grève générale dans les hôpitaux, sa mère de 75 ans n'avait pas mangé depuis trois jours. Son frère parti chercher du poulet pour elle a été bloqué par des grévistes qui lui refusaient l'accès de l'hôpital. La raison? Ils ne voulaient pas que soit allégée la tâche des gestionnaires à qui il revenait de faire manger les malades. 
  
          « Il faut des syndicats parce qu'autrement il y aurait des exagérations! » C'est drôle comment certains justifient toujours les actions des syndicats (ou les interventions de l'État) en disant que sans elles, « il y aurait des exagérations ». Ils disent ça en se gardant bien de voir les nombreuses exagérations dont sont responsables les syndicats eux-mêmes, les organismes gouvernementaux, l'État. Ils disent que c'est un mal nécessaire. Un mal pour un bien. Quelque chose comme ça. 
  
Certains sont plus égaux que d'autres 
  
          Nos élus, sous la pression des lobbys et des... centrales syndicales, mettent en place toujours plus de lois et structures pour empêcher les « exagérations » des gros (les entrepreneurs) aux dépens des petits (le bon peuple). Sans elles, notre qualité de vie serait, nous dit-on, beaucoup moins riche qu'elle ne l'est aujourd'hui. N'eut été d'elles, la mère d'Arcand aurait fait les frais d'actions bien pires de la part d'employés non syndiqués, de décisions bien pires d'une direction d'établissement privé. Qu'elle ait fait les frais d'une ou deux actions syndicales bénignes est, comme ne pas manger pendant trois jours, somme toute acceptable... 
  
          Après tout, tout le monde sait que les syndiqués ne sont « en business » que pour le plus grand bien de la population. Que c'est pour nous qu'ils descendent régulièrement dans la rue pour revendiquer de meilleures conditions de travail! Comme c'est pour nous qu'ils appuient inconditionnellement des lois telle la loi « antiscabs » qui interdit aux employeurs d'avoir recours à des briseurs de grève lors de conflits de travail – et qui fait en sorte que les conflits se terminent souvent par une population prise en otage. 
  
          Qui n'a pas souvenir d'un retour à la maison cauchemardesque alors que le centre-ville est complètement paralysé par les moyens de pression d'employés de la Société de transport de Montréal qui solidairement ont décidé de tout bloquer, question de faire progresser leurs négociations? C'est toute la population qui subit les revendications d'une petite clique de travailleurs sur-rémunérés, sur-protégés, mais malgré tout insatisfaits de leur statut de privilégiés. Mais « il faut des syndicats parce qu'autrement il y aurait des exagérations! » 
  
          Sont-ils solidaires avec nous, payeurs de taxes, lorsqu'ils réclament et obtiennent de meilleures conditions de travail – des conditions de travail auxquelles on ne peut que rêver en remplissant notre déclaration d'impôt? Sont-ils solidaires avec nous lorsque leurs moyens de pression nous causent retards et dépenses supplémentaires? Sont-ils solidaires avec nous lorsqu'on doit couper dans nos sorties, vacances, et rénovations pour qu'eux puissent se payer les leurs? Ils sont solidaires entre eux, point. 
  
Les locataires ont tous les droits 
  
          Idem pour les locataires, qui dans notre marché du logement sur-réglementé ont tous les droits et sont sur-protégés par l'État. Parce qu'il y a eu quelques « exagérations » de la part de propriétaires à un moment donné, nos politiciens ont mis sur pied la Régie du logement. Vous feriez un sondage demain et la majorité des personnes sondées vous diraient que sans elle, « il y aurait des exagérations ». Sans elle, des gens se retrouveraient entassés dans des logis trop petits, trop chers, ou insalubres. Certains, carrément dans la rue. Résultat: les propriétaires ne peuvent plus briser un bail sans devoir 1) se transformer en fonctionnaire extraordinaire, 2) passer des mois à courir les convocations à la Régie.  
  
          Mon ex-voisin est un bon exemple de ces exagérations « socialement tolérées ». Dans la soixantaine avancée, il vivait paisiblement en compagnie de son épouse au premier étage d'un magnifique triplex du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Ayant habité dix ans au dernier étage du triplex attenant, je l'ai vu prendre soin de sa propriété durant ces dix années. À chaque année, il repeignait les escaliers; à chaque deux ou trois ans, il repeignait les balcons; il goudronnait régulièrement la toiture de son garage; les pelouses avant et arrière étaient toujours impeccables... Bref, il prenait un très grand soin de son édifice.  
  
          Il y a trois ans, il a loué le second étage à une famille – père, mère, fille et chum. Des gens bien tranquilles qui passaient toutes leurs journées à la maison (et ce, même s'ils avaient tous l'air bien en santé...) Un bébé est arrivé dans le portrait. Le chum est parti. Le père et la mère ont suivi. La jeune femme s'est retrouvée seule avec son petit. Comme si elle avait décidé qu'il était grand temps de penser à elle et de finalement s'émanciper, notre voisine a commencé à faire ce qui lui plaît, quand ça lui plaît. Au risque que ça déplaise aux autres... 
  
