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Montréal, 11 octobre 2003 / No 130 |
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par
Christophe Vincent
Parmi les bonnes intentions dont l'enfer est pavé, le SMIC – ou Salaire minimum interprofessionnel de croissance – figure en bonne place. Le SMIC est en effet indéniablement basé sur une intention louable: faire en sorte que chacun ait un revenu suffisant pour pouvoir mener une vie décente. Mais le problème, comme nous allons le voir, c'est que le SMIC rate complètement cet objectif. |
Le SMIC, au lieu de procurer à chacun un revenu minimum, empêche
au contraire les plus pauvres d'entre nous d'avoir un revenu suffisant.
Il exclut et pour longtemps les personnes les plus faibles de notre société.
Il transforme en Alors que faut-il faire? Supprimer le SMIC, ça ne fait pour moi absolument aucun doute. Mais faut-il pour autant abandonner l'objectif que s'était fixé le SMIC, à savoir assurer un revenu minimum, un revenu permettant de mener une vie décente à ceux qui connaissent les plus grandes difficultés? Non. Il faudra donc verser un complément de revenu par le biais de la solidarité à tous ceux qui n'arriveront pas à s'en sortir avec les seuls revenus de leur travail. Mais comme nous le verrons, on pourra beaucoup plus facilement leur venir en aide lorsque le SMIC sera supprimé. Ils représenteront alors une charge bien moins lourde qu'aujourd'hui. Le SMIC et ses conséquences Le SMIC consiste à fixer un salaire plancher en dessous duquel nul ne peut être embauché. L'objectif de cette mesure est de faire en sorte que nul ne puisse avoir un revenu inférieur à ce plancher. Le problème, c'est que le SMIC manque complètement cet objectif. En effet, la valeur du travail d'un salarié est évalué par l'employeur en fonction de ses aptitudes pour le poste (physiques, mentales, sa formation, son expérience, etc.). Suivant qu'il sera plus ou moins apte, un individu créera plus ou moins de richesses par son travail à un certain poste. Il sera plus ou moins productif, plus ou moins efficace. Or un employeur ne peut pas se permettre de payer un employé davantage que ce qu'il va rapporter par son travail à l'entreprise (sauf à mettre la clef sous la porte à brève échéance). Un employeur n'embauchera donc des employés qu'à un niveau de salaire où il sera raisonnablement certain que ceux-ci rapporteront davantage d'argent à l'entreprise qu'ils n'en coûtent. Alors que se passe-t-il si l'on instaure un salaire minimum, si l'on dit aux employeurs qu'ils ne pourront pas embaucher en dessous d'un certain salaire? Qu'arrive-t-il à tous ceux dont le travail est justement estimé à moins que ce salaire minimum? (les jeunes sans formation et sans expérience professionnelle par exemple, ou les personnes plus âgées qui doivent se reconvertir dans un secteur d'activité totalement différent du leur)? C'est très simple, c'est implacable, c'est terrible. Aucun employeur ne veut plus les embaucher. Ils restent au chômage. Ils sont exclus du marché du travail, exclus de la société. Le SMIC qui était censé les aider n'a aucun effet positif pour eux, bien au contraire. Il leur enfonce la tête sous l'eau. Il les empêche d'entrer ou de réintégrer le marché du travail. Il les empêche d'avoir un quelconque revenu par leur travail. Il les condamne à vivre des subsides de l'assistance publique. Le SMIC était censé leur garantir un certain niveau de revenu mais en réalité, la seule garantie que leur donne le SMIC, c'est qu'ils n'en auront aucun (en dehors des revenus de l'assistance). Une exclusion permanente Cette exclusion du marché du travail est d'autant plus terrible qu'elle est relativement permanente. En effet, quand est-ce qu'un de ces chômeurs, un de ces exclus, une de ces personnes dont le travail est estimé à moins que le SMIC pourra enfin trouver un travail? Lorsque la valeur de son travail sera estimée supérieure à celle du SMIC. Mais cela a-t-il une chance d'arriver un jour? Non, malheureusement. C'est principalement en forgeant que l'on devient forgeron. Ces gens condamnés au chômage n'apprennent plus grand-chose, ils ne progressent plus comme on le fait quand on exerce une activité professionnelle, ils stagnent au niveau d'expérience où ils étaient parvenus. Privés d'emploi par le SMIC, ils sont plus ou moins condamnés à rester au même niveau, un niveau correspondant à un salaire inférieur au SMIC. Ils sont donc plus ou moins condamnés à l'exclusion à perpétuité. Le SMIC, au lieu d'aider ces gens, leur barre plus ou moins définitivement l'entrée sur le marché du travail. Et est-ce que ces gens qui ne peuvent prétendre qu'à un salaire en dessous du SMIC sont dans leur majorité des gens faibles, invalides, incapables? Non et c'est bien ça le pire. L'immense majorité des gens qui sont exclus du marché du travail à cause du SMIC sont des gens parfaitement normaux, valides, capables. La seule chose qui leur manque c'est de posséder certaines compétences pour pouvoir prétendre à un salaire supérieur au SMIC. Ces compétences nécessaires pour avoir un salaire supérieur au SMIC, ces gens pourraient parfaitement les acquérir en une ou deux années de travail.
