Cette idéologie n'est évidemment pas nouvelle – Malthus était
un écologiste avant l'heure – mais son succès semble, aujourd'hui,
atteindre une sorte de zénith. C'est en effet dans les écrits
du Club de Rome (années 1970) que l'idéologie verte trouve
ses fondements les plus « solides ». Certes, aujourd'hui,
l'écologisme est un « courant d'idées
» syncrétique, à la faveur d'une évolution
politicienne exigeante en prises de position systématiques sur tous
les sujets de l'existence humaine; l'écologie politicienne ne se
cantonne donc pas aux problèmes d'environnement. Elle a progressivement
prospéré sur une sorte de magma idéologique constellé
de chimères et d'incohérences, permettant au gauchisme d'antan
de reverdir quelque peu. Toutefois, c'est bel et bien sur la question de
l'environnement que l'écologisme a bâti son succès
d'estime intellectuel puis sa relative popularité électorale.
Et c'est sur cette question, entre toutes, qu'il convient de le passer
au scanner de l'esprit critique.
L'idéologie du Club de Rome tient en quelques thématiques
fortes, qui se déclinent en un projet de société particulièrement
« audacieux »: programme de ralentissement (pour
ne pas dire d'arrêt) de la croissance économique sur la base
de prédictions purement et simplement apocalyptiques (Nostradamus
est un enfant de choeur à côté de cette chapelle là!),
rêve d'une société « communautaire »
et frugale (qui n'est pas sans évoquer les utopies de Saint-Simon
et Fourier), eugénisme militant, le tout fondé sur une sorte
de théorie de la stabilité écosystémique à
laquelle nos principes d'organisation socio-économique dérogeraient
de manière dévastatrice. La nouvelle société
écologiste se bâtit à coup d'impôts et de réglementations
coercitives (pardon pour ce pléonasme), cela va sans dire.
Les questions que pose cette idéologie sont, à mon sens,
de quatre ordres:
-
D'abord,
que valent les prédictions apocalyptiques des théoriciens
écologistes?
-
Ensuite,
que vaut le programme d'organisation socio-politique que propose cette
idéologie?
-
Si problème
écologique de « croissance économique
» il y a, à quoi cela est-il dû?
-
Enfin,
quel est le système social le plus à même d'optimiser
les deux aspirations apparemment contradictoires que constituent la hausse
du niveau de vie des individus, d'une part, la préservation de l'environnement,
d'autre part?
Cet article se propose de critiquer l'idéologie verte dans ses fondements
mêmes et n'abordera donc que les deux premiers points évoqués.
Les deux derniers points, de facture plus positive, seront discutés
dans des articles ultérieurs.
L'apocalypse
pour demain
Il ne peut plus aujourd'hui pleuvoir ni faire chaud sans que cela soit
imputé aux déjections de nos industries. Demain, le climat
prendra de 2°C à 20°C (la fourchette est assez large mais
les inférences également catastrophiques), les océans
déborderont, les sauterelles nous envahiront, les énergies
fossiles disparaîtront, les épidémies se répandront,
les explosions sociales se généraliseront. Bref, à
côté des prédictions du Club de Rome (et de ses disciples),
la Bible fait figure de conte pour enfants. À quoi ce déluge
d'imminentes calamités est-il dû? À notre croissance,
pour les uns (ce qui n'est pas bête mais un peu court, on le verra),
à la mondialisation libérale, pour les autres (ce qui est
inepte). Il convient donc, en toute rigueur scientifique, d'adresser à
cet exercice prédictif, les trois objections de principe suivantes:
A)
D'abord, d'un point de vue épistémologique, précisons
que la science des écosystèmes et des climats est une discipline
« transversale », faisant appel à moult
savoirs et étant de ce point de vue aussi subjective que peuvent
l'être les sciences sociales. Que cela signifie-t-il? Que l'écologie
n'est pas une science « exacte » (pour peu qu'il
y en ait, d'ailleurs) et qu'en conséquence, il n'est nullement surprenant
que, sur la question des effets de l'industrialisation sur l'environnement,
s'opposent un certain nombre de théoriciens spécialisés.
