Montréal, 13 septembre 2003  /  No 128  
 
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Jasmin Guénette est étudiant à la maîtrise à l'Université du Québec à Montréal.
 
LES AVENTURES DE LUC CYR
Besoin de vacances, sauf que... (no 123)
La Naissance d'Amélie (no 119)
Luc Cyr et le permis de parent (no 117
Québec, 2012: Petit conte libertarien (no 116)
 
LES AVENTURES DE LUC CYR
 
SE TROUVER UN EMPLOI, 
PAS UNE SINÉCURE...
 
par Jasmin Guénette
 
 
          Ma dernière mésaventure me rappelle de vieux souvenir. Je n'aime pas trop me faire approcher par les forces de l'ordre. Je vois bien que mes habitudes de vie et mon goût de liberté déplaisent aux représentants de la santé et sécurité publique. Qu'à cela ne tienne, je dois faire quelque chose, je n'ai surtout pas envie de cogner à la porte d'un quelconque ministère pour obtenir de l'argent à ne rien faire. Je vais donc me retrouver un boulot puisque depuis mon arrestation, je ne travaille plus au resto. Mais avant toute chose, je vais aller récupérer la Cougar XR 7 V8 1986 de mon père.  
  
          Je me présente au comptoir de la Société d'entreposage du Québec, une société d'État qui gère le parc automobile inactif. Le personnel « qualifié », « certifié » et « accrédité » de l'endroit me fait patienter plusieurs minutes, le temps de trouver mon dossier et de le faire examiner par le responsable de l'Agence des traitements de réactivation des véhicules, une sous-division du Comité des révisions temporaires elle-même sous le contrôle de la Société d'entreposage. On me remet mon dossier, numéroté 857843-23428-JKG, et on me fait passer dans une salle adjacente. Déjà quelques personnes s'y trouvent. Mon numéro de client est le 24 et on sert le 16, ce qui veut donc dire que j'en ai pour plusieurs minutes à pourrir ici. 
 
          Deux heures plus tard, mon numéro est appelé, enfin, parce que je commençais à en avoir plein le dos de patienter gentiment. Je dois suivre la responsable du service à la clientèle dans un bureau fermé au fond de la salle. J'entre et vois un policier, celui qui m'a intercepté tout près de Repentigny il y a trois semaines. Ce que je ne savais pas c'est que, comme il a fallu que je prenne rendez-vous à l'heure voulu par les bureaucrates, ceux-ci, puisque la voiture est entreposée suite à mon arrestation, doivent contacter les agents et les responsables du commissariat pour faire une entrevue avec moi, question de connaître mes intentions sur l'utilisation future de ma voiture. Les lois sont très strictes pour les conducteurs d'automobiles qui voient leur véhicule arriver à la fourrière.  
  
          Je commence à avoir l'habitude des interrogatoires, je suis donc moins nerveux – mais tout aussi réticent à faire la pute et à mentir devant eux. Les premières questions sont celles d'usage: nom, prénom, adresse, etc. Ce que je ne comprends pas c'est que ce sont toujours les mêmes questions d'usage qui reviennent à chaque interview. Avec tous ces ministères, c'est surprenant de constater l'inefficacité totale qui règne dans les communications entre les agences gouvernementales. C'est peut-être mieux comme ça d'ailleurs, c'est pourquoi je ne passe aucunes remarques sur le sujet.  
  
          L'entrevue dure trente minutes, ce qui est plutôt court pour une séance de questions de la part d'agents gouvernementaux. Il faut dire que, comme je n'ai pas beaucoup d'argent, j'ai précisé que la voiture servira presque uniquement pour mes déplacements vers le travail – dès que j'en aurai trouvé un.  
  