Mais comme à cause du SMIC, on refuse de les embaucher... C'est le cercle vicieux dont sont victimes des centaines de milliers de jeunes Français: à cause du SMIC, parce qu'ils n'ont pas d'expérience professionnelle à revendre, personne ne veut les embaucher à ce salaire-là. Comme personne ne veut les embaucher, ils n'auront jamais d'expérience professionnelle à faire valoir. Comme ils n'auront jamais d'expérience professionnelle à faire valoir, personne ne voudra jamais les embaucher à ce salaire-là, etc. Voilà certainement la conséquence la plus terrible du SMIC et la plus absurde: le SMIC fait de gens parfaitement normaux des assistés. Le SMIC les condamne au chômage, à l'exclusion, à la misère, au désespoir. Le SMIC les démoralise, il leur fait penser qu'ils sont incapables de subvenir seuls à leurs besoins et qu'ils n'en seront jamais capables. Le SMIC condamne ces gens à mener une vie difficile, en se contentant des revenus de l'assistance publique. Et pourtant ces gens sont dans leur ensemble tout à fait normaux. Des gens qui seraient tout à fait capables de s'assumer seuls au bout de quelques années, si seulement on leur laissait la possibilité de travailler!!! N'est-ce pas absurde et monstrueux? Une très lourde charge pour la société Enfin tous ces gens parfaitement normaux dont le SMIC fait des assistés représentent par les revenus de l'assistance qu'ils perçoivent un très lourd fardeau pour le reste de la société, une charge très importante pour ceux qui ont malgré tout la chance d'avoir un travail. Je ne suis pas en mesure de donner les chiffres exacts correspondants au coût du traitement social du chômage directement imputable au SMIC mais cela représente certainement des sommes considérables. Faisons tout de même une rapide approximation de la somme que cela pourrait représenter. Imaginons que la proportion de chômeurs dont la condition est directement imputable au SMIC soit de 1 million sur les 3 millions qui sont officiellement inscrits. Pour qu'eux et leur famille puissent vivre correctement, admettons qu'il faille leur verser au minimum l'équivalent d'un revenu annuel de Le SMIC par le chômage, la misère, l'exclusion, le désespoir qu'il occasionne représente donc très vraisemblablement une lourde charge pour ceux qui ont néanmoins la chance d'avoir un travail. La solution: supprimer et aider La solution aux problèmes que nous avons vu plus haut me semble donc être la suivante: supprimer le SMIC et venir en aide à ceux qui n'arrivent pas à s'en sortir seuls en leur apportant un complément de revenus par le biais de la solidarité. Voyons ensemble quelles seront les conséquences de telles mesures. Si l'on supprime le SMIC, tous ceux qui sont actuellement au chômage pourront alors trouver un emploi et s'assumer au moins en partie (le reste étant pris en charge par la solidarité). Il n'y aura plus de fatalité. Tout ceux qui voudront trouver un emploi le pourront. Ces anciens chômeurs, ces anciens exclus retrouveront leur fierté. Ils se sentiront enfin utiles, intégrés à la société. Ils auront enfin un espoir de s'en sortir, un avenir. La plupart d'entre eux progressera et en quelques années, leur salaire augmentera, si bien qu'ils seront alors à même de pourvoir seuls à leurs besoins, qu'ils ne représenteront plus une charge pour la société, bien au contraire. Comme tous les anciens chômeurs s'assumeront au moins en partie, le reste de la société sera alors délivrée de cette partie du fardeau qu'ils représentaient. La société pourra donc les aider d'autant plus facilement. Elle pourra augmenter les revenus qu'ils percevaient jusqu'alors (ce qu'on appelle les minimas sociaux) tout en faisant elle-même des économies. En effet, avant la suppression du SMIC, les chômeurs ne percevaient qu'un revenu de l'assistance publique. Après la suppression du SMIC, les ex-chomeurs auront un revenu par leur travail. La société pourra donc leur verser des aides moins importantes tout en leur assurant un revenu total supérieur à ce qu'ils avait avant qu'on ne supprime le SMIC. En l'espace de quelques années, la plupart des anciens chomeurs auront suffisamment progressé dans leur travail pour pouvoir prétendre à un salaire bien supérieur au SMIC. Ils n'auront plus alors besoin de l'aide publique. Les minimas sociaux pourront donc alors encore augmenter tout en diminuant encore la charge qu'ils représentent pour le reste de la société. Conclusion Supprimer le SMIC permettrait donc, selon moi, de supprimer le chômage, l'exclusion, la misère, le désespoir qui frappent les plus faibles d'entre nous, de relever les minimas sociaux tout en soulageant le fardeau qui pèse sur le reste de la société. Pour bien fixer les idées sur cette question, prenons pour finir l'exemple de Jean qui de par sa formation et son expérience professionnelle, ne peut prétendre (pour le moment) à un salaire supérieur à 70% du SMIC. Avec le SMIC, Jean ne peut pas trouver de travail. Il est condamné au chômage, à l'oisiveté, à l'assistanat et il n'a que peu de moyens de se sortir de cette situation. La société lui verse une aide égale à 50% du SMIC pour (sur)vivre. Jean représente donc une charge quasi permanente de 50% du SMIC pour la société. Une fois le SMIC supprimé, Jean trouvera sans problème un travail payé à 70% du SMIC (l'ancienne valeur du SMIC bien sûr). La société jugera peut-être que Jean a néanmoins encore besoin d'être aidé et lui versera un revenu complémentaire égal à 30% du SMIC. En plus d'un vrai travail, d'un avenir, Jean aura donc pour vivre un revenu total égal au SMIC, le double de ce qu'il avait avant! Il ne représentera pourtant plus qu'une charge de 30% du SMIC pour le reste de la société. Enfin, au bout de quelques années, Jean aura suffisamment progressé dans son travail pour pouvoir justifier un salaire conséquent, bien supérieur au SMIC. Il ne sera plus du tout une charge pour la société, mais un de ses piliers. Tout le monde gagnerait donc à ce que le SMIC soit supprimé. Pourquoi alors ne pas le faire?
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