Il convient de le rappeler à une époque où le «
paradigme écologiste » fait office de
dogme universel, paré de tous les atours d'un scientisme idolâtré
par maints intellectuels en manque d'esprit critique. Et puisque la question
de la science est indissociable des « conditions sociales
de sa production » (pour reprendre une formule marxiste),
rappelons cette particularité propre à toutes les idéologies
constructivistes: la société qu'elles promeuvent propose
toujours une place de choix à ceux qui en défendent et théorisent
le principe. Si la corporation des économistes est majoritairement
acquise au paradigme « macro-économique »
keynésien, n'est-ce pas un peu parce que la théorie économique
de Keynes leur donne le pouvoir de « faire l'économie
» au détriment des entrepreneurs (et des individus
en général)? N'en irait-il pas de même en matière
d'écologie? Disons qu'a minima, il n'est pas interdit de
le suggérer...
B)
En second lieu, toutes les tentatives de prospective socio-économique
de facture « planiste » ont été,
ces dernières années, démenties par des faits imprévus.
On ne voit pas bien pourquoi il n'en irait pas de même pour l'apocalypse
que nous promettent les écologistes. Ou plutôt si: il suffit
de lire leurs écrits pour y déceler de si criantes lacunes
théoriques qu'on comprend très bien pourquoi, aujourd'hui
et malgré ce qui était prédit dans les années
1970, le pétrole existe encore à l'état naturel, par
exemple. C'est que le postulat d'une « croissance exponentielle
» procédant d'une sorte de fuite en avant généralisée
bute – heureusement – sur un certain nombre d'effets autorégulateurs
totalement mésestimés par nos théoriciens écologistes
(j'y reviendrai). Toutefois, la prédiction apocalyptique ne peut,
en soi, être rejetée par principe: je ne connais aucun auteur
ayant clairement théorisé l'effondrement de l'empire soviétique
(avant que celui-ci n'intervienne, cela va sans dire) mais, s'il existe,
on ne peut pas dire que l'histoire lui ait donné tort... Cette précision
est d'importance si l'on veut bien tenir compte des problèmes structurels
de nos économies gangrenées d'étatisme et affectées
en conséquence d'effets pervers potentiellement fatals à
leur viabilité.
En
revanche, ce que l'on sait, c'est que la prospective est caduque, lorsqu'elle
se limite à l'extrapolation de tendances antérieures, dans
un monde où les individus bénéficient d'un certain
degré de liberté (qui peut même être très
réduit); ce qui n'est évidemment pas le cas d'une théorisation
qui, se basant sur un certain nombre d'attributs psychologiques consubstantiels
à l'être humain, peut receler de véritables trésors
de prédiction. Ce n'est donc pas sur un travail d'extrapolation
statistique qu'il faut prédire l'avenir socio-économique
mais sur une réflexion fondamentale (une théorie) portant
sur les rapports de l'homme à son... environnement. Si les planistes
de tous bords avaient conscience de ce que cela induit, ils sauraient en
conséquence que le meilleur parti à tirer de leurs prévisions,
c'est 1) d'analyser pourquoi elles s'avéreront presque à
tout coup fausses et 2) de renoncer à orchestrer le changement social
de manière « constructiviste », puisque
la planification centralisée – quelle qu'elle soit – débouche
toujours sur des effets déjouant le plan initial (pour des raisons
très bien analysées par la théorie économique).
Or, bien sûr, l'idéologie écologiste relève
de cette fantasmagorie « planiste » dans des proportions proprement
sidérantes...
C)
Les théoriciens écologistes prennent comme postulat que l'activité
de production et de consommation humaines est la cause unique de la dégradation
de l'écosystème terrestre. Voilà un présupposé
idéologique qui devrait légèrement embarrasser les
militants férus d'humanisme: l'écologisme est implicitement
malthusien et impute à « l'humain » – sorte
de termite massacreuse d'écosystèmes – la responsabilité
du drame. L'idée selon laquelle l'activité productive de
l'homme influe sur l'écosystème est évidemment recevable.
Mais elle appelle un tantinet plus de nuances et d'interrogations qu'un
verdict du type « la croissance et/ou la mondialisation
libérale sont responsables de la dégradation de l'environnement(1)
». En effet, imputer la pollution à
la « croissance », cela suppose que sans intervention
humaine, les écosystèmes seraient immuables et la Terre,
préservée. Outre qu'à ce que j'en sais, notre petite
planète a connu un certain nombre de bouleversements climatiques
qui ne doivent rien à notre activité industrielle (la glaciation,
une broutille écologique...) et que certaines espèces animales
ont disparu sans que cela ne nous affecte notablement (si l'on avait dû
inférer de la disparition des dinosaures ce que certains nous promettent
à l'évocation de l'extinction de telle ou telle espèce
de lépidoptères, à quoi ressemblerions-nous aujourd'hui?...),
je m'étonne toujours que les changements « constatés
» en matière de climat ne soient pas connectés
à ceux dont la structure physique de la Terre semble aussi affectée.
