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Montréal, 11 octobre 2003 / No 130 |
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par
Erwan Quéinnec
Il existe schématiquement deux sortes de doctrine écologique: en premier lieu, l'écologisme du Club de Rome – assez bien représenté par les partis verts et autres sectes altermondialistes –, qui recommande la subordination de l'économie humaine au maintien en l'état de la biosphère et des écosystèmes terrestres, par des moyens oscillant entre pure chimère et authentique dictature, sur la base d'un diagnostic douteux; en second lieu, une écologie libérale – qui est parfois représentée, sur le plan politique(1) – dont il n'est nul besoin de théoriser la moindre spécificité. L'écologie est en effet encastrée dans le libéralisme, le vrai et le seul, celui dont le |
Cet ordre libéral ne recommande nullement que l'on arrête
de consommer de l'énergie, de produire des biens et des services
et de rejeter en conséquence des déchets. Ce qui signifie
que les croisés de la chlorophylle toute puissante n'y trouveront
pas leur bonheur (comme je suis libéral et donc soucieux de l'intérêt
de mes lecteurs, je préfère couper court à leur éventuelle
souffrance). Le libéralisme est en revanche sans concurrent doctrinal
sérieux s'il s'agit d'optimiser préservation de l'environnement,
croissance économique et liberté individuelle (avec ce que
cela implique de responsabilité de chacun envers autrui, il convient
de ne pas l'oublier).
Pourquoi libéralisme et écologie sont-ils consubstantiels
l'un à l'autre? Pour deux raisons essentielles et interdépendantes:
1) l'économie libre tend à valoriser les solutions de production
les plus efficientes (via la propriété privée des
moyens de production) et 2) elle laisse les préférences individuelles
orienter l'allocation des ressources rares (via le système des prix,
en particulier).
Le
capitalisme pollueur?
Il est intéressant d'entendre souvent affirmer que la pollution
est due au capitalisme ou à la mondialisation libérale. Parfois
et plus rigoureusement, c'est à la seule croissance qu'elle est
attribuée. En effet, si le capitalisme est particulièrement
pollueur, on devrait pouvoir en inférer que les économies
les plus capitalistes (ou les moins socialistes...) sont relativement plus
polluantes que les autres.
N'ayant pas lu d'études ou de rapports sur le sujet, je prends donc
le risque de soutenir que ce n'est pas le cas. Il est évidemment
difficile d'établir un classement des pays pollueurs car cela requiert
des indicateurs sophistiqués et fiables: inutile, par exemple, de
m'apprendre que les pays les plus riches sont aussi ceux qui consomment
le plus d'énergie en termes absolus. Mon propos ne déniant
nullement le droit de l'humanité à s'enrichir(2),
c'est sur un indicateur de pollution relative que porte mon pronostic;
une sorte de ratio pollution produite / richesses créées.
Je formule donc l'hypothèse que ce type de ratio est plus bas dans
les économies capitalistes développées que partout
ailleurs et surtout, plus élevé dans les économies
socialistes que partout ailleurs.
Si mon pronostic est avéré, il ne met en exergue, dans le
cas des pays en développement, qu'un retard de maturité technologique
éventuellement provisoire: faire l'apprentissage de la productivité,
c'est aussi faire celui de l'écologie et une économie pauvre
munie d'institutions performantes (une liberté maximale de produire,
investir, consommer, posséder, etc.) est calibrée pour rattraper
son retard en la matière. Bref, comparer les performances environnementales
des pays
Il y a schématiquement deux manières d'augmenter la production
d'un pays donné (donc, de croître au sens économique
du terme): les pays capitalistes relativement libéraux fondent prioritairement
leur croissance sur la notion de gains de productivité, requérant
une utilisation de plus en plus efficiente des facteurs de production (produire
plus avec moins, pour simplifier); c'est la croissance de
Le socialisme peut donc faire une utilisation forcenée des facteurs
de production sans jamais veiller à les utiliser de manière
efficiente (donc à les économiser). Car pour témoigner
d'une telle préoccupation d'économie, il faut être
confronté à l'aspiration des individus à l'augmentation
de leur pouvoir d'achat et être soi-même limité dans
le
Le libéralisme fonctionne bien évidemment sur tout autre
chose: d'abord, en régime de liberté, pour s'enrichir, il
faut l'accord d'autrui. Ensuite, la liberté oblige chacun à
se conformer aux lois immuables de l'économie depuis la nuit des
temps: on s'enrichit en maximisant la différence entre ce qu'on
gagne et ce qu'on dépense, donc, simultanément, en faisant
preuve de créativité et de parcimonie. Et l'on reste riche
en prenant soin de son patrimoine (donc, de ses actifs). C'est sans doute
parce que l'économie libre fonctionne sur cette vérité
de bon sens qu'elle est honnie de tant d'économistes, peut-être
parce que ceux-ci y voient une menace pour leur monopole conceptuel...
