Montréal, 25 octobre 2003  /  No 131  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
POUR QUE NOS RADIOS COMMERCIALES REFLÈTENT LA « DIVERSITÉ »
 
par Gilles Guénette
 
  
          Les gens de l'ADISQ (l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo) trouvent que la radio commerciale québécoise ne reflète pas assez la diversité de l'offre musicale locale. On apprenait récemment que cet « extraordinaire outil de diversité », aux dires de son nouveau président, Yves-François Blanchet, s'était engagée à « poursuivre son plan d'action auprès du CRTC afin d'influencer directement le processus de révision de la politique sur la radio commerciale en 2004 en proposant des mesures favorisant un véritable pluralisme de la programmation musicale. » (La Presse, 15 octobre 2003) Après la musique anglophone, voilà qu'on s'attaque à la musique qui pogne!
 
Ils tournent, ils tournent les hits 
  
          Ainsi M. Blanchet s'inquiète de la concentration des médias qui se traduirait par un rétrécissement des listes de radiodiffusion et l'augmentation des rotations sur un nombre limité de pièces: « Les 15 premières positions au palmarès représentent plus de 50% des rotations des nouveautés francophones, alors que l'ensemble de toutes les autres nouveautés francophones du top 100 se partagent l'autre 50%. » En d'autres termes, ce sont toujours les mêmes pièces qui tournent à la radio. Et n'allez surtout pas croire que les quotas de musique francophone imposés par la loi y sont pour quelque chose! 
  
          Qu'envisagent faire les gens de l'ADISQ pour solutionner le « problème »? Discuter avec le privé, dans un premier temps. « Nous comptons ainsi nous asseoir avec les radiodiffuseurs plutôt que d'aller nous chicaner avec eux au CRTC, assure M. Blanchet. Il est préférable de nous entendre avant, d'autant plus que nous sentons une ouverture de leur part; par exemple, la question des quotas de 65% qui faisait autrefois conflit, ne fait plus l'objet de débats. » 
  
          C'est sûr qu'elle ne fait plus l'objet de débats majeurs, personne n'y peut plus rien! Cette politique idiote est coulée dans le béton et fait maintenant partie des « acquis » sociaux. Personne ne va perdre son temps à se battre contre des hordes d'intervenants et de fonctionnaires convaincus. Les diffuseurs ont des businesses à faire marcher – contrairement à tous ces parasites qui n'ont qu'une chose en tête: trouver de nouvelles façons de presser un peu plus le citron de tout ce qui les entoure, histoire d'en recueillir le jus. 
  
          M. Blanchet poursuit: « Les radiodiffuseurs vont certes défendre leurs intérêts, on va défendre les nôtres, je suis confiant qu'on va y arriver. Mais si on n'y arrive pas par la voie de discussions, j'ai aucun problème à retrousser mes manches et clamer que l'ADISQ s'en va en guerre. Nos revendications sont absolument légitimes. » 
  
          J'espère bien qu'ils vont défendre leurs intérêts! Si ce n'était de ces entrepreneurs, toutes les stations privées de la province seraient publiques aujourd'hui. Et elles seraient gérées telles des coopératives par des membres en règle de l'ADISQ. Les choix de programmations seraient votés « démocratiquement » une fois par semaine par un comité de représentants de différents ministères – de la Culture, des Finances (pour les retombées économiques), du Développement régional (pour les mêmes raisons) –, de l'industrie du disque et de l'Union des artistes. Et toutes les stations sonneraient comme autant d'infopubs chargées de vendre la culture « nationale ». 
  
Tout le monde il est beau... 
  
          Le président de l'ADISQ peut tenir ce genre de propos – et être pris assez au sérieux pour faire la nouvelle – parce que notre secteur culturel nationalisé le permet. Après tout, toutes les décisions en matière de télécommunications sont prises en haut lieu dans les bureaux du ministère de la Culture et des Communications du Québec, de Patrimoine Canada et du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. M. Blanchet a le gros bout du bâton. 
  
     « Plutôt que de convaincre les propriétaires de stations de radio de la qualité de leurs produits – comme n'importe quel entrepreneur le ferait dans n'importe quel autre domaine –, ces subventionnés de la culture vont se tourner une fois de plus vers les instances gouvernementales pour qu'on impose leurs produits. »
 
          Si l'on décide « collectivement » (c'est-à-dire, si les gens de l'ADISQ, de concert avec ceux du MCCQ, de PC et du CRTC, décident) de se donner une radio diversifiée (c'est-à-dire d'imposer des quotas de genres pour « favoriser un véritable pluralisme de la programmation musicale »), les radiodiffuseurs n'auront qu'à se taire et à plier l'échine. Et dans quelques années, ça ne fera plus l'objet de débats. 
  
          Plutôt que d'amener les propriétaires de stations de radio à accepter de faire tourner leurs produits moins vendeurs – comme n'importe quel entrepreneur le ferait dans n'importe quel autre domaine –, ces subventionnés de la culture vont se tourner une fois de plus vers les instances gouvernementales pour qu'on impose ces produits. Parce que c'est vers ça qu'on s'en va. M. Blanchet et sa gang vont « discuter » pendant quelques semaines pour en venir à la conclusion que les radiodiffuseurs font preuve de mauvaise foi (ou quelque chose comme ça) et qu'ils ne veulent pas collaborer.  
  
          Ils vont ensuite convaincre les bureaucrates-décideurs du bien fondé de leur démarche – après tout, il s'agit de « revendications absolument légitimes » – et ces décideurs, qui ne demandent pas mieux que de décider (pour nous), vont décider que les gens de l'ADISQ ont bien raison. Et qu'étant donné les malencontreuses circonstances, et le manque de collaboration flagrant du secteur privé, ils vont opter pour un resserrement des « droits » de diffusion des diffuseurs. Et les gens de l'ADISQ vont avoir eu leur nananne. Et nous auront une radio aux airs un peu plus patentés. 
  
          Ce que veulent les gens de L'ADISQ, c'est une sorte de programme de discrimination positive pour les musiciens d'ici. Une sorte de programme qui ferait en sorte que les chansons des chanteurs inconnus, ou de ceux de la contre-culture, tourneraient à la radio commerciale malgré le fait qu'elles ne soient pas connues ou qu'elles ne fassent l'objet d'aucune réelle demande. 
  
          Que va penser le musicien alternatif ou le nobody qui oeuvre dans des circuits parallèles depuis des lustres et dont les chansons se retrouvent tout d'un coup à tourner sur les ondes des radios commerciales? « Enfin on reconnaît mon talent. » « J'ai bien fait de ne pas trop me préoccuper des exigences du marché. » « Toutes ces années à jouer dans les bars et à promener ma guitare paient enfin. » Ou bien préférera-t-il ne pas y penser... 
  
          Plus question de talent ou de mérite dans une industrie où le pourcentage décidé bureaucratiquement est la norme. Même le concept de popularité ne veut plus rien dire. L'artiste n'a plus besoin d'être talentueux ou populaire, il n'a qu'à faire un genre musical qui entre dans les critères réclamés par un système de quotas. Au diable la spontanéité et l'originalité, on fait maintenant du prêt-à-écouter. 
  
 
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