Que je sache, les séismes, les éruptions volcaniques et la
dérive des continents n'ont pas encore été imputés
à la mondialisation libérale (mais cela viendra, sans doute).
Mais alors, si la Terre est capable d'autonomie par rapport à l'usage
que nous en faisons, pourquoi n'en irait-il pas de même en matière
de climat? Et pourquoi – puisque la « science écologiste
» se targue d'interconnexions, de transversalité, d'étude
de la complexité – ces changements physiques ne seraient-ils pas
connectés aux changements de nature climatiques (voire en seraient
la « cause »)?
N'étant pas spécialiste du problème écologique
dans sa dimension « physique » (ni, d'ailleurs
et je le confesse bien volontiers, de manière générale),
il est possible que mes questions sur le sujet soient naïves ou qu'elles
soient abondamment traitées dans une littérature spécialisée
hors de mon champ « d'expertise ». Il n'en reste
pas moins qu'« expertise » n'est pas synonyme
de « vérité ». Les questions ci-dessus
procèdent donc d'un légitime esprit critique et surtout,
quelle que soit la réponse qu'on y apporte, leur teneur ne change
rien à la vacuité du paradigme écologiste envisagé
dans sa dimension politique.
En effet, admettons que jusqu'ici, j'aie purement et simplement tort: l'activité
économique est seule responsable de la dégradation avérée
de l'environnement, elle est irréversible et aucun mécanisme
« écosystémique » de régulation
compatible avec la vie humaine(2)
ne sera susceptible d'en atténuer les conséquences apocalyptiques.
Pourquoi, dès lors, ne pas tout simplement compter sur l'activité
régulatrice de l'homme libre? Parce que l'écologisme ne lui
accorde aucune autre place que celle d'une pure et simple nuisance; et
qu'en conséquence, s'il est une espèce qui peut dépérir
sans préjudice considérable pour la planète, c'est
bien la nôtre... Or, la posture écologiste d'un «
humain » exogène à l'écosystème
est étrange et pour tout dire intenable. Un « pur »
écologiste devrait même méditer la réflexion
suivante: si l'homme est un animal poussé par sa nature à
travailler, produire, consommer et vouloir s'enrichir, au nom de quel principe
supérieur de nature, l'écologisme devrait-il l'en
empêcher? Autant forcer un lion à manger de l'herbe... L'homme,
donc, serait le seul animal à travailler en faveur de sa propre
destruction et l'idéologie écologiste serait seule capable
de le remettre sur le chemin du bon sens; avatar connu de tous ces intégrismes
qui procèdent d'une construction du bien de l'individu malgré
lui-même. Posture qui, à l'instar de toutes les idéologies
planistes et coercitives, fait de l'écologisme un anti-humanisme
radical.
L'homme est, en réalité, partie prenante à l'écosystème
et fait preuve, par rapport à ce dernier, de considérables
capacités d'adaptation, via une notion fondamentale de sa condition
animale: le travail. Dès lors, penser l'homme comme «
destructeur d'environnement » est faux. L'homme
est un modificateur d'environnement et parfois, d'une manière parfaitement
conforme aux aspirations écologistes. C'est ainsi que l'homme est
capable de transformer un désert en jardin (voir l'exemple d'Israël),
de substituer des matériaux « écologiques »
à d'autres, de recréer des espèces disparues, toutes
capacités dont l'utilisation est fonction d'une aspiration ou d'un
besoin ressentis(3)
(par lui...). L'histoire de l'humanité nous enseigne même
que l'on peut tout imaginer de lui (donc de nous...). Pourquoi, dès
lors, ne pas croire que nous pourrons reboiser les forêts, dessaler
les océans, fabriquer de l'eau ou du pétrole, et, de manière
générale, trouver une parade technologique aux pénuries
qui nous guetteraient prétendument de manière inévitable?