Qui est habitué au débat socio-économique – à
sa forte teneur en ignorance et mauvaise foi, surtout – ne s'étonnera
sûrement pas qu'entre autres fléaux reprochés au capitalisme,
figurent les abus de la société de consommation, l'incitation
au gaspillage ou la logique court-termiste de son mode de production. Et
pourtant, ces critiques sont stupéfiantes. Car le capitalisme libéral
donne corps à des valeurs qui sont celles des écologistes:
souci de la descendance, épargne, horizon décisionnel long.
Il est en effet le système le plus apte à favoriser un certain
nombre d'arbitrages complexes entre aspirations contradictoires, et ce
parce qu'il incite à:
Produire le plus et le mieux possible en économisant le plus
et le mieux possible les facteurs de production; bref, maximiser les produits
et minimiser les charges, ce qui constitue la condition sine qua non
du profit recherché par le
Cette quête du profit se propageant tout au long d'une vaste chaîne contractuelle, elle contamine de manière positive l'ensemble de l'économie, comme l'atteste l'augmentation générale du niveau de vie des individus bénéficiant de ce système (la fameuse main invisible). Fondée sur la liberté des prix, cette logique d'économie aboutit à ce que les facteurs de production les plus rares sont progressivement retirés du système de production au profit d'inputs plus abondants. C'est pourquoi les entreprises privées cherchent de manière systématique à consommer le moins possible, à trouver les technologies les plus efficaces, à substituer les énergies bon marché aux énergies chères, etc.; stratégies de réduction des coûts qu'au demeurant, on leur reproche systématiquement quand on constate qu'elles ont un effet récessif sur certaines branches industrielles, pourvoyeuses d'emplois
Il convient ici d'insister sur un effet fréquemment oublié
de ce système de création de richesses. On sait que les gains
de productivité obtenus dans les secteurs primaire et secondaire
de l'économie aboutissent à la tertiarisation de cette dernière
(le secteur des services). En gros et pour simplifier, plus une économie
se développe, mieux elle assure le nécessaire et permet aux
individus de se concentrer sur le
Ménager les actifs dont on est propriétaire.
Cette caractéristique incitative de la propriété privée des moyens de production est évidemment inséparable de la précédente mais elle impose des arbitrages entre maximisation du rendement et préservation de l'actif (charger le mulet sans le tuer). Les propriétaires prennent généralement un soin tout particulier de leurs actifs, qu'il s'agisse d'animaux, de bâtiments, de champs, de forêts ou de mines. Tout simplement parce que la valeur marchande de leur bien dépend de ce soin-là. On peut tout à fait imaginer un propriétaire forestier déboisant sa propriété pour y cultiver des légumes, dès lors que le bois, de par son abondance, aurait moins de valeur économique que les légumes en question. Mais ce type de comportement ne pourra être que marginal dans un système économique régulé par les prix libres, sauf à ce que le bois n'ait plus de valeur du tout, ce qui est extrêmement douteux (d'autant qu'il existe toutes sortes et qualités de bois). Et ce raisonnement s'applique à absolument toutes les richesses
La privatisation de la mer pourrait, dans cet ordre d'idées, devenir
un enjeu socio-économique important. Dans les pays du Sud, nombreuses
sont les côtes maritimes qui fournissent l'essentiel de leurs ressources
aux populations. J'ai personnellement vécu dans un pays très
dépendant des ressources de la pêche, les Philippines. J'y
ai constaté les dégâts causés par un mode de
prélèvement du poisson dont il n'est guère besoin
d'argumenter les effets néfastes sur l'écosystème
marin: la pêche à la dynamite (ou au cyanure). Ce mode d'exploitation
de l'actif de production
Arbitrer entre épargne et investissement.
Le capitalisme serait obsédé de consommation et conditionnerait les gens à acheter tout et n'importe quoi, au moyen d'une publicité assimilée à une sorte de puissant neurotoxique (ce que dément la recherche en marketing, mais passons...). Cette croyance est amusante quand on sait que le capitalisme libéral est, entre tous, le système économique du
Seule la logique endogène du capitalisme permet d'investir dans
des technologies propres et économes en ressources. Seule la logique
endogène du capitalisme incite les individus à maintenir
et améliorer les actifs dont ils sont propriétaires. Voilà
pour la composante
Mais il existe aussi une régulation
Autrement dit, l'écologie est un bon produit commercial: une réserve
animalière au Kenya, une forêt tropicale aménagée
pour pouvoir s'y promener, une côte maritime sauvage ont une valeur
d'actif sans doute considérable. Que telle association écologiste
informe l'opinion publique de l'imminente disparition des pandas et la
protection de ces derniers a toutes les chances de devenir un projet d'entreprise
prospère! Cette remarque infère qu'en soi, les discours prônant
la solidarité ou l'écologie sont loin d'être inutiles
(cela dépend de leur teneur, bien entendu), à condition de
ne pas chercher à imposer leur cause au moyen de la violence légale
(la politique). L'un des effets du libéralisme est de permettre
l'expression de toutes les opinions et de favoriser une véritable
profusion d'analyses et de réflexions sur tous sujets. Comme il
en va des produits intellectuels comme des autres, la qualité de
ces analyses et réflexions est variable mais il appartient à
chacun, ici, de faire son marché. Dans un monde vraiment libre,
débarrassé de la possibilité qu'aurait une institution
politique de mutiler la liberté sur la foi de telle ou telle justification
Bref, il ne me pose aucunement problème (au contraire!) que dans
un monde débarrassé de la menace politique, des syndicats
libres, des ONG libres, des associations consuméristes libres défendent
ou promeuvent tel point de vue, cherchent à orienter les comportements
dans telle direction, suscitent telle ou telle initiative (à charge
de critique éventuelle, bien entendu).
