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Montréal, 17 janvier 2004 / No 136 |
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par
Gilles Guénette
Les administrateurs de programmes gouvernementaux – et ceux qui en bénéficient – ressortent souvent le même argument pour justifier la ponction d'argent que doit subir chaque contribuable pour financer leurs activités: «C'est juste quelques sous par jour!», «À peine le prix d'un café!» Sauf qu'additionnez les cafés et vous vous rendez compte que ce sont maintenant des cafetières entières qu'on vous enlève chaque année! Additionnez les quelques sous détournés pour ce secteur-ci, les quelques sous détournés pour ce secteur-là, et vous vous retrouvez bien vite avec une part substantielle de votre revenu annuel qui fout le camp. Prenez le financement de la culture par exemple. |
Achetez
tout de suite, payez plus tard
Au début du mois, Statistique Canada nous apprenait qu'en 2001-2002 les dépenses publiques totales au chapitre de la culture avaient affiché leur rythme de croissance le plus rapide en dix ans, les dépenses du gouvernement fédéral ayant dépassé la barre des 3 milliards de dollars pour la première fois (Dépenses publiques au chapitre de la culture, 2001-2002, Statistique Canada, 7 janvier 2004). Trois milliards de dollars, c'est 3000 millionnaires de la Loto 6/49 qui, dans un élan de générosité, remettent tout leur magot au Trésor public! En tout et pour tout, les trois paliers de gouvernement ont dépensé 6,8 milliards de dollars pour tout ce qui a trait à la culture, des bibliothèques publiques aux arts d'interprétation. Une hausse de 7,6% par rapport à 2000-2001 et une 4e année consécutive où les dépenses au chapitre de la culture augmentent. Le gouvernement fédéral a versé une somme record de 3,2 milliards de dollars, en hausse de 8,9% par rapport à 2000-2001, les provinces et les territoires ont versé 2,1 milliards de dollars, en hausse de 2,6%, et les municipalités 1,8 milliard de dollars, en hausse de 9,3%. En tout, d'un océan à l'autre, c'est un peu plus de 7 milliards $! Étonnant que les grands cafetiers ne crient pas à la concurrence déloyale! Au Québec, société distincte oblige, les allocations publiques à la culture atteignent 297 $ par habitant alors que la moyenne nationale est de 230 $. Ce sont environ 300 dollars qu'Ottawa, Québec et les municipalités viennent nous chercher chaque année dans les poches pour les redistribuer – tels autant de «nobles» Robins des bois – dans celles de maisons d'édition, de musées, de maisons de production, de chaînes de télévision, de troupes de cirque, de poètes, de chanteurs, etc., sans oublier les coffres des ministères, des nombreux bidules gouvernementaux, et d'une panoplie d'organismes culturels. Les chiffres, d'un bout à l'autre du pays, sont éloquents:
Ce que nous disent ces chiffres, c'est que:
2) les artistes et associations d'artistes se paient notre tête lorsqu'ils se plaignent de manquer d'argent, ou d'être carrément réduits au rang de citoyens de seconde classe tellement ils sont pauvres. Ou bien ils vivent extrêmement au-dessus de leurs moyens, ou bien ils jouent le jeu du «je vais en demander beaucoup plus pour en obtenir un peu moins, ce qui m'en donnera tout de même un peu plus que ce que je voulais au départ». Un petit jeu qui nous coûte chacun quelques centaines de dollars par année. 3) les activités supposément «gratuites» (la télé, les festivals, les Journées de la culture, les mercredis «gratuits» au musée, etc.) n'ont rien de gratuit. La gratuité n'est pas de ce monde. Il s'agit en fait d'une version bureaucratique du concept de marketing «Achetez tout de suite, payez plus tard» – tant décrié par les groupes de défense des consommateurs – appliqué au domaine des arts. Le problème avec cette approche, c'est aussi qu'un système de culture subventionné engendre immanquablement la création de quantité de produits qui ne font l'objet d'aucune demande sur le marché: des recueils de poésie aux magazines hyper spécialisés que personne ne lit, en passant par les émissions de télé que personne ne regarde et les pièces de théâtre que personne ne va voir. Ces produits ne sont consommés que par les proches des auteurs et par les membres d'une petite élite bien branchée. Si les premiers n'ont aucun poids politique, les seconds, eux, en ont. Et ils ont des tribunes et des amis bien placés pour s'en servir. C'est un peu comme si tout ce beau monde se payait une culture personnalisée sur le dos du contribuable. La meilleure façon d'avoir une culture pertinente pour tout le monde, c'est de laisser les consommateurs de culture décider eux-mêmes de ce qu'ils veulent bien consommer. Vous voulez de la poésie, des pièces de théâtre expérimentales, de la danse moderne, payez-vous les! Mais redonnez-nous notre 300$ et laissez-nous décider de ce que nous voulons consommer. Comme le prix du marteau vendu à l'État est généralement le double de celui vendu au particulier, nous ne risquons que d'avoir deux fois plus de culture.
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