          À la suite de mon entretien j'ai maintenant un permis probatoire 4-C, ce qui veut dire que mes déplacements sont réservés à l'intérieur d'un périmètre délimité par les autorités et que si je dépassais ce périmètre d'ici un an – période à laquelle je suis soumis à cette règle –, je devrai retourner la voiture à l'Agence de l'Entreposage du Québec. Cette période est pour mon bien, disent-ils, elle sera bénéfique pour améliorer mes habitudes de conduite et faire de moi un conducteur socialement responsable. Mais j'adore cette voiture et je dois faire des compromis pour la garder, sinon je vais la perdre. C'est une bonne chose de la retrouver. Maintenant je peux partir à la recherche d'un travail et ainsi me mettre un peu d'argent de côté pour que, dans un an, je puisse enfin prendre la route des vacances.  
  
          J'ai un ami, Mike, qui possède une boutique de linge et je décide donc d'aller le rencontrer pour voir s'il n'a pas besoin d'aide, soit comme vendeur ou pour faire un peu de gestion. Il me dit souvent qu'il est débordé et qu'il a de la difficulté à trouver des gens de confiance. Mike est un copain de longue date. Ses affaires vont bien, sa boutique, Electric Clothing, est très en vogue. Il en est le propriétaire depuis quatre ans. 
  
26 juillet 2020 
  
          Par un beau lundi matin je me présente comme prévu à la boutique de Mike. Nous allons prendre le petit-déjeuner ensemble. Après quelques minutes d'échanges nous commençons à parler business. 
    Moi: Écoute Mike, tu me dis souvent que tu as besoin d'aide, je te propose de travailler pour toi. Serais-tu intéressé? 
      
    Mike: Tu veux venir travailler pour moi et vendre du linge? 
      
    Moi: Certainement, je pourrais faire du bon travail. J'ai de bonnes habiletés de vendeur. Tu sais, j'ai aussi fait plusieurs cours de gestion à l'université avant d'aller passer quelque temps en vacances forcées. Ça pourrait être utile. 
      
    Mike: Je trouve l'idée intéressante. 
      
    Moi: Ah oui! 
      
    Mike: Bien sûr, j'aime bien mieux avoir des gens de confiance sur le plancher que le premier passant. Mais la question est de savoir si je peux t'engager. 
      
    Moi: Si tu peux? 
      
    Mike: Oui, si je peux. 
      
    Moi: Comment ça, ce n'est pas toi le patron? 
      
    Mike: Oui, mais il y a des règles à suivre tu sais. Je ne peux pas engager qui je veux, quand je veux. Il y a des procédures à suivre qui sont assez complexes merci. 
      
    Moi: Beaucoup de papier? 
      
    Mike: Non seulement du papier, mais des règles relatives au sexe et à l'origine de mes employés.  
      
    Moi: Je ne comprends pas. 
      
    Mike: La composition de mon équipe doit refléter la composition de la société dans son ensemble, c'est la loi. Ce ne sont plus seulement les compétences d'une personne qui sont les critères de sélection. Je dois engager, par exemple, le même nombre de femmes que d'hommes. Si le quota des sexes n'est pas respecté et qu'un représentant du Bureau provincial du recrutement du Québec arrive dans mon magasin et qu'il fait le décompte de mes employés, j'ai une amende. 
      
    Moi: Une amende?  
      
    Mike: Oui une amende. Cette amende correspond au montant que je verse en salaire à un employé régulier pour une semaine de travail et je dois payer jusqu'à ce que j'aie trouvé une personne pour remplacer le travailleur hors catégorie.  
      
    Moi: Hors catégorie? 
      
    Mike: Les seuls entreprises qui ne sont pas obligées de se soumettre à cette règles sont les entreprises familiales et celles qui ont moins de dix employés. Alors, comme j'en ai quarante-deux..., je dois me soumettre aux règles.  
      
    Moi: Tu les vois souvent les représentants de ce bureau? 
      
