Montréal, 11 octobre 2003  /  No 130  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
APRÈS LA CIGARETTE, L'OBÉSITÉ
 
par Gilles Guénette
 
  
          Après les produits du tabac, voici que les fanatiques de la santé s'attaquent à l'industrie de la restauration rapide et du prêt-à-manger qu'ils tiennent responsables du large tour de taille des Nord-Américains. Quand ce ne sont pas des substances toxiques dans le tabac qui rendent les fumeurs accros, ce sont des acides gras trans dans la nourriture qui rendent les consommateurs obèses. Comme nous sommes déjà mis à contribution pour venir en aide aux fumeurs qui manquent de volonté pour cesser de fumer, nous serons tôt ou tard mis à contribution pour aider les obèses qui voudront perdre du poids!
 
Coûte que coûte 
  
          Depuis que nos élus ont entrepris de faire disparaître la cigarette de nos vies, une véritable « industrie de l'aide » s'est développée. Les différents paliers de gouvernements offrent maintenant de multiples programmes et mesures visant à accompagner le fumeur dans son long périple vers une vie sans fumée. Mises à part les patches, dont le coût est maintenant couvert par les régimes d'assurance-maladie, des groupes d'aide se sont formés, des médecins ont été mobilisés et des campagnes de publicités ont été lancées – on ne badine pas avec la santé. Justement, ces jours-ci, on peut voir cette publicité en grande rotation à la télé: 
    Un homme entre dans une cuisine. Il avance vers une table et y pose une boîte à outils. 
    Lui: Chérie? J'arrête de fumer. 
    Une voix: Encore. 
    Lui: Mais là (Il ouvre la boîte...), j'ai trois outils pour m'aider. (...et en sort un téléphone.) Le téléphone pour parler à des spécialistes. 
    Une voix: C'est pas compliqué! 
    Lui: (Il en sort un portable.) Internet, y'a un site pour m'encourager à persévérer. 
    Une voix: C'est pratique! 
    Lui: Si je veux (Il regarde à l'intérieur de la boîte.), je peux même rencontrer un professionnel dans un Centre d'abandon du tabagisme. (Une « professionnelle » sort de la boîte et lui sert la main.)  
    Une voix: Combien ça coûte tout ça? 
    Lui: (L'air fier) C'est gratuit! 
      
    La voix hors champ d'une autre femme dit: « Arrêter de fumer et réussir? Oui, c'est possible. 1-888-853-6666. » L'expression « J'arrête! » apparaît à l'écran ainsi que l'adresse internet, le numéro de téléphone et les logos de la Société canadienne du cancer, du Conseil québécois sur le tabac et la santé et du gouvernement du Québec.
          « C'est gratuit! » Ah l'expression magique! Toutes ces lignes téléphoniques avec des dizaines de spécialistes au bout ne coûtent rien. Le site internet qui vous encourage à persévérer s'est fait tout seul, sa mise en ligne n'a rien coûté et personne ne s'en occupe. Tous ces professionnels oeuvrant dans les « Centres d'abandon du tabagisme » le font bénévolement et les édifices dans lesquels se prodiguent ces soins ont été offerts gracieusement par un riche et anonyme mécène qui n'en a que pour les non-fumeurs. Et le soleil tourne autour de la Terre... 
  
          Si cette initiative avait été lancée par une entreprise privée, celle-ci aurait été poursuivie pour « fausse publicité ». Comme dirait Robert A. Heinlein, « There ain't no such thing as a free lunch! » Tout a un prix. Clamer la gratuité, c'est induire les téléspectateurs en erreur. Comme la majorité d'entre eux sont des payeurs de taxes, à la question: « Combien ça coûte tout ça? », le type aurait dû répondre: « Je ne le sais pas, c'est la collectivité qui paie! » – ou quelque chose comme ça. Mais sans doute aurait-ce été moins vendeur... 
  
          Les Centres d'abandon du tabagisme offrent un ensemble de services de « cessation tabagique », tels que les rencontres individuelles ou en groupe, dispensés par des intervenants formés à cet effet. Toutes les personnes qui en font la demande ont accès « gratuitement » à ces services. « Centres d'abandon du tabagisme », services de « cessation tabagique », mais qui invente ces termes? Ça fait vaguement orwellien comme terminologie. Un tantinet totalitaire.  
  
Gras saturé 
  
          Cesser de fumer a déjà été une simple question de volonté. On se levait un bon matin et on se disait: « Bon, c'est aujourd'hui que ça se passe! » Plus maintenant. Comme nous vivons à une époque d'extrêmes, et que tout est extrêmement difficile à faire tout seul, le moindre effort requiert maintenant l'aide de professionnels de la santé. Le lien entre la cigarette et la nourriture n'est pas compliqué à établir.  
  
          Récemment, Le Grand journal de TQS a consacré une émission à l'obésité. Lors de la portion « ligne ouverte », une jeune femme a tenu ces propos (en substance): « C'est très dur de perdre du poids. Et ça coûte très cher. Tous les produits "santé" coûtent plus cher que les produits "ordinaires" et l'abonnement au gym n'est pas donné. On devrait subventionner les gens pour les aider à perdre du poids. » (suggestion que l'animateur Gilles Proulx s'est heureusement empressé de ridiculiser).  
  
          Il s'agit de l'opinion d'une téléspectatrice, vous me direz. Mais le réflexe est là. Et si l'obésité est une maladie – ce qu'on tente de plus en plus de prouver – et que les obèses sont des victimes de l'industrie de l'alimentation – comme ne cessent de le répéter les fanatiques de la santé publique –, nul doute que les professionnels du lobby sont déjà à l'oeuvre pour amener nos élus à débloquer des fonds publics pour accompagner les citoyens dans leur pénible périple vers la perte de poids. 
  
