Montréal, 25 octobre 2003  /  No 131
 
 
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Yvan Petitclerc est professeur de français et traducteur. Il écrit pour diverses publications tant anglophones que francophones. (ypeti191@arobas.net).
 
OPINION
 
POURQUOI NOS DÉBATS SUR LE DÉCROCHAGE DES GARÇONS TOURNENT EN ROUND
 
par Yvan Petitclerc
 
    « History teaches that masculinity constrained by morality is powerful and constructive. It also teaches that masculinity without ethics is dangerous and destructive. »
 
– Christina Hoff Sommers
  
          C'est immanquable. À chaque fois qu'une nouvelle étude vient confirmer le retard des garçons sur les filles à l'école, les mêmes éléments refont surface via un ou une porte-parole d'un organisme quelconque: 
    1) Les garçons sont victimes des stéréotypes masculins. 
    2) Malgré leurs succès à l'école, les femmes n'ont pas accès au vrai pouvoir parce qu'elles n'investissent pas encore assez les domaines non traditionnels.
          Pendant ce temps, ce n'est guère mieux de l'autre côté: 
    1) On enseigne trop de choses que les garçons n'aiment pas (histoire, littérature, arts, etc.) et on ne leur parle pas assez de sport.  
    2) Les garçons n'ont pas assez de modèles masculins desquels s'inspirer.
          Vous voulez savoir ce que j'en pense? Ras le bol de ces clichés et lieux communs sans fondement et analyse historique rigoureuse.
 
De stéréotypes et de lieux communs 
  
          Ah ces fameux stéréotypes! Tout le monde les évoque, mais personne ne définit ce dont on parle. Or, si les stéréotypes (masculins par exemple) étaient si néfastes en soi alors ils le seraient dans tous les contextes et non seulement dans le cadre scolaire. Or la réalité à l'extérieur de celui-ci prouve tout le contraire en termes de succès. Charles Revson, Ray Kroc ou Sam Bronfman correspondaient par exemple à plusieurs stéréotypes masculins parmi les moins recommandables côté tempérament. Cela ne les a pas empêché de créer respectivement Revlon, McDonald's ou Seagram en leur temps.  
  
          Et puis, les stéréotypes masculins auxquels peuvent parfois correspondre certains hommes sont de toutes façons variés à l'infini. Le stéréotype masculin du jeune noir d'une « inner city », celui d'un jeune asiatique crack d'informatique à la famille où l'autorité parentale règne, ou celui d'un garçon juif hassique n'ont par exemple rien à voir les uns avec les autres. Autant de modèles de stéréotypes masculins aux résultats variables. Au fait, peut-on m'expliquer pourquoi à la boxe, les mêmes stéréotypes masculins ont donné Myke Tyson d'un côté et les frères Klitschko de l'autre? Serait peut-être temps d'arrêter de confondre stéréotypes de sexe avec stéréotypes de classe sociale... 
  
          Ce qui fait que les filles réussissent mieux à l'école, mais qui ne se transfère pas toujours dans le contexte social plus large, est autre chose de très simple: l'école récompense un type de conformisme particulier (variant selon les circonstances, le domaine d'études, etc.) alors que la vraie vie en société et particulièrement en arts ou en affaires récompense, elle, le risque.  
  
          Or, tout le monde sait que lorsqu'on risque, soit on y perd gros soit on y gagne beaucoup. Parlant de risques, qui développe sa personnalité à l'adolescence en en prenant? Qui se pète la gueule en skateboard? Qui fait le fou en voiture? Qui prend des risques en infiltrant des réseaux informatiques? Les garçons. Qui plus tard se retrouve soit au sommet soit dans les bas-fonds? Les hommes. Partout les hommes se retrouvent aux deux extrêmes de la société. Et le stéréotype qui a fait la chute de l'un a paradoxalement donné l'immense succès d'un autre. Tant qu'on continuera de se fermer les yeux devant cette réalité, on ne fera aucun progrès.  
  
          Le second argument réfère constamment aux lieux de pouvoir et aux domaines dits traditionnellement masculins. Dans une incroyable absence de mise à jour ou de mauvaise foi, on ne sait trop, lieux de travail traditionnellement masculin en est venu à équivaloir, pour plusieurs, lieux de pouvoir automatique. Rien n'est pourtant plus faux. Conduire un camion sur l'autoroute Jean-Lesage toute la nuit n'est pas une activité de pouvoir. Pas plus qu'être balayeur ou travailleur de la construction.  
  
