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Montréal, 6 mars 2004 / No 139 |
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par
Marc Grunert
Pascal Salin, l'un de nos meilleurs économistes, parmi les plus réputés internationalement, est attaqué en tant que président du jury d’agrégation (lire l’article de Roland Granier pour plus de détails sur cette institution). Dès le départ il était suspecté en tant qu’«ultralibéral» (ceux qui réfléchissent comprendront que cette notion n’a pas de sens rationnel, c’est juste un mot qui sert à désigner l’ennemi). L’indigne CNU (Conseil national des universités) Le jury a été timidement défendu lors d’une séance de l’Assemblée nationale. La question d’Hervé Novelli (UMP) était incisive et pointait bien le problème: le refus du pluralisme dans une Éducation nationale majoritairement de gauche et keynésienne, le terrorisme intellectuel organisé au plus haut niveau par des universitaires qui jouent à la lutte de classe. |
Le ministre Xavier Darcos n’a pas jugé bon ni de répondre
à la campagne de presse haineuse contre Pascal Salin, ni de relever
une action du CNU qui a outrepassé ses droits. Car «l'affaire,
écrit Philippe Simonnot dans Le Figaro du 2 mars, remonte
à la motion de défiance votée en décembre par
le Conseil national des universités. Cet auguste organe a ouvert
la voie à la calomnie, lui donnant par avance une sorte de légitimité.
En effet, le CNU déclarait craindre que "la représentation
du caractère pluriel des sciences économiques ne soit pas
pleinement représentée" par l'actuel jury (Le Figaro
du 27 février). Il allait même jusqu'à regretter "la
déconsidération qui pourrait ainsi affecter notre profession"».
«Faudrait-il donc, poursuit Simonnot, que la composition d'un jury d'agrégation se fasse sur le mode des directions de parti ou de syndicat où les "courants" sont représentés en proportion de leur importance en cartes ou en voix? Les lauréats devraient-ils être choisis sur tout l'éventail des diverses sciences économiques, depuis l'ultralibéralisme jusqu'au néomarxisme? L'adjectif employé ici par la plus haute instance universitaire serait-il un hommage nostalgique aux vertus passées de la gauche dite "plurielle"? Dans un de leurs libelles, les contempteurs remarquent que sur les quarante candidats déclarés admissibles, "au moins six ont un profil très proche de celui du courant majoritaire du jury". Six sur quarante, voilà une proportion qui rendrait plutôt hommage à la neutralité du jury, s'il s'agissait de représentativité. Mais c'est encore trop pour nos censeurs qui jugent que le "courant" en question, à savoir le libéralisme, qu'ils estiment minoritaire dans la gent des économistes, serait ici surreprésenté. Un tel comptage confine au grotesque.» Retour à l’économie dirigée et à la planification Les professeurs keynésiens de gauche, majoritaires en France, parasites de l’État (lire «les intellectuels et le socialisme» de Hayek(1)), ont même publié un torchon(2) qui n’honore pas la profession, et encore moins les auteurs. Qu’en reste-t-il si on oublie la rhétorique visant à discréditer un jury et des admissibles en citant en dehors de leur contexte des extraits incompréhensibles de leurs travaux? Une seule chose: «Nous ne voulons pas d’un jury dont les membres sont libéraux.» Et cela même s’il faut contester les procédures démocratiques et la loi républicaine qu’ils ne reconnaissent donc que si elles leur permettent de dominer toutes les instances de décision et de présider les jurys. Sacrés démocrates! Les commanditaires, François Legendre, professeur à l'Université de Paris XII, et Yannick L'Horty, professeur à l'Université d'Evry Val d'Essonne, ont fait circuler ce texte(2) qui a eu des échos dans le quotidien crypto-marxiste Libération(3) et dans Le Monde(4). Ils reprochent au jury d’être «monocolore» et pour le démontrer ils font étalage de toutes les associations auxquelles appartiendraient les membres. À commencer par la Société du Mont-Pèlerin fondée par Hayek en 1947. Cette association honorable a été fondée dans l'après-guerre par des philosophes et économistes inquiets de la montée en puissance de l’étatisme et de l’économie dirigée, conséquence de l’économie de guerre et de l’illusion socialiste dont on a pu observer très clairement les dégâts entre 1981 et 1983 à l’ère Mitterrand. De plus, Karl Popper, co-fondateur (avec Maurice Allais, prix Nobel français et bien d’autres), a été le maître à penser d’Helmut Schmidt, ancien Chancelier allemand SPD (Parti socialiste) à la fin des années 70. Qui plus