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Montréal, 11 octobre 2003 / No 130 |
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par
Carl-Stéphane Huot
Le refus du |
Le marché, contrairement à ce que peuvent prétendre
certains, n'est pas une sorte d'abstraction inhumaine: il est le résultat
de toutes les décisions d'ordre économique que chacun de
nous prenons chaque jour. Qu'il s'agisse de décider du repas du
soir, de notre moyen de transport, de retourner ou non à l'école,
toutes ces décisions ont un pendant économique, faisant travailler
certains acteurs du marché au détriment d'autres pour la
satisfaction de besoins personnels.
L'art aussi est un marché, parce qu'il repose sur les mêmes principes que n'importe quel autre besoin à satisfaire. Je conçois très bien que quelqu'un puisse avoir besoin de faire ou d'écouter de la musique, de voir, de faire ou de posséder des oeuvres d'arts. Les goûts sont plutôt variés, et les miens valent les vôtres. Par exemple, j'aime bien l'humour fantasque de Salvador Dali, que j'interprète à ma manière, parce que j'estime n'avoir aucun sens de l'esthétique. Pour moi, un bâtiment, une voiture ou n'importe quel objet ne sera pas beau en soi, mais aura été conçu et réalisé de telle ou telle façon, qui pourra être banale ou ingénieuse. C'est l'esprit du concepteur et ce qu'il a pondu qui m'intéresse, pas ce qu'il a fait comme tel – déformation professionnelle d'ingénieur oblige. Là où l'art prend une certaine valeur, c'est quand il plaît, dérange, choque même. De l'art qui laisse indifférent ne sert pas à grand-chose, même si certains critiques l'encensent. Par exemple, j'ai déjà mentionné que j'étais partiellement sourd. Je suis incapable d'apprécier la valeur de la musique, parce j'ai de la difficulté à l'entendre. On a beau me nommer tel ou tel auteur, compositeur ou interprète, cela ne me fait ni chaud ni froid. Je ne suis pas un consommateur de musique. Pour qu'un artiste puisse gagner sa vie en vendant ses créations artistiques – sans devoir quêter des subventions au gouvernement –, il faut qu'il soit capable de toucher des gens, et que ceux-ci soient prêts à investir temps et argent pour le rétribuer. Autrement, les salles de spectacle, les musées, les librairies ou les galeries seront vides.
On reprochera à ceux capables de gagner leur vie dans leur discipline de sacrifier leur art sur l'autel du marché. Pourtant, ce marché, encore une fois, c'est vous et moi, consommateurs culturels. Les besoins sont variés dans le domaine de la culture, et vont des contenus intellectuellement faibles à d'autres plus... relevés, du simple divertissement à l'expérience capable de changer notre vision du monde. Ceux qui font ce genre de reproche se signalent par leur refus d'une réalité très simple: à savoir que nous ne sommes pas tous des experts dans le décryptage de la symbolique de l'art. Même quand il y a quelque chose à comprendre d'une oeuvre – ce qui est loin d'être toujours le cas!!! –, cette compréhension peut souvent se révéler trop ardue pour le bipède moyen, et même l'explication peut le laisser assez sceptique. Fumisterie Le mépris affiché de bon nombre de pseudo-intellectuels pour la culture populaire et son approche, qu'ils considèrent comme trop liée à l'argent, relève de la fumisterie. Je sais que la manipulation de concepts et d'idées arides ou abstraites fait partie des tous premiers péchés mignons des grosses têtes (votre serviteur ne dédaigne pas s'y adonner!), mais cela peut devenir impossible à suivre pour ceux qui ne maîtrisent pas très bien un domaine particulier, y compris les arts. Cela fait beaucoup de monde, la très large majorité de la population en fait. Méprisant l'argent et ceux qui réussissent à vivre de leur art en le rendant suffisamment accessible au commun des mortels, mais ne dédaignant pas que les gouvernements prélèvent une partie du salaire d'autrui pour leur permettre de poursuivre leur ego trip dans un univers complètement déconnecté de la simple réalité des gens, trop Même si la population a tendance à être plus instruite, elle ne possède pas la science infuse. Elle n'est pas complètement idiote non plus – comme le démontre bien le malaise entourant Qu'il s'agisse de télé-réalité, d'une pièce de théâtre légère ou d'un ardu roman philosophique, il y a de la place pour bien des possibilités. Certains artistes, cependant, du haut d'une splendide tour d'ivoire dont ils veulent faire leur quotidien, demandent à tout un chacun de subventionner leurs activités, qui ne serviront personne d'autre qu'eux-mêmes et une petite clique de fonctionnaires. C'est tout simplement inacceptable.
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