          Prenez maintenant ces domaines dits traditionnellement féminins. Le culte de la beauté, l'entertainment version confidence, etc. Laquelle de ces deux femmes a le plus de pouvoir: Oprah Winfrey et son émission à forte audience féminine vue dans 111 pays à travers le monde ou une chauffeuse de camion à Sept-Iles? Quel groupe a le plus de pouvoir entre Pamela Anderson, Heidi Klum et Jenny McCarthy, ou trois hommes de la construction à Chicoutimi? Se poser la question, c'est y répondre. Certes il y a des excès à condamner. Mais ne pas reconnaître que le plus grand pouvoir que les femmes ont sur les hommes hétérosexuels est celui de la beauté est une absurdité qui relève d'un aveuglement volontaire assez incroyable.  
  
          Mais le plus désespérant aujourd'hui, c'est de voir à quel point ce débat sur le décrochage scolaire des garçons est maintenant devenu un échange de discours de confirmation où chacun campe sur ses positions sans faire avancer le débat. D'un côté, certaines chaires d'études féministes où l'on prétend que de fortes différences biologiques entre hommes et femmes n'auraient qu'une importance mineure voire inexistante; de l'autre, ceux qui veulent faire de cette différence la seule explication des écarts entre les garçons et les filles à l'école. 
  
          Réglons ici tout de suite une chose: quiconque prétend que les différences biologiques entre les hommes et les femmes n'existent pas en regard de la sexualité (j'ai bien dit « sexualité » et non pas ce terme ridicule de « gender ») et de tout ce qui en découle dans le comportement sans se pencher sur les immenses différences entre gays et lesbiennes ne sait pas de quoi il parle. Si l'on dit que les hommes et les femmes straight sont différents, les hommes gays et les lesbiennes le sont encore plus et vivent, eux, pratiquement sur deux planètes distintes.  
  
Quelques cas 
  
          Parmi les explications avancées pour expliquer le décrochage des garçons, on dit que ces derniers n'ont pas de modèles masculins, alors qu'ils sont partout ces modèles! Mais comme le disait un jour Pierre Bourgault sous forme de boutade: « Quand la plupart des profs ne savent pas qui est Shakespeare, comment veux-tu qu'ils l'enseignent? » Le débat sur cette question des modèles masculins se pose en fait comme suit et illustre à merveille pourquoi l'école se retrouve coincée dans son discours sur l'excellence et le succès.  
  
          D'un côté, on fait des notions d'excellence, de réussite scolaire et de réussite sociale future des synonymes ou des choses qui seraient nécessairement toujours reliées. Or, quand on y regarde de plus près, dans de multiples cas excellence dans la vie et réalisation majeure ne riment pas avec succès scolaire. Cependant, comme on ne conçoit aujourd'hui la notion de débat d'idées qu'à travers le « publish or perish » universitaire, on reste volontairement aveugle face à cette réalité et on ne peut la transmettre aux jeunes alors qu'elle est en fait tellement riche d'enseignement de toutes sortes. Bref pour d'évidentes raisons, on évite de dire à l'école que le succès dans la vie n'a parfois rien à voir avec le succès à l'école. De là découle évidemment quantité de solutions nécessairement partielles en regard de la problématique des décrocheurs et de leur exposition à de soi-disant « role models ». Pour ma part, j'aurais beaucoup aimé voir l'ex-premier ministre Bernard Landry dire à Céline Dion lors de l'inauguration de son étoile devant l'horrible Forum Pepsi à Montréal: « Céline pense à ton avenir. Finis donc ton secondaire et annule Las Vegas. » Mais comme il semble qu'il faille toujours répéter dans ce domaine, allons-y donc encore une fois.  
  
          Ted Turner est à juste titre considéré comme un exemple de succès dans le monde des affaires. Or, de son propre aveu, il n'a jamais eu de « A » à l'école, mais était un étudiant moyen. Un autre encore disait au début du vingtième siècle (à l'encontre de ce qu'on nous prêche dans plusieurs milieux): « Investissez dans vous-même. Je n'ai jamais épargné un sous avant quarante ans. » Jusqu'à cet âge il était encore considéré comme un « loser ». Plus tard cependant, il devait créer une certaine invention. Ce type et cette même invention c'était seulement Henry Ford et le Modèle T! Eastman Kodak, le célèbre fondateur de la compagnie du même nom, a laissé des sommes considérables aux institutions de la ville de Rochester. Or, il était aussi un autodidacte, tout comme l'étaient les pionniers du cinéma à Hollywood. Qui est par ailleurs le concepteur du Musée Guggenheim à New York et de multiples autres chef-d'oeuvres architecturaux du 20e siècle? Frank Lloyd Wright, un décrocheur de l'école secondaire qui disait préférer l'arrogance honnête à l'humilité hypocrite.  
  