Utopie, délire, propos de malade mental? Peut-être. Mais que
le lecteur qui m'opposerait ces qualificatifs s'achète une machine
à remonter le temps et aille parler du briquet à l'hominien
qui attend patiemment l'orage, pour aller cueillir le feu dans les arbres.
« Si l'homme est un animal poussé par sa nature à
travailler, produire, consommer et vouloir s'enrichir, au nom de quel principe
supérieur de nature, l'écologisme devrait-il l'en
empêcher? Autant forcer un lion à manger de l'herbe...
» |
|
Le Club de Rome ne néglige pas cette alternative technologique à
la « pénurie programmée »
qu'il prédit. Mais il y oppose des arguments, pour tout dire, assez
peu convaincants: on oscille ici entre mélancolie naïve (du
type: « que deviendrons-nous quand nous dépendrons
d'usines pour le dessalement de notre eau potable »?)
et pseudo-théorisation axée sur la notion d'un emballement
technologique destructeur dont on ne saisit pas bien l'inéluctable
dynamique (une sorte d'avatar écologiste de la théorie marxiste
de l'accumulation du capital mais en moins clairement justifié).
Pourquoi ne pas reconnaître, beaucoup plus modestement, que le pouvoir
technologique de l'humain – sa capacité d'invention – lui permet
non seulement de parer aux effets de tel ou tel appauvrissement écologique
mais d'améliorer l'environnement et de l'enrichir par rapport à
son état « stationnaire », lorsque besoin
est? Même si, à l'instar des écologistes, on peut tout
à fait préférer boire de l'eau de source plutôt
que de l'eau de mer dessalée et que justement, il y a beaucoup à
espérer de la préférence en question...
Vanité épistémologique, fantasmagorie constructiviste,
disqualification de l'humain. Si ces travers philosophiques sont, en soi,
suffisamment inquiétants pour être relevés, ils sont
assez peu impressionnants par rapport aux monstrueuses lacunes conceptuelles
et théoriques qui leur sont liées et, plus encore, au projet
de société sur lequel ils débouchent.
La
dictature écologiste
Il faut lire ce qu'ont écrit les théoriciens du club de Rome
pour comprendre la substantifique moelle de l'idéologie écologiste(4).
L'idée centrale a été exposée: la croissance
économique exponentielle nous conduit au drame planétaire
par extinction des ressources vitales de l'humanité. Cette posture
– dont certains aspects méritent considération, nous le verrons
– bute sur une erreur et une lacune théoriques de fond:
A)
Tout le présupposé idéologique de l'écologisme,
cela a été « démasqué »
plus haut, procède d'une construction théorique tendant à
lier le sort de l'individu à une nature dominatrice. Or, le raisonnement
repose sur une erreur conceptuelle fondamentale, résidant en la
notion de « système stable ».
À ce propos, en effet, les théoriciens écologistes
font une confusion aussi fréquente qu'invalidante: ils confondent
stabilité et immobilité. Sans rentrer dans
les détails, le fait qu'un système (un noeud de relations
d'interdépendance) évolue (donc, croisse, éventuellement),
leur échappe pour ainsi dire totalement: pas de chocs extérieurs,
pas d'influence perturbatrice, pas de dynamique endogène, rien ne
doit – par pur et simple décret idéologique – troubler la
quiétude de l'écosystème rêvé par les
ayatollahs de la verdure. Position de principe en contradiction avec la
vie même, qui amène nos théoriciens écologistes
– dans une sorte d'incohérence épistémologique parfaitement
assumée – à vouloir construire un système socio-économique
parfaitement... artificiel(5)!
En
somme, nos théoriciens écologistes entendent conformer le
monde à la conception « équilibrée »
(et statique) qu'ils en ont, un peu comme si un théoricien de la
concurrence pure et parfaite proposait une politique de mise en conformité
du monde réel aux hypothèses de son modèle! Démarche
dont procèdent très exactement tous les totalitarismes et
qui consiste à adapter la réalité humaine à
un monde rêvé, incarnant une sorte de perfection toute personnelle(6)...
En fait, penser écologique, c'est penser libéral. Il suffit
de lire Hayek pour comprendre qu'un système stable est basé
sur des principes de fonctionnement immuables (et endogènes), offrant
au système considéré, un maximum de liberté
évolutive. De sorte que la stabilité est le contraire de
l'immobilité.