est, cette association a toujours eu parmi ses membres nombre de prix Nobel d’économie. On reproche à Pascal Salin d’en avoir été le président pendant deux ans? Diable! Ce serait plutôt une pièce à décharge. Ainsi, en jugeant Pascal Salin inapte à présider un jury d’agrégation parce qu’il est membre de la Société du Mont-Pèlerin, il faut en conclure que les professeurs Legendre et ses acolytes défendent ce que cette Société combat: l’économie centralisée, planifiée, dirigée par l’État, et cela malgré les échecs patents du socialisme et de la planification économique. Quel crédit peut-on encore accorder à des incompétents de cette sorte? Le véritable enjeu En raison de son histoire, probablement du compromis d’État d’après-guerre passé avec les communistes, la France s’est soviétisée. Monopole de l’Éducation nationale (bastion du gauchisme intellectuel et de la réaction antilibérale), monopole de la Poste dirigée par la CGT (communiste), monopole des chemins de fer (SNCF, dirigée de fait par les communistes), sans parler du monopole sur la production et la distribution de l’électricité (EDF), un statut de la fonction publique fabriqué par les communistes, une sécurité sociale monopolistique gérée par des «partenaires sociaux» irresponsables, une économie mixte où l’État contrôle tout, soit par des «lois», des réglementations, des taxes ou sa présence en tant qu’actionnaire. Tout l’envahissant secteur public est devenu la chasse gardée d’une classe de parasites dont font partie les syndicats, qui vivent fièrement aux dépens des autres. Que sont les Legendre et autres sbires de la cabale anti-Salin sinon les théoriciens d’une France sous occupation? Une occupation idéologique, keynésienne économiquement et socialo-communiste politiquement, maillée par d’obscurs militants ou/et simples profiteurs de l’État «solidaire», comme l’association ATTAC qui réunit les privilégiés du système de l’État-providence et qui voudrait exporter le modèle de l’État-spoliateur à l’échelle de la planète.
Derrière la campagne de dénigrement du jury Salin, il ne faut voir rien d’autre qu’un réflexe conditionné. Celui de ceux qui veulent monopoliser le «champ idéologique» pour parler comme leur maître Bourdieu. Ils sont habitués à ne raisonner qu’en termes de lutte de pouvoir, lutte de classe (crypto-marxisme) et ils n’auront de cesse que lorsque les peu nombreux mais éminents libéraux français seront cantonnés et oubliés dans un laboratoire de 9m2, enfermé dans une sombre banlieue parisienne. La démocratie? Elle n’existe que quand eux sont les maîtres. Le pluralisme? Ils le louent tant qu’ils ne risquent pas d’être minoritaires. Mais là justement prend la source de leur inquiétude. Quinze malheureux professeurs d’université sélectionnés par un jury présidé par un grand économiste notoirement libéral, c’est déjà «un rapport de force» qui commence à s’inverser, doivent-ils penser. Belle conception du pluralisme. Alliance des keynésiens et des gauchistes Les keynésiens, qui n’ont rien appris en cinquante ans, récitent leur catéchisme étatiste. On pourrait croire que les auteurs du torchon susmentionné, en tant qu’universitaires, sont des scientifiques qui respectent les règles académiques. Mais non seulement critiquent-ils les résultats d’un mode de décision qu’ils acceptent quand eux décident, mais en plus leur critère n’est pas la vérité scientifique. Ce sont des politiciens qui raisonnent en politiciens: quelles sont nos forces, quelles sont nos pertes? Voilà tout ce qui les intéresse. Ce mode de raisonnement politicien leur vient sans doute du fait que leur conception de la science économique est celle d’une science au service de l’État. Comme l’a écrit Philippe Simonnot dans Le Figaro du 2 mars 2004, «Condillac, l'un des plus grands et des plus méconnus économistes français (nul n'est prophète en son pays), l'emploie [le mot «science»] dès les premières pages de son chef-d'oeuvre Le Commerce et le gouvernement (1776). Mais le concept de science que Condillac utilise est tout à fait étranger au modèle de science expérimentale que suivent tant d'économistes, de droite ou de gauche. Et pourquoi le suivent-ils? Parce qu'ils prétendent pouvoir faire des prévisions, ce qui est leur gagne-pain. Évidemment ces prévisions sont toujours erronées, car l'homme n'est pas un animal sur lequel on puisse faire des expérimentations de laboratoire.» C’est leur gagne-pain, le mot est lâché. Les keynésiens dépendent de l’État car celui-ci a besoin d’eux pour justifier son pouvoir. Échange de bons procédés. «Le succès des recettes