     « Il ne s'agit pas de faire l'éloge du décrochage ou de la vie disons "agitée" à l'école. Il s'agit tout simplement de montrer aux étudiants la gamme des possibilités, de cesser de jouer les hypocrites et de leur donner les moyens de faire des choix éclairés à travers l'éventail le plus vaste possible. »
  
          À l'adolescence, les modèles dont s'inspirent les jeunes garçons et filles proviennent souvent du domaine musical. Or, qu'est-ce que ces mêmes modèles nous apprennent? Que ce qui les a menés là où ils sont aujourd'hui est souvent à l'encontre de ce que l'école voulait faire d'eux ou simplement du succès dans le cadre de cette dernière. « J'étais définitivement un exclu et un perdant aussi. Mon passage à l'école secondaire fut typique. Les gens qui faisaient l'école étaient les cheerleders et les joueurs de football. La planche à roulettes, écouter du punk et se maquiller les yeux n'étaient pas considéré du tout cool. » Ce « loser », de son propre aveu, c'est aujourd'hui Mark du très populaire groupe Blink 182. Est-il besoin par ailleurs de rappeler qu'Eminem, un des plus talentueux artistes à être apparus sur la scène musicale depuis quelques années avec son sens du rythme remarquable, a lui échoué trois fois sa neuvième année? 
  
          L'école et certains pans de la société répètent ad nauseam qu'il faut s'inspirer de l'excellence en supposant que celle-ci s'accommoderait de la fadeur et de l'insignifiance. Le tout en s'imaginant que les gens au sommet ne disent que des choses dans le sens de la rectitude politique. Ah bon? On ne doit pas vivre dans le même monde. Considérez encore les exemples suivants.  
  
          Un jour, on a demandé à Rod Stewart quel conseil il donnerait à un jeune maintenant qu'il était arrivé à cinquante ans. « Trouvez-vous une femme de 25 ans! », fut sa réponse. Rod Stewart n'est-il pas un modèle masculin pour un jeune garçon qui veut faire de la musique? Arthur Rubinstein maintenant. Pas un modèle de réussite et d'excellence ça? « Si vous êtes en amour avec une belle blonde au visage vide et pas de cerveau du tout, n'ayez pas peur. Marriez-là. Vivez! » Et que dire d'un certain Donald Trump, lequel affirmait un jour: « Je ne veux pas voir une Miss Univers de 250 livres. Il y a une catégorie de poids pour la boxe, pour la lutte. J'aimerais une catégorie de poids pour Miss Univers. » Pas un modèle de succès en affaires Donald Trump?  
  
          Andy Warhol fut un étudiant plus que moyen à Pittsburgh. Il est seulement devenu par la suite l'artiste le plus influent du vingtième siècle avec Picasso. Pas des modèles ces deux-là? Évidemment on pourrait difficilement les faire passer pour « average » et politiquement corrects. En 1964 déjà, Muhamad Ali se confiait au magazine Playboy en ces termes: « Le fait est que je n'étais pas trop intelligent à l'école. J'ai à peine gradué. J'ai eu une moyenne de D -. Je n'en ai pas honte toutefois. Combien un directeur d'école fait-il par mois? » Si Muhamad Ali n'est pas un modèle et une inspiration pour des millions de gens à travers le monde (tant pour son excellence sportive, son histoire d'activisme puis de réconciliation avec l'Amérique, etc.), alors je me demande ce que ça prend.  
  
Sports et décrochage 
  
          Récemment, le Cirque du Soleil dévoilait son tout nouveau spectacle Zumanity – qui sera installé en permanence à Las Vegas. On se targue souvent au Québec de le citer à titre d'exemple de succès. Or, en septembre 2000, l'un des co-fondateurs du cirque, Daniel Gauthier, confiait au magazine Canadian Business: « We were bums with a sense of business. We're still bums with a sense of business – with more contracts, more experience and with more of a view of big business. » Pourquoi n'enseigne-t-on pas cela aux garçons et aux filles dans les écoles?  
  