B)
Entre toutes, pourtant, la faiblesse la plus considérable – fatale,
pour tout dire... – de la doctrine écologiste du Club de Rome n'est
pas dans son incapacité à conceptualiser la notion de système.
Elle réside dans son ignorance absolue du mécanisme des prix
comme système de régulation de la rareté. De la sorte,
nos théoriciens font reposer leur argumentaire apocalyptique sur
des notions telles que « l'offre excédentaire
» ou « la demande excédentaire
» d'énergie(7)!
Nulle allusion à un quelconque dysfonctionnement de la coordination
marchande, pas même l'évocation d'une théorie permettant
d'expliquer pourquoi, dans le cas de l'énergie, par exemple, le
mécanisme des prix ne fonctionnerait pas(8).
Non, c'est bien d'ignorance qu'il s'agit ici. Constat d'autant plus saisissant
que toute la réflexion écologiste repose sur le concept fondamental
de « rareté »; un peu comme si quelqu'un
écrivait un traité sur l'attraction terrestre sans jamais
avoir entendu parler de la loi de la gravitation... Dès lors, il
faut apprendre aux théoriciens de l'écologie planiste que
le système des prix libres constitue le « truc »
le plus efficace jamais découvert par l'espèce humaine pour
réguler l'offre et la demande de biens et services rares. Et qu'en
conséquence, à condition qu'aucun système politique
ne vienne contrarier le libre exercice de la rationalité humaine
(nous y reviendrons), il y a de fortes chances pour que la fluctuation
des prix constitue un mécanisme efficace d'autorégulation
de la consommation d'énergie.
Cette
ignorance est d'ailleurs amusante, car, une fois levée, elle devrait
convertir tout écologiste sincère au libéralisme.
En effet, si les biens gratuits, tels que l'air et l'eau, deviennent des
biens rares (du fait de dégâts écologiques, par exemple),
pourquoi ne pas leur appliquer le régime économique qui convient
si bien à tous leurs pairs? C'est-à-dire le système
des prix libres, selon un mode de coordination marchand, dont il resterait
bien entendu à inventer les modalités concrètes.
Et si, justement, les théoriciens du Club de Rome avaient tout simplement
« manqué » le libéralisme? C'est
possible et si tel est le cas, un peu chagrinant. En effet, lorsqu'on lit
dans leur ouvrage une remarque aussi pertinente que celle-ci: «
en principe, (et conformément à l'étymologie
de ces mots), il ne devrait pas y avoir de conflit entre l'écologie
et l'économique: il appartient à celle-là de nous
fournir le mode d'approche, le cadre conceptuel pour notre compréhension
des rapports mutuels entre systèmes sociaux et systèmes de
l'environnement », on reste sur l'impression
d'un Ali Baba tournant désespérément autour de sa
caverne! Faute d'une connaissance (même superficielle) de l'économie
libérale et malgré un certain nombre de remarques intéressantes
(tout n'est pas « à jeter »), nos théoriciens
verts en sont alors réduits à construire un monde de décrets
et de postulats qu'il faut lire pour se persuader que cela ait pu être
écrit(9).
Le Club de Rome est-il vraiment passé à côté
du libéralisme? Peut-être, pour ceux de ses membres qui seraient
sincèrement épris de connaissance et de réflexion.
Il n'en reste pas moins que l'écologisme procède d'une ambition
politique et qu'il a pour but de convertir un certain nombre de disciples
à sa religion. Dès lors, son but est-il de comprendre le
lien entre l'homme et son environnement? Non. Il s'agit d'inféoder
la liberté individuelle aux dieux « effets de
serre », « couche d'ozone »,
« espèces en voie de disparition »
et « fromage de chèvre bio »
contre toute logique écosystémique incluant l'humain. Le
projet de société du Club de Rome relève donc d'une
sorte de polythéisme d'un archaïsme insoutenable, fondé
sur une véritable doctrine du sacrifice de l'homme et de sa liberté.