     « Comme nous vivons à une époque d'extrêmes, et que tout est extrêmement difficile à faire tout seul, le moindre effort requiert maintenant l'aide de professionnels de la santé. Le lien entre la cigarette et la nourriture n'est pas compliqué à établir. »
 
          Selon les chiffres officiels, il y aurait plus d'un milliard d'obèses dans le monde. Près de la moitié des Canadiens auraient un problème de poids. Le taux d'obésité aurait doublé chez les femmes en 15 ans. C'est pourtant pas compliqué: tant et aussi longtemps qu'on ingère plus de calories qu'on en dépense... on prend du poids. On engraisse (drôle de voir comment ce terme semble être disparu du lexique).  
  
          Une dame qui participait récemment à un symposium sur l'obésité à Montréal, Dr Marielle Ledoux de l'Université de Montréal, disait que pour réussir à prévenir l'obésité, il va falloir « une approche globale du gouvernement, du système de santé, de l'industrie, des médias, du voisinage, de l'environnement. » (La Presse, 28 septembre 2003) C'est pour dire. L'heure est grave... Comment voulez-vous qu'une personne puisse surmonter un tel problème toute seule! Il faut une concertation de tous les milieux pour l'épauler!  
  
          Passer des soirées entières devant le petit écran à manger des sacs de biscuits Oreo ou des croustilles (aussi légères soient-elles) fait engraisser. Manger des muffins (fat sponges) ou de gros déjeuners oeufs-bacon-rôties à tous les matins fait engraisser. Manger de gros repas entrée-plat principal-dessert le midi et le soir fait engraisser. Surtout si on ne bouge pas. Ce n'est pas du rocket science 
  
          Mais on n'est pas obligés, ô surprise!, de manger dix biscuits à la crème, on peut en prendre deux. Personne ne nous force à manger du McDonald's tous les jours. Il est socialement accepté de s'offrir des salades au dîner. Les croustilles Frito-Lay ont beau être désormais exemptes d'acides gras trans, si on mange un plein sac et qu'on ne bouge pas... Idem avec les produits « légers », ce n'est pas parce qu'ils sont légers qu'on peut en manger deux fois plus!  
  
          Si on vivait dans un régime communiste où il n'y aurait que du pain, des patates et du « fromage » Velveeta de Kraft, on pourrait comprendre que des gens aient des problèmes de poids ou qu'ils entretiennent de mauvaises habitudes alimentaires. On ne se surprendrait même pas de voir des « élus » forcer les « fournisseurs officiels » à offrir des produits faibles en gras. Mais ce n'est pas le cas. Nous n'avons jamais eu accès à autant de produits de qualité en provenance des quatre coins du monde. On peut vivre sans poutine, pizza, Whippet, McDo, Fritos, Coke, etc. 
  
Comme si vous y étiez 
  
          Le discours des interventionnistes collectivistes veut que les coach potatoes soient un fardeau pour la société. Qu'ils monopolisent – ou monopoliserons – plus de soins de santé que la moyenne et qu'ils, par conséquent, coûteront plus cher à « soigner ». Il faut donc changer les mentalités et faire... de la prévention. Quoi de mieux que des campagnes de sensibilisation et des mesures d'aide à la population pour cela! Bientôt au petit écran: 
    Une femme entre dans une cuisine. Elle avance vers la table et y pose son sac à main. 
    Elle: Minou, j'ai décidé de perdre du poids. 
    Une voix: Encore. 
    Elle: Mais là (Elle ouvre son sac...), j'ai trois outils pour m'aider. (...et en sort un téléphone.) Le téléphone pour parler à des spécialistes. 
    Une voix: C'est pas compliqué! 
    Elle: (Elle sort un portable.) Internet, y'a un site pour m'encourager à persévérer. 
    Une voix: C'est pratique! 
    Elle: Si je veux (Elle regarde à l'intérieur de son sac.), je peux même rencontrer une professionnelle dans un Centre de perte de poids. (Une « professionnelle » sort de la boîte et lui sert la main.)  
    Une voix: Combien ça coûte tout ça? 
    Elle: (L'air fière) C'est gratuit! 
      
    La voix hors champ d'une autre femme dit: « Perdre du poids et réussir? Oui, c'est possible. 1-888-853-6666. » L'expression « J'en perd, je gagne! » apparaît à l'écran ainsi que l'adresse internet, le numéro de téléphone et les logos de la Société canadienne des diététistes, de la Fondation des maladies du coeur et du gouvernement du Québec.
          Si au moins ces « crises » de santé publique ne touchaient que les entreprises « fautives » et les avocats qui les poursuivent, on pourrait se dire que c'est passager et les ignorer. Mais ce n'est pas le cas. Elles ont la fâcheuse habitude d'être récupérée par le politique qui immanquablement met en branle des trains de mesures pour venir en aide aux « victimes ». Quelle est la prochaine étape? Les coûts de la chirurgie de dégraissage ou de brochage d'estomac couverts par l'État?  
  
          On ne peut forcer quelqu'un à être en santé. C'est sa responsabilité. Le problème avec de telles interventions de l'État – dans des « champs de compétence » qui ne le regardent pas –, c'est que tous les payeurs de taxes, qu'ils n'aient jamais touché à une cigarette de leur vie ou qu'ils se soient toujours préoccupés de maintenir un poids-santé, doivent payer pour tous ceux qui ne s'en sont jamais souciés. Le citoyen qui souhaite perdre du poids ou cesser de fumer peut très bien le faire actuellement avec les outils qui lui sont offerts sur le marché. Qu'on le laisse donc s'en occuper lui-même. 
 
 
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