Dans ce monde de liberté, il existe forcément un seuil où
le système des prix donne plus de valeur aux environnements écologiques
(à condition qu'ils fassent l'objet d'une exploitation économique)
qu'à leur destruction. Ce constat infère, en passant, que
s'il est une politique d'une totale inutilité, c'est bien celle
qui prétend aménager le territoire pour prétendument
éviter la disparition de tout un tas de communes rurales: compte
tenu du nombre de gens aspirant à la campagne, il ne fait guère
de doute qu'il suffirait de restaurer la liberté d'entreprendre
pour que, par exemple, se développe tout un secteur de services
aux personnes âgées localisés en zone rurale!
Les écologistes sincères – soucieux d'humanisme – devraient
donc renoncer à leurs fantasmes planistes et travailler à
réhabiliter propriété privée et liberté
des prix. Nos économies subissent en effet certaines atténuations
de la rationalité qui sont presque toutes dues à une altération
de la propriété privée et au lien unique qu'elle permet
de fonder entre liberté et responsabilité. Penser que l'intervention
étatique pourra, d'un coup de baguette magique, améliorer
cet état de fait n'est que pure chimère.
C'est en expérimentant des solutions de production et de coordination
diverses que les individus laissés à leur liberté
créatrice règlent progressivement leurs problèmes.
Cela ne va jamais assez vite pour certains car, nous l'avons dit, le capitalisme
a ceci de prodigieux qu'il réveille de folles aspirations à
la perfection socio-économique, et donne parfois l'impression que
tout est permis – le socialisme naïf raisonne toujours de manière
Si, donc, propriété privée et marché libre
ne suffisent pas à régler le problème environnemental
d'une façon qui satisfasse les individus concernés, on peut
tout à fait espérer de la liberté d'autres effets
ou influences. De ce point de vue, les réflexions des économistes
de l'environnement portant sur
Enfin, il convient de ne pas mésestimer l'influence des discours
normatifs sur la « conscience écologique » des individus:
trop de jérémiades simplistes insistent sur la perte de civisme
de nos contemporains et en déduisent une kyrielle de recommandations
basées sur de lénifiants
Ce civisme n'est néanmoins viable que lorsqu'il porte sur les règles
de juste conduite permettant de réguler harmonieusement la vie sociale.
Le désolant spectacle offert par les rentes de situation des uns,
les privilèges éhontés des autres, l'irresponsabilité
subventionnée des systèmes sociaux et autres services publics
divers et variés, l'insécurité fiscale, tout ceci
est évidemment de nature à favoriser le chacun pour soi au
détriment des autres. C'est pourquoi il n'est pas de système
plus moral que celui qui ne donne à l'individu aucun prétexte
de se mal conduire, donc celui qui respecte de manière absolue sa
liberté et son intégrité d'individu. Et il n'est pas
de système plus juste que celui qui condamne impitoyablement les
comportements délictuels ou criminels, c'est à dire l'atteinte
illégitime à la sécurité et aux biens d'autrui
(que le lecteur écologiste ne doute pas une seconde de la sévérité
d'une cour de justice
La liberté fait donc système, un système où
l'humain est incité à se comporter du mieux possible vis
à vis de ses congénères comme de son environnement
naturel. Bref, la notion de développement durable – curieux pléonasme,
soit dit en passant – n'a nul besoin de je ne sais quelle théorisation
technocratique abreuvée aux sources d'une planification maladive.
Le développement durable a besoin qu'on laisse les individus prospérer
sur la base d'institutions aussi simples qu'efficaces, de manière
à ce que chacun puisse s'enrichir sans dénier à quiconque
le droit d'en faire autant.
Hélas, nous n'en sommes plus là. Il faut bien prendre conscience
que, dans les pays développés, le vingtième siècle
est beaucoup moins celui de la mondialisation libérale que celui
de l'étatisation à outrance des sociétés et
des économies. Plus exactement, l'intensification des échanges
internationaux est, en quelque sorte, le prolongement d'une tendance socio-économique
probablement amorcée depuis la Renaissance (voire depuis l'aube
de l'humanité...). En revanche, l'État-providence constitue
indéniablement une innovation du vingtième siècle,
du moins par rapport à celui qui l'a précédé.
Le magazine mensuel français Capital a consacré son
numéro du mois d'août 2003 à un remarquable dossier
sur la
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