          Luc Plamondon a depuis plusieurs années écrit de nombreuses chansons qui comptent parmi les plus belles du répertoire de la chanson française. Est-ce qu'il y a des gens qui s'imaginent que depuis ses débuts il s'est toujours couché à neuf heures en buvant sa tisane? Quand l'on cessera d'être aussi hypocrite collectivement sur les ressorts de ce qui très souvent fonde la véritable excellence au masculin dans l'histoire passée comme présente, alors on pourra prétendre parler de transmission de modèles de réussite aux garçons en étant crédibles. Il ne s'agit pas de faire l'éloge du décrochage ou de la vie, disons, « agitée » à l'école. Il s'agit tout simplement de montrer aux étudiants la gamme des possibilités, de cesser de jouer les hypocrites et de leur donner les moyens de faire des choix éclairés à travers l'éventail le plus vaste possible.  
  
          Enfin une autre idée qui revient souvent est celle selon laquelle les étudiants masculins ont besoin qu'on leur parle de sport plutôt que de littérature ou d'arts. Pas de problème avec l'idée du sport à l'école. Cependant depuis quand sports et arts sont-ils opposés, sinon dans l'esprit d'individus parfaitement incultes? 
  
          Dans sa jeunesse, l'idole de Woody Allen était la star du baseball Willy Mays, puis par la suite ce fut Reggie Miller des Pacers au basketball. Allen est encore aujourd'hui un grand amateur de sport. Ailleurs, le peintre Frank Stella comparait sa touche sur la toile à celle de Michael Jordan sur le terrain. Au début du 20ième siècle, le boxeur noir Jack Johson était admiré des surréalistes parisiens. Jean Cocteau tout comme Colette se passionnaient d'ailleurs pour ce sport. Idem pour quantité d'autres créateurs. Georges Plimpton, par exemple, était le parfait exemple où vie littéraire et sports professionnels faisaient bon ménage.  
  
          Partout les exemples de ce type et ces interactions existent. Et les étudiants se passionnent pour la compréhension de ce type de choses. Un jour, parmi mes étudiants, j'ai eu un grand amateur de rap et de culture Hip Hop, puis une autre qui ne jurait que par les beaux-arts. Comment les rejoindre? La solution était simple. Je leur parlais alors de Jean-Michel Basquiat et de Keith Haring à travers l'histoire du break dancing – liens évidents entre les deux domaines. L'intérêt fut soutenu tant pour la fille que pour le garçon.  
  
          Tant que l'on acceptera sans la questionner cette idée selon laquelle un diplôme et l'idée de succès à l'école riment nécessairement avec succès 10, 20 voire 50 ans plus tard (la chaîne PFK fut fondé par le colonel Harland Sanders, un décrocheur de 7e année, alors qu'il avait 66 ans) et de façon encore plus désespérante avec la notion d'excellence, on ne fera aucun progrès sur la question du décrochage scolaire des garçons. De même, le débat ne progressera pas tant qu'on n'aura pas le courage de mesurer l'ampleur des dégâts causés par la mode psycho-pédagogique avec son cortège d'insignifiances ayant remplacé les gens vraiment imaginatifs, cultivés et de talent dans nombre d'écoles.  
  
          Enfin, on dit souvent que les garçons apprennent beaucoup en établissant des liens entre divers domaines. Pour en avoir eu de tous âges devant moi, je puis dire que c'est vrai. Mais pour avoir aussi côtoyé nombre de collègues profs gavés de psycho-pédagogie nulle et de sociologie de pacotille, je puis aussi dire: Comment espère-t-on que les étudiants établiront des liens entre plusieurs domaines tels les arts, les sciences, la poésie, les mathématiques ou les sports, quand la personne devant eux est incapable d'en établir? Dans la vraie vie, les gens hors normes sont souvent ceux qui font et ont fait avancer les choses dans le passé. Or, quelle leçon tire-t-on de cela en éducation? Aucune.  
  
          Aujourd'hui, rien ne semble plus difficile à comprendre que la nécessité d'ouvrir la profession enseignante aux gens de talents et/ou d'expérience n'ayant pas nécessairement suivi exactement le parcours académique requis. Je me rappelle une certaine fille, c'était la meilleure prof de l'école. Cultivée, intuitive, enjouée, les filles et les garçons l'adoraient en plus d'apprendre énormément avec elle sur tous les plans. C'était la seule prof qui n'avait pas de diplôme en éducation. On comprendra peut-être cela au Québec dans dix ans. Même si chez nos voisins, un certain Thomas Sowell, lui, l'a déjà fait. 
 
 
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