     « Sur tout bail, il y a pourtant une clause qui stipule que le locataire s'engage à respecter la tranquillité des lieux. Pourquoi un propriétaire à qui appartient l'immeuble locatif n'aurait-il pas le droit de mettre fin à un contrat lorsque celui-ci est brisé? »
 
          Elle s'est déniché trois co-locataires, deux gars, une fille, qui comme elle, ne semblaient pas faire grand-chose de leurs journées (même si, eux aussi, avaient l'air bien en santé). Et le party a commencé. Finies les années passées tranquilles, dans le respect d'autrui, notre femme-ado s'est mise à écouter de la musique à n'importe quelle heure de la journée ou de la soirée et à fêter avec sa gang sur le balcon jusqu'aux petites heures du matin. 
  
          Difficile de se concentrer lorsque vous travaillez à la maison et que votre voisine écoute Radio Énergie à tue-tête à longueur de journée. Difficile de dormir lorsque l'été les fenêtres sont toutes grandes ouvertes – chaleur oblige! – et que les voisins – qui n'ont pas à se lever tôt le lendemain eux – sont tous cordés sur le balcon à boire de la bière – qu'ils se sont payée à même mes taxes – et à rire fort en se contant des farces plates. Vous avez beau leur demander poliment de baisser le ton, ils vous regardent comme si vous débarquiez d'une galaxie far, far away, et ils reprennent de plus belle... 
  
          Les relations entre le propriétaire et la jeune femme se sont détériorées. Les deux ont commencé à se crier des noms d'un balcon à l'autre. La musique a monté de plusieurs crans. Les co-locataires se sont mis de la partie. Tout ça a dégénéré jusqu'à ce qu'une pancarte « à vendre » fasse son apparition sur l'impeccable pelouse du magnifique triplex. La monoparentale et ses ami(e)s avaient gagné! Le jour de mon déménagement, la petite dame du troisième étage – qui vivait là paisiblement avec son mari depuis 33 ans! – disait m'envier, qu'elle ne pouvait plus endurer le bruit du dessous et qu'elle se cherchait, elle aussi, un autre logement. 
  
Autorisation d'abuser 
  
          Sur tout bail, il y a pourtant une clause qui stipule que le locataire s'engage à respecter la tranquillité des lieux. Pourquoi un propriétaire à qui appartient l'immeuble locatif n'aurait-il pas le droit de mettre fin à un contrat lorsque celui-ci est brisé? « Parce qu'il y aurait des abus », s'empressent de dire les défenseurs des locataires, des « mal-logés » et des plus démunis. N'y a-t-il pas abus actuellement de la part des locataires?  
  
          Pourquoi est-ce plus important de protéger des locataires qui n'ont aucun respect pour quoi que ce soit que des propriétaires qui ne demandent qu'à faire leur petite affaire tranquillement? Parce que quelqu'un dans le duo locataire/propriétaire fait du profit. Et le profit, en social-démocratie, c'est mal vu. Aussi minime soit-il. Aussi parce qu'au Québec on a élevé le logement au rang de « droit » et que cette sorte de « droit » entraîne inévitablement le droit d'en abuser. 
  
          Le type qui vend son triplex parce qu'il n'en peut tout simplement plus des problèmes, la dame qui doit déménager après 33 ans au même endroit, moi qui quitte mon logement pour avoir la paix... c'est de l'abus. Quoi qu'en disent les socialistes du FRAPRU, de la Convergence des luttes anti-capitalistes (et de sa filiale CLAC-logement), du POPIR comité logement, du Logem'en occupe ou du Comité BAILS Hochelaga-Maisonneuve – il y en a donc ben de ces affaires-là, ça doit être payant!  
  
          Comment expliquer que c'est la locataire délinquante qui reste en place et tout le bon monde qui change de place? Pourquoi devons-nous tous payer pour qu'elle puisse continuer de se foutre de tout et déranger impunément tout le monde? Sans doute pour les mêmes raisons qui font qu'on permet aux syndiqués de prendre une population en otage. Par « solidarité » 
  
          Toutes ces protections sociales (syndicats favorisés par l'État, organismes de défense de tout et de rien, programmes gouvernementaux, etc.) ne font qu'encourager les incompétents à demeurer incompétents, les « mésadaptés sociaux » à demeurer socialement déficients. Et tous ceux qui vivent correctement – ou qui tentent de vivre correctement – n'ont qu'à s'adapter et/ou à regarder leur qualité de vie se détériorer. (Et on se demande après pourquoi plus personne ne veut investir dans le logement locatif!) 
  
          L'État doit se retirer du secteur, cesser de privilégier les uns aux dépens des autres et laisser le système d'échange fondé sur les contrats prévaloir. C'est simple, si vous ne respectez pas les clauses de votre bail, vous êtes expulsé après trois avertissements. Et vous n'avez plus la grosse main invisible de l'État pour venir à votre rescousse si vous dérogez à vos responsabilités. Ça veut dire que tout le monde a alors intérêt à vivre dans le respect des règles.  
  
          Le logement redeviendrait un secteur d'activité profitable pour les investisseurs, il y aurait plus de construction et le prix des loyers diminuerait. Un locataire honnête insatisfait du service ou de l'attitude de son propriétaire pourrait facilement se trouver un autre logement. Les droits de propriété et les règles du marché feraient en sorte de répondre aux besoin de tous, locataires et propriétaires, sans exagération de part ou d'autre.  
 
 
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