Car le coeur des recommandations écologistes, c'est la «
régulation des naissances ». Et oui, nous
sommes décidément bien trop nombreux, ce qui, dans la perspective
retenue, est parfaitement exact: en considérant l'homme comme une
source de dévastations et de gaspillages – et non comme une fin
en soi « auto-créatrice » – l'écologisme
aspire légitimement à en réguler l'espèce,
en en diminuant le nombre d'exemplaires. Pas de manière brutale,
bien entendu, il convient d'y mettre les formes. Dès lors, je cite
« il faut que les gouvernements se saisissent du problème
et prennent l'engagement public de mettre un terme à la croissance
démographique – ce qui suppose, en même temps, la fin de l'immigration
(sic). Deuxièmement, ils ont à instituer un service national
de la population (sic), avec une quadruple vocation: faire connaître
[...] l'impérieuse nécessité que les couples n'aient
pas plus de deux enfants. Toutes les ressources et les meilleurs talents
publicitaires (sic) doivent être mobilisés pour inculquer
au public le sens de la responsabilité sociale qu'implique la procréation
[...] » (p. 45-46). Passons sur les autres mesures de politique
familiale proposées par nos marabouts inspirés (organiser
un service public de la contraception et de l'avortement)... Et distrayons-nous
lorsque, plus loin, ils réalisent soudainement ce qu'ils sont en
train de raconter: « il va de soi que si les couples
continuaient d'avoir des familles allant au-delà du taux de remplacement,
la liberté de la contraception serait parfaitement vaine. Mais en
raison même de notre ignorance (sic), nous ne nous sentons pas en
mesure de préconiser aucune de ces contraintes socio-économiques
qui, en tant que telles, sembleraient devoir être plus efficaces,
avec l'inconvénient majeur de paraître, aux yeux de beaucoup,
indûment coercitives (sic) ».
Bref, la Chine communiste mais aussi un certain nombre de dictatures afro-marxistes
ayant pratiqué intensivement le regroupement/contrôle des
populations – dans des conditions de déportation d'une rare efficacité,
en termes de « régulation » – tels seraient
les paradis de la société écologiste? Quant aux autres
recommandations et aspirations des théoriciens du Club de Rome,
citons pêle-mêle l'organisation de nos sociétés
en petites communautés(10)
(bref, transformer un New-Yorkais en Pygmée) et le recours à
l'impôt tous azimuts (sur les matières premières, l'énergie
et un amusant impôt d'amortissement sur les produits non durables...),
seule solution envisagée par nos théoriciens pour réguler
l'offre et la demande de biens rares.
Heureusement, sans doute, la plupart des « propositions »
susmentionnées relèvent de la folie furieuse. Récemment,
j'ai même entendu que pour préserver la banquise, il fallait
que nos sociétés diminuent leur consommation d'énergie
de 75%! À ce tarif, il ne nous resterait plus qu'à souhaiter
qu'il fasse chaud en hiver... Mais bien sûr, dire « il
faut diminuer notre consommation d'énergie de 75% »,
cela relève d'une pure et simple inconséquence.
D'autres propositions sont, hélas, abondamment pratiquées,
et, en conséquence, autrement plus dangereuses. Nos sociétés
semblent habituées à ce que l'impôt et la réglementation
constituent d'acceptables remèdes à nos « problèmes
» divers et variés. On feint même d'oublier que
l'impôt procède d'un parfait asservissement de l'individu.
Mais si, encore, il arrivait aux « méthodes »
brutales de planification et de réglementation centralisées
d'être efficaces, peut-être pourrait-on se consoler. Faisons
ici un très bref détour par une faiblesse académique
que beaucoup d'économistes devraient méditer: l'économie
non libérale (c'est-à-dire la « science
normale »?) dédie son programme de recherche
aux dysfonctionnements divers et variés du « marché
libre ». L'analyse des « faiblesses »
du marché me semble, pour tout dire, utile et stimulante. Mais l'erreur
– épistémologiquement impardonnable – consiste en la posture
axiomatique suivante: lorsque le marché ne « fonctionne
pas » (pour qui?), c'est à l'État d'en
« corriger les erreurs »... Mais
pourquoi? Au nom de quoi les théories économiques non libérales
se passeraient-elles d'une analyse sérieuse des faiblesses de l'organisation
étatiste de l'économie?
L'écologisme ne déroge évidemment pas à ce
raccourci idéologique, qui est une impasse. Dès lors, c'est
entendu, l'impôt serait un remède efficace pour lutter contre
la dégradation de l'environnement. Et les coûts bureaucratiques
(c'est-à-dire le gaspillage de ressources) que cela induit? Et les
faiblesses de la régulation étatique en termes d'information
et d'incitations? Et la fraude, et les détournements? Et les considérables
effets pervers du prélèvement fiscal sur l'ensemble de l'économie
(ne parlons pas de justice individuelle, cela n'a bien sûr aucun
intérêt)? Et de manière encore plus fondamentale, quid
de l'impossibilité logique qu'il y a, pour quelque administration
que ce soit, à peser sur des enchaînements aussi complexes
et flous que ceux prétendument modélisés (et soi-disant
maîtrisés) par, entre autres, la théorie écologiste
(le fameux « en raison même de notre ignorance
» que confessent volontiers nos théoriciens...)?
