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Montréal, 20 décembre 2003 / No 135 |
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par
Jean-Louis Caccomo
À l’heure où intellectuels, journalistes et responsables syndicaux ou politiques polémiquent sur la réalité du déclin de l’économie française, je voudrais rappeler dans cette chronique quelques enseignements de l’histoire économique particulièrement intéressants. En effet, l’histoire nous enseigne beaucoup de choses pour peu que l’on médite ses leçons. Pourtant, aveuglés par l’idéologie, nombreux sont ceux qui refoulent l’histoire pour la réécrire à leur convenance. Dans cette entreprise, les régimes collectivistes furent les plus doués mais en même temps les plus suicidaires: ils s’approprient l’éducation et l’information pour distiller parmi les esprits une science et une histoire officielles dont le rôle est de glorifier le régime plutôt que de transmettre des connaissances. À certains égards, l’agonie du système universitaire français ne s’explique pas autrement. Mais quand on trafique un baromètre, ce dernier perd toute son utilité pour le plus grand malheur de celui qui l’a saboté. |
Contrairement à la croyance keynésienne naïve – qui
veut que l’État sera toujours là et qu’il peut donc s’endetter
sans limite pour répondre aux sollicitations du moment –, il y a
de nombreux exemples de faillites étatiques dans l’histoire humaine
sur lesquels il convient de réfléchir aujourd’hui pour nous
aider à mettre en perspective la conjoncture française plus
que morose. Non, les États ne sont pas des entités immortelles.
Même les plus invincibles se sont écroulés; même
les plus redoutés se sont effondrés. L'empire romain s’est
effondré sous son propre poids.
Ainsi, la chute de l’empire romain ou de l’empire soviétique, l’effondrement de la république de Weimar ou la faillite de l’argentine ont, par delà leur diversité nécessaire, quelques points communs significatifs que l’on résumera en l’énoncé de phases critiques. Notons déjà que ce sont toujours des États – et leur bureaucratie – qui s’effondrent entraînant dans leur chute une économie, une nation et dans certains cas un empire. De ce point de vue, un marché ne peut pas s’effondrer puisqu’un marché est justement le négatif de l’organisation étatique: soit on l’empêche de fonctionner par toutes sortes d’interdiction imposées par les États; soit il fonctionne spontanément du fait des comportements humains libres. Même la faillite d’une entreprise mal gérée est un événement salutaire qui est au cœur du fonctionnement des marchés. Certes, l’effondrement des États peut être dans certains cas si violent qu’il devient fatal aux processus de marché eux-mêmes. Ainsi, faire fonctionner une économie de marché en Russie après 70 ans de communisme étatique relève d’un miracle. Mais la liberté et la motivation peuvent souvent réussir là où la terreur et l’inhibition échoueront inexorablement. Le fait est que le marché n’est pas parfait alors que l’État prétend l’être, en se présentant comme l’agent correcteur des défaillances et des imperfections inhérentes aux processus concurrentiels. Cependant, la réalité dément le dogme: les États sont loin d’être les planificateurs bienveillants et omniscients mis en scène par les modèles économiques naïfs. L’histoire des grandes chutes d’empire peut se résumer à la succession de quelques phases critiques cruciales, pour peu que l’on isole la dimension économique du phénomène. Phase critique n° 1: Le dérèglement des finances publiques Les pouvoirs publics sont incapables de stopper la dérive des finances publiques, ayant épuisé les différents moyens de rééquilibrer les comptes. Généralement, plus un État étend son emprise au-delà de ses frontières géographiques et institutionnelles naturelles, plus le coût de son fonctionnement devient exorbitant, ce qui est la caractéristique même des régimes collectivistes et impérialistes. Non seulement l’économie en souffre dans ses structures mêmes, mais les comptes publics sont peu à peu complètement faussés. Cette situation budgétaire est en elle-même le symptôme d’une crise plus grave qui montre que ceux qui se proclament les Phase critique n° 2: L’âge de l’inflation Quand la taxation ne suffit pas à assouvir les appétits d’une administration qui ne veut pas se réformer, alors les gouvernements manipulent la monnaie. C’est devenu impossible, nous dit-on, en Europe avec une Banque centrale indépendante. Mais le fait que la France et l’Allemagne ne se sentent pas liés par le pacte de stabilité, qui leur imposait pourtant de respecter les critères de gestion définis à Maastricht, revient d’une certaine manière à mettre les autorités monétaires devant le fait accompli. Si la France et l’Allemagne diffèrent sans cesse la mise en oeuvre des réformes de leurs appareils étatiques respectifs, la Banque centrale européenne se trouvera dans une obligation de créer de la monnaie pour venir au secours des finances publiques des deux poids lourds européens. Devant cette perspective aisément prévisible, considérant notamment l’incapacité de la France à anticiper la moindre réforme, on comprend l’hésitation de certains pays, sans aucun doute géographiquement, historiquement et culturellement européens, à cependant intégrer le système monétaire européen.
À l’époque de la Rome déclinante, on manipulait sans scrupule la monnaie car il n’y avait pas de séparation des pouvoirs: l’empereur était tout puissant. Mais la puissance illusionne: l’empereur pouvait certes créer de la monnaie mais il ne pouvait créer de la richesse. Cette création monétaire n’était qu’un instrument de spoliation déguisé, l’inflation qu’elle nourrissait jouant le même rôle confiscatoire qu’un impôt. De même, à quelques siècles d’intervalle, dans l’Allemagne de Weimar, la planche à billet tournait sans mesure engendrant l’hyper-inflation la plus fatale que l’Allemagne ait jamais connu puisque la Banque centrale obéissait aux ordres d’un gouvernement à la dérive. Phase critique n° 3: L’emballement Quand l’inflation se déchaîne et dégénère en hyper-inflation, les pouvoirs publics en viennent à des mesures drastiques de contrôle des prix. De telles mesures finissent par briser le fonctionnement des marchés, les prix perdant toute leur valeur informationnelle. Et quand on ne connaît plus le Phase critique n° 4: La remise en Vient alors le temps de la remise en La société féodale s’est constituée progressivement sur les ruines de l’empire romain, plus précisément sur une remise en ordre de ces ruines. Elle a fondé une société basée sur l’existence de trois grands ordres qui allait durer près de treize siècles en Europe. Dans le système féodal, chacun s’est vu attribué une place précise dans un ordre en échange d’un service rendu: le serf assurait la fonction économique de production en échange de sécurité (mais il y a perdu progressivement sa liberté); le noble assurait la fonction de défense en échange de laquelle il conservait sa liberté; et l’église assurait les missions de gouvernement, d’école et de charité. À défaut d’existence d’un marché et d’une monnaie stable, à défaut d’institutions garantissant le respect des droits individuels, une économie libre ne peut jamais s’épanouir sur laquelle un ordre spontané de la société s’organiserait. C’est quand on est revenu sur l’ordre féodal, en abolissant les ordres anciens et les privilèges inhérents à ces ordres, que l’économie de liberté a pu s’épanouir à nouveau. Dans toutes sociétés, les ordres ou les castes sont le seul substitut au marché, assignant de force une place à chaque élément de la société. Voilà une des grandes leçons de l’histoire: l’effondrement de l’empire romain et de ses structures étatiques a produit l’ordre féodal européen; la ruine de Weimar a permis l’avènement du Reich; la débâcle du Chili d’Allende a amené le Chili de Pinochet. Sachons interpréter en France les nombreux symptômes du déclin pour éviter de nous étonner des remises en ordre qui ne manqueront pas de tomber à défaut de savoir réformer ce qui ne marche plus.
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