    Mike: Non, pas vraiment. Mais il faut faire des rapports à chaque trois mois. La Régie provinciale du recrutement du Québec compile les statistiques officielles et fournies aux employeurs les règles pour les trois mois suivants. 
          Pendant plus d'une heure j'ai écouté attentivement mon bon ami me parler des règles relatives aux embauches et je n'en revenais tout simplement pas. Toutes ces procédures à respecter. Cette loi, dit-il, ne fut pas très médiatisée, elle n'a été discutée que très brièvement et fait partie d'un volumineux document intitulé Pour une meilleure accessibilité à l'emploi: règles d'embauche d'un Québec équitable. Je crois bien que les membres du P.P.P. ne savent pas ce que veut dire « accessibilité à l'emploi ». Toutes ces procédures nuisent beaucoup plus aux gens qu'elles ne les aident. Pourtant, il n'y a personne – ou presque – pour les trouver complètement ridicules ou pour oser le dire.  
  
     « Je m'entretiens avec trois responsables de magasins à grande surface qui me disent tous la même chose: nous allons conserver votre CV, mais nous avons atteint nos quotas masculins d'embauche pour l'instant. »
 
          Finalement, je n'ai pas pu être engagé puisque Mike a déjà un nombre suffisant d'hommes dans son magasin. Mais il m'a promis que si quelqu'un quitte bientôt – ou s'il doit congédier un employé –, il me téléphonera. De toute façon, on se reverra puisqu'il a été décidé que l'on irait prendre un verre bientôt... 
  
          Cette discussion me laisse tout de même songeur. Toutes ces normes n'ont pas comme but premier de favoriser l'épanouissement des individus. Au contraire, elles forcent les gens à se soumettre contre leur gré à des lois qui font prétendument partie d'un projet commun. Toutes ces lois sont là, soutien le P.P.P., pour augmenter la coordination sociale entre les individus et s'assurer que tout le monde ait sa juste part. Mais ceux qui ne sont pas d'accord avec ce projet, ou qui, pour une raison ou pour une autre, sont totalement désintéressés, doivent tout de même suivre les rangs sans quoi ils subiront les foudres de la loi. Je ne vois rien de commun là-dedans! Je vois davantage des politiciens qui imposent leurs visions des choses à l'ensemble de la communauté. Il me semble que la « coordination sociale » n'a nul besoin de loi, que la « coordination » se fait naturellement par l'interaction libre entre les individus. 
  
          Je rentre à la maison avec l'intention de feuilleter les journaux rapidement pour me trouver un job. Mon petit coussin financier ne me permettra pas de survivre plusieurs mois sans emploi. Durant toute la journée, je téléphone et réussis à obtenir des entrevues dès le lendemain.  
  
27 juillet 2020 
  
          Je commence la journée chez un restaurateur très sympathique de la rue Bernard, à Montréal. Puis, je m'entretiens avec trois responsables de magasins à grande surface qui me disent tous la même chose: nous allons conserver votre CV, mais nous avons atteint nos quotas masculins d'embauche pour l'instant. Je visite aussi quelques magasins de musique et de livres; je rencontre des responsables des ressources humaines de deux grandes entreprises de Montréal et c'est encore et toujours la même chose: nos quotas sont respectés pour l'instant. « Pour une meilleure accessibilité à l'emploi », qu'ils disent! « Pour une meilleure coordination sociale. » Ouais, vraiment? 
  
          En marchant tranquillement dans la rue, je vois une annonce dans la vitrine d'un grand salon de coiffure qui demande d'urgence un employé masculin. Je ne connais rien à la coiffure, ni à tout ce qui touche les soins de beauté, mais j'entre tout de même. Par simple curiosité. Juste pour voir ce que les gens de ce salon vont me dire. Je me dis que je n'ai aucune chance mais bon, on va voir... 
  
          J'attends quelques minutes et je rencontre la gérante du salon, une gentille jeune dame du nom de Katy.  
    Katy: Bonjour cher monsieur. 
      
    Moi: Bonjour, je viens pour offrir mes services. Sauf que je ne suis pas coiffeur, mais je pourrais faire certaines tâches relatives à la gestion ou toutes autres choses qui ne s'appellent pas « coiffure ». J'ai suivi plusieurs cours de gestion à l'université et j'ai eu quelques emplois qui demandaient une attention particulière aux détails administratifs. 
      
