Montréal, 13 septembre 2003  /  No 128  
 
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Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser et auteur de Le monopole de la santé au banc des accusés, Montréal, Éditions Varia, 2001.
 
ÉCONOMIE POLITIQUE
 
JOUR DE LIBÉRATION FISCALE
  
par Jean-Luc Migué
  
  
          L'Institut Fraser publie depuis quelques années une mesure particulièrement expressive de la lourdeur du fisc au Canada, au Québec en particulier. Pour la plupart des gens, il s'agit d'un indice beaucoup plus éloquent que le ratio entre le fardeau fiscal et le PIB. On l'appelle le jour de la liberté fiscale ou jour de la libération fiscale (Tax Freedom Day). 
  
          Pour le calculer, on fait la somme de tous les impôts (revenu, ventes, tabac et boissons, immatriculation et essence, immeubles, profits, ressources), versés au cours de l'année par la famille canadienne moyenne (33 131 $ au Québec), que l'on compare ensuite au revenu monétaire touché par la famille (66 558 $ au Québec). Le ratio ainsi obtenu (taux de taxation moyen du revenu: 49,8% au Québec) est ensuite transposé aux 365 jours de l'année civile.
 
La fête du 28 juin 
  
          Cette année, c'est le 28 juin qu'on célèbre cette fête. Ce qui signifie que les Canadiens ont travaillé et trimé jusqu'au 27 juin pour s'acquitter de tous leurs impôts envers les différents niveaux de gouvernement depuis le début de l'année. Si on exprimait la même réalité en heures dans une journée de travail de 9 à 5, on dirait qu'il a fallu travailler jusqu'à une heure de l'après-midi pour les gouvernements avant de pouvoir garder l'argent qu'on a gagné. En un mot, la famille canadienne travaille la moitié de l'année pour assouvir l'appétit fiscal insatiable de nos gouvernements, l'autre moitié pour elle-même. 
  
          En raison du fait que les provinces et les municipalités prélèvent des impôts distincts les uns des autres, le jour de la libération n'arrive pas en même temps dans chaque région du pays. Comme on le devine, c'est au Québec (et en Colombie-Britannique), toujours distinct comme le territoire depuis longtemps le plus lourdement taxé du Canada, que le jour de liberté fiscale arrive le plus tard, soit le 2 juillet plutôt que le 28 juin. Décidément, le milliard d'allégement fiscal promis par le gouvernement Charest n'a rien d'exagéré; il ne ferait que ramener le poids fiscal à 48,3% du revenu, soit à peu près le taux moyen de l'ensemble du Canada (48,6%). 
  
          Ce n'est pas en Alberta que la libération se produit le plus tôt (15 juin), mais paradoxalement dans les Maritimes (du 8 au 16 juin), et cela en raison du fait que plus du tiers (de 33,6 à 39,3%) des revenus provinciaux dans cette région provient des autres provinces via les transferts fédéraux de péréquation et de partage des coûts (c'est 17,4% au Québec). C'est donc en repoussant plus tard le jour des réjouissances dans les autres provinces que les provinces maritimes peuvent célébrer plus tôt. 
  
          Le jour de la libération fiscale au Canada tombe cette année 2 jours plus tard que l'an dernier (2002). Ce qui explique que la facture fiscale annuelle de la famille canadienne s'est appesantie de 1 263 $ (1 409 $ au Québec) de 2002 à 2003. Notons aussi l'énormité de l'appesantissement fiscal depuis 1961, quand le jour de la libération arrivait le 3 mai, presque 2 mois plus tôt que cette année. L'aspect un peu moins décourageant de cette statistique est qu'on a gagné (au Canada comme au Québec) 4 jours depuis l'an 2000, alors que le jour de liberté n'arrivait que le 2 juillet (le 6 juillet au Québec). 
  
     « Le milliard d'allégement fiscal promis par le gouvernement Charest n'a rien d'exagéré; il ne ferait que ramener le poids fiscal à 48,3% du revenu, soit à peu près le taux moyen de l'ensemble du Canada (48,6%). »
  
          Le délai connu cette année dans notre libération, nonobstant la baisse de l'impôt fédéral des particuliers et l'indexation du revenu, découle pour 40% de l'énorme alourdissement des cotisations au régime de pension du Canada et du Québec. Le reste découle de l'augmentation du fardeau de l'impôt des particuliers sur le revenu, des taxes de vente et des taxes sur les profits des sociétés. La plus large part des rentrées fiscales supplémentaires est allée au gonflement des dépenses publiques, plutôt qu'à l'allègement fiscal. 
  
Un fardeau sur les investissements 
  
          On se souvient qu'en 2000, le gouvernement fédéral avait introduit un plan d'allègement fiscal de cinq ans, égal à 100 milliards de dollars, dont le quart était lié à l'indexation du revenu. En fait, après cinq ans d'effort, on aura réduit le fardeau fiscal d'un pour cent du PIB. Le programme Bush réalise deux fois mieux dans un régime fiscal déjà au départ de 10 points de pourcentage plus léger. Ce qui signifie que notre fardeau fiscal relatif s'alourdira de 2% de PIB par rapport aux États-Unis. De plus, la baisse d'impôt chez nous réduisait moins qu'aux États-Unis les taux marginaux, qui sont les plus néfastes pour la croissance et la création de richesse; elle ne touche pas non plus la double imposition des dividendes, aussi dépressive pour les investissements.  
  
          La lourdeur du fisc ne fait pas qu'imposer un poids actuel aux victimes, elle entraîne en même temps une chute du revenu familial dont est extrait ce fardeau. L'avantage d'un faible niveau de fiscalité est de favoriser l'épargne, l'investissement, le travail, l'emploi et l'innovation, et donc l'accélération de la croissance à long terme. C'est en bonne partie à cause du poids fiscal que le Canada se classe mal dans l'attrait qu'il exerce sur les investissements. Les régimes fiscal et réglementaire d'un pays sont les déterminants premiers du taux de rendement sur les investissements, qui détermine à son tour les investissements.  
  
          Or selon le professeur Jack Mintz, le taux effectif des taxes sur le capital des sociétés s'inscrit à 31,8%, comparé à 20,1% aux États-Unis. Au cours de la dernière décennie, l'investissement net en machinerie et équipement par personne est en retrait de 18,3% sur le chiffre américain. La même leçon se dégage de la comparaison entre l'accumulation de capital en Alberta (34 784 $ par tête) d'une part, au Québec et en Colombie-Britannique d'autre part (guère plus de 20 000 $). Il en va de même de l'évolution du nombre de sièges sociaux des grandes sociétés.  
  
          Pas étonnant que l'OCDE classe le Canada 12e sur 30 pays en matière de croissance prévue pour les prochaines années; la Banque Toronto Dominion et même la Banque du Canada sont aussi pessimistes pour les années à venir. 
  
 
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