Le projet politique de l'écologisme doit donc être pris pour
ce qu'il est: une pure et simple ambition de dictature, radicalement incompatible
avec les principes d'un humanisme ne serait-ce que « modéré
». Est-ce à dire que la problématique écologique
ne vaut rien? Absolument pas. Et le lecteur qui, par principe hostile aux
idées que je défends, n'en serait pas moins ouvert à
la discussion se consolera sans doute au vu des développements proposés
dans un prochain article: l'écologie et le libéralisme ne
sont pas seulement conciliables, ils sont consubstantiels l'un à
l'autre. Et de ce point de vue, il faut rendre au Club de Rome ce qui lui
appartient. Outre que nos auteurs ont bien entrevu le lien écologie-économie,
la cible qu'ils visent dans leur ouvrage n'est pas explicitement le capitalisme
libéral mais plutôt le concept de « croissance
» (l'assimilation des deux ne fait toutefois guère
de doutes). Cible qui ne manque pas de pertinence mais qui devrait amener
tout écologiste sincère à concentrer sa critique sur
tout ce que nos économies doivent à l'étatisme, de
droite (nationalisme économique) comme de gauche (socialisme). Et
à militer en conséquence en faveur d'une libération(11)
intégrale de nos économies.
1.
L'environnement, en l'occurrence, c'est ce qui entoure l'humain, et non
l'inverse. Ce que nombre de militants écologistes ont un peu tendance
à oublier... >> |
2.
Sans insister, ce postulat est en soi ridicule: nul ne peut prévoir
les adaptations biologiques « ad hoc » d'une espèce
à son environnement (ce qu'on appelle « l'accommodation»).
>> |
3.
Et d'autant mieux assouvi qu'il n'est pas la cible d'un quelconque terrorisme
vert. >> |
4.
Nous renvoyons ici le lecteur à l'ouvrage suivant: E. Goldsmith
et alii, Changer ou disparaître, Fayard, Paris, 1972.
>> |
5.
En fait, à l'examen du propos écologiste relatif à
la notion de système, de deux choses l'une: 1) soit, comme je le
dis, la notion même d'évolution leur échappe (disons
qu'elle se limite pour eux à l'auto-reproduction); 2) soit les théoriciens
écologistes ne réalisent aucunement à quel point leurs
recommandations sont en contradiction flagrante avec la construction
d'un système stable (encore que leurs réserves, à
l'évocation de certaines de leurs recommandations mêmes, laissent
ici poindre la possibilité d'un doute...). >> |
6.
Bien entendu, le modèle de la concurrence pure et parfaite a d'immenses
vertus pédagogiques et il est dommage que les théoriciens
écologistes n'en aient manifestement jamais pris connaissance. Mais
c'est peu dire que ses hypothèses de structure économique
ne correspondent pas à la réalité de ce que sont la
production, la consommation et la décision humaines. >> |
7.
Espérons que l'ouvrage de référence étant écrit
en 1972, le choc pétrolier de 1973 ait eu, sur leur pensée,
de consistantes vertus pédagogiques... >> |
8.
De telles théories existent pour d'autres biens et services (peu
convaincantes mais ceci est hors de propos, ici). Notons qu'il existe bien
entendu un cas où la coordination marchande perd beaucoup de son
efficacité: lorsqu'elle est entravée par des réglementations
publiques... >> |
9.
Je veux dire, dans un livre aux prétentions académiques affirmées.
En bande dessinée, cela passerait au contraire très bien.
>> |
10.
Nous verrons toutefois que lorsqu'elle procède d'une société
libre, cette aspiration n'est pas forcément absurde. >> |
11.
Le terme de « libéralisation », usuellement
employé, est en effet impropre: on ne « libéralise
» pas une économie (car la liberté n'est pas
dans la politique mais dans la nature de l'homme). On la libère
simplement, ce qui signifie qu'on la « désétatise
». >> |
|