    Katy: Ça tombe bien puisque nous avons besoin d'un responsable pour prendre les rendez-vous des clients, administrer l'inventaire des produits vendus et du matériel utilisés par les coiffeurs et coiffeuses. Nous serions prêts à faire un essai de quelques jours dès demain, si cela vous intéresse. Par la suite nous vous indiquerons si nous envisageons signer un contrat d'embauche. 
      
    Moi: Certainement, avec plaisir.
28 juillet 2020 
  
          Il fait très beau ce mercredi et c'est tant mieux, ça me donne le goût de travailler et je suis de très bonne humeur. Arrivé au salon, je dois m'asseoir avec Katy pour discuter de mon poste et de ce que j'aurai à faire. Ensuite, Katy me remet une pile de feuilles à remplir; c'est pour les bureaucrates, me dit-elle. Le Bureau local d'embauche, sous la direction de la Régie provinciale du recrutement du Québec, doit prendre connaissance des postes qui sont « en essai ». Un essai de plus de deux semaines est considéré illégal et l'employeur doit payer une compensation d'un mois de travail si la personne à l'essai n'est pas finalement choisie.  
  
          Katy me confie qu'elle est découragée de voir tout ce qu'elle doit respecter comme démarches avant même d'embaucher du personnel. Respecter les quotas plutôt que les compétences comme critère d'embauche n'aide personne. 
    Moi: Ça fait beaucoup de formulaires à remplir, vous ne trouvez pas? 
      
    Katy: Je sais très bien cela, mais si je ne coopère pas je vais perdre beaucoup d'argent et je risque de perdre ma boutique en bout de ligne. Tu sais, le problème, c'est que personne ne dit rien. Le P.P.P. contrôle tout ou presque et personne, comme par magie, ne dit rien de mal. Ils ont battu tous les autres partis depuis les trois dernières élections et à chaque fois ils ont un meilleur score. Ils distribuent des bonbons à leurs militants qui vont ensuite sur le terrain pour convaincre des nobodys de voter pour eux. Ils font croire que leurs positions sont celles du peuple. Celles qui font triompher la justice. En bout de ligne, les gens se battent pour leur asservissement en croyant se battre pour la liberté et la justice. Le pire c'est que voyant les résultats obtenus par le P.P.P., les autres partis politiques offrent sensiblement la même chose. Les politiciens travaillent beaucoup plus pour leur réélection que pour le bien des gens. Il y a tellement de bonbons distribués par les politiciens: des chèques, des lois protectionnistes, des subventions, des amendements, des exemptions... De cette façon, ils s'assurent que tout le monde ait un petit quelque chose, la « coopération » est plus facile par la suite.
          Tiens donc…  
  
1 octobre 2020 
  
          Tout va très bien depuis mes débuts au salon de coiffure. Je fais du bon boulot et la paie est bonne. C'est un vendredi matin pluvieux et il n'y a pas beaucoup de clients au salon quand un homme et une femme arrivent habillés aux couleurs du P.P.P. 
    Homme: Bonjour monsieur, nous sommes de l'Office régional des achats. Nous aimerions parler avec le propriétaire ainsi qu'à la personne responsable des achats ici.  
      
    Moi: C'est moi qui fait les achats pour la boutique et ce n'est pas un propriétaire mais bien une propriétaire. Son nom est Katy, je vais aller la trouver, un instant.  
      
    Moi: Katy, il y a des membres de la brigade du surveillant en bas au comptoir. 
      
    Katy: Du surveillant? 
      
    Moi: Oui, des agents du P.P.P. Ils veulent nous parler. Ils sont du Bureau des achats. 
      
    Katy: Merde! Je n'ai pas envie d'avoir des problèmes.
          Deux minutes plus tard. 
    Katy: Bonjour monsieur, bonjour madame, que puis-je faire pour vous?
À suivre... 
 
 
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