keynésiennes («concept» est un trop grand mot pour elles) auprès des politiciens, écrit Simonnot dans le QL(5), n’est pas surprenant, puisque les politiciens y trouvent une justifications à leurs interventions dans le domaine économique. C’est particulièrement le cas en France où le keynésianisme a répondu véritablement à une demande de l’État. Aussi bien l’ENA a-t-elle été imprégnée de cette doctrine depuis sa création en 1945, ce qui a contaminé Sciences-Politiques (où l’on prépare l’ENA) et nombre de Facultés de Sciences économiques. C’est pourquoi il y a si peu de différence entre la droite et la gauche classiques dans ce pays. Elles sont toutes deux dirigées par d’anciens énarques, pour la plupart keynésiens. Une catastrophe pour la France et qu’elle paye très cher. Car la doctrine keynésienne est une imposture [...].» De cette alliance des keynésiens et néomarxistes avec l’État découle aussi leur alliance avec les gauchistes. La meilleure preuve se trouve dans le relais bien synchronisé des médias gauchistes. Libération, le journal des bobos, ces idiots utiles qui oublient de penser, et Charlie Hebdo, qui s'adresse aux anti-capitalistes et marxistes aigris. Le sous-titre de l’article, «Guerre contre l’intelligence, Ferry nomme des gogols au jury d’agrégation» (25 février 2004), outre son caractère diffamatoire, montre bien que l’essentiel n’est pas de connaître mais de juger, et juger a priori en fonction d’un seul critère: dans la guerre contre le libéralisme, y a pas à réfléchir, il faut réagir, de la manière la plus ridiculement ignominieuse… il en restera toujours quelque chose. Le gauchisme a droit de cité, comme n’importe quel mouvement idéologique, évidemment. Mais l’intolérance et la tendance à exacerber les tensions sociales pour en profiter, la tendance à politiser tous les actes de la vie et de la vie académique universitaire, sont une plaie sociale dans la mesure où ce que le gauchisme vise n’est rien d’autre qu’un État idéocratique monopolistique sans lequel il ne peut pas accomplir sa nature totalitaire. Cette alliance des économistes keynésiens et néomarxistes avec les gauchistes ne doit donc pas surprendre. Leur objectif à moyen terme n’est-il pas le contrôle de la société par l’État? Si une notion marxiste leur convient bien c’est celle d’idéologie de classe. L’État? Mais c’est leur gagne-pain. La polémique, une chance? Le plus inquiétant, dans cette polémique, est la méconnaissance grave du libéralisme. Ceux qui sont autorisés à en parler, via les médias, que ce soit les journalistes trotskistes de Libération, les sociaux-démocrates du Monde ou les universitaires politiciens qui ignorent volontairement que le libéralisme comprend aussi une éthique normative fondée sur une théorie du Droit(6), ne retiennent finalement que quelques phrases. J’aimerais bien connaître les arguments que le médiocre Legendre oppose aux thèses de Pascal Salin dans Libéralisme (Odile Jacob, 2000). Mais comme le dit très bien Stefan Metzeler, co-fondateur de l’association suisse Pro Libertate, ce débat a porté des penseurs libertariens importants sur le devant de la scène:
Nous sommes donc en plein débat d'idées et ce débat sera décisif pour notre avenir à tous. J'estime qu'il est du devoir des membres de notre courant de pensée de communiquer nos idées de la manière la plus claire possible, pour que les personnes intéressées puissent en comprendre la véritable portée et ainsi décider en connaissance de cause. Annexe de Jean-Gilles Malliarakis qui anime l’excellent site l’insolent:
Or, la campagne stalinienne contre le professeur Salin est reproduite par Libération, Le Monde, Charlie Hebdo. Cette campagne est tolérée, banalisée par les journaux chiraquiens, Le Figaro et Paris Match. Cela va donc bien au-delà de la question du jury d’agrégation concours 2003-2004 de sciences économiques. Il s’agit de la part des staliniens (…et des trotskistes: aujourd’hui c’est la même chose) qui la fomentent, comme des chiraquiens qui l’intériorisent, de placer encore plus loin le bouchon de la ruine et de la répression. Il s’agit de reprocher à Pascal Salin et à 3 autres économistes de qualité qui l’assistent, parmi 7 membres du jury national de ne pas adhérer à ATTAC. On va jusqu’à reprocher à Pascal Salin d’avoir présidé en 1994-1996 la société internationale d’économistes du Mont-Pèlerin, favorable au libre-échange et à l’État de droit. Quel rapport entre cette Inquisition d’un genre (à peine) nouveau et la démagogie agricole résiduelle du Chef de l’État?
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