Si les principes élémentaires de justice étaient appliqués,
l’héritage serait simplement un transfert légitime de titres
de propriété sur lesquels l’État et «
la société » n’auraient strictement
aucun droit. C’est simple, évident, mais les esprits dérangés,
confus, s’éloignent de ce qui est simple, évident et logique.
Et c’est toute la pratique de la social-démocratie de compliquer
ce qui est simple. Ce qui est rendu compliqué engendre des clivages
politiquement utiles, des majorités de circonstances, alors que
ce qui est simple a pour seul résultat une unanimité politiquement
inutile et, de ce fait, honnie par les pseudo-démocrates(3)
et les politiciens.
Une
réformette louable mais qui ne change rien
« La France aurait-elle enfin décidé de
remettre en question la taxation de l’héritage? »
(Le Point, 16 septembre 2004). La réponse est évidemment
non. Pour des raisons philosophiques et économiques qui ne sont
pas minces (voir Pascal Salin ailleurs dans
ce numéro), le ministre de l’Économie Nicolas Sarkozy a décidé
de supprimer l’impôt sur les successions si le capital transmis à
un héritier direct (enfants, petits enfants) se limite à
200 000 euros(4).
Mais comme il fallait s’y attendre, le principe même de la taxation
n’est pas remis en question. Appelons ça un petit cadeau pré-électoral
à destination de ceux qui ne savaient pas encore trouver leur chemin
dans le maquis de la loi pour échapper aux « droits
de succession ».
Pour y échapper, il y a par exemple le recours à la donation:
on se dépossède de son vivant pour que nos héritiers
légaux ou choisis n’aient pas à s’acquitter de la taxe sur
l’héritage. En clair, la loi dit: vous êtes trop vieux pour
avoir encore besoin d’être propriétaire, veuillez passer la
main, allez vous réfugier dans un hospice, renoncez à votre
indépendance matérielle gagnée par une vie de labeur,
vous entrez dans le royaume des morts-vivants. Belle moralité. Mais
la propriété est la continuité de la personne comme
l’a bien montré Locke. L’incitation fiscale à la dépossession
n’est donc rien d’autre qu’une prime au sacrifice de soi. De ce point de
vue, la réformette Sarkozy est moralement méritoire. Mais
ce n’est qu’une goutte d’eau de moins dans l’océan de l’injustice
fiscale qui frappe les testateurs et les héritiers.
De fait, la structure des « droits de succession »
n’a pas été remise en question – l’expression «
droits de succession » est d’ailleurs assez révélatrice
du double langage qui sème la confusion, car ces « droits
» sont précisément une négation du Droit
de disposer de sa propriété et de la transmettre librement.
Le taux marginal de l’impôt sur la succession se monte toujours à
plus de 40% et touche les successions des plus fortunés qui n’ont
pas été assez habiles (ce qui est rare) pour créer
des « fondations » par lesquelles ils peuvent
posséder sans être propriétaires et transmettre sans
payer d’impôts (du bricolage quoi), ou pour avoir utilisé
toutes les possibilités légales d’éviter le coup de
massue de la taxe.
« En clair, la loi dit: vous êtes trop vieux pour avoir encore
besoin d’être propriétaire, veuillez passer la main, allez
vous réfugier dans un hospice, renoncez à votre indépendance
matérielle gagnée par une vie de labeur, vous entrez dans
le royaume des morts-vivants. Belle moralité. » |
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Le bricolage de la social-démocratie est donc total: on superpose
une structure fiscale, des moyens d’y échapper, une pseudo-justice
« sociale » et un timide respect des droits de
propriété. Un fatras incohérent qui ne satisfait personne
mais assez égalitairement, grâce à Sarkozy désormais.
L’égalité devant l’injustice, c’est là tout ce que
parviennent à produire des gouvernements gouvernés par les
prochaines élections.
La
taxation sur l’héritage est injuste et nuisible
Pascal Salin rappelle et justifie quelques évidences que toute personne
saine d’esprit ne peut que reconnaître. La taxation sur l’héritage
est d’abord injuste. Qui peut légitimement être propriétaire
des biens transmis si ce ne sont les propriétaires eux-mêmes
et les héritiers désignés? La « société
»? Et qui parlera en son nom? Et la société,
qui est-ce? Personne. Et qui osera prétendre qu’il est juste de
voler le bien d’autrui pour réaliser une « justice
sociale » introuvable, indéfinissable, et qui
se réduit toujours, en pratique, à l’octroi du bien volé
à des groupes électoralement puissants, plus généralement
aux groupes choisis par le pouvoir politique ou, plus concrètement
encore, aux hommes de l’État eux-mêmes et à leur bureaucratie?
En cent ans, selon Le Point, le taux marginal de l’impôt sur
l’héritage est passé de 1% à 40%! On peut douter que
le souci de « justice sociale » soit
la raison de cette escalade. Ces chiffres montrent plutôt clairement
le lien entre l’impôt et l’intervention arbitraire de l’État
dans les affaires humaines privées, la croissance de la bureaucratie,
le clientélisme inhérent à une démocratie «
illimitée » (Hayek). Et même si une Constitution
fixait un taux d’imposition invariable, cet impôt resterait injuste.
Il y a deux arguments favorables à la taxe sur l’héritage
qui sont particulièrement perfides, aussi séduisants que
fallacieux.
« Il serait inique de recevoir sans avoir travaillé.
» À ceux qui pensent cela, on peut répondre
tout simplement qu’ils devraient se contenter d’appliquer leur morale subjective
à eux-mêmes et réclamer la possibilité de transmettre
LEURS propres biens à qui bon leur semble (l’État, si ça
leur fait plaisir) mais sans forcer les autres à faire de même.
Un principe moral qui ne peut pas être universalisé sans violer
les mêmes droits de propriété des autres ne peut pas
être un principe de justice(5).
Un autre argument repose sur l’origine historique a priori douteuse
de l’acquisition de la propriété. À quoi il faut répondre
que la taxe ne concerne pas la légitimité de la propriété
(elle ne met pas en question l’« origine » de
la propriété) mais la transmission de la propriété.
Il s’agit donc de deux questions de droit logiquement distinctes. Par ailleurs,
aurait-on montré que la fortune d’un testateur provient d’une violence
initiale que cela ne ferait pas de la « société
» ou de l’État les propriétaires légitimes
de cette fortune. C’est un problème juridique qui implique des ayants
droit précis, s’ils existent encore (lorsque la prétendue
violence remonte à l’Ancien Régime par exemple), et qui,
seuls, peuvent prétendre à un droit quelconque (sur cette
question, lire l’analyse de Pascal Salin susmentionnée).
Mais la taxation de l’héritage n’est pas seulement immorale et injuste,
elle est aussi économiquement nuisible. Elle disperse le capital,
elle le liquide, le consomme, le détruit. Ces taxes serviront à
engraisser les bureaucraties, à des dépenses publiques, à
acheter des clientèles électorales. Autant de causes d’un
appauvrissement général. La dette publique qui pèse
sur tous les citoyens démontre bien que l’État dépense
toujours plus qu’il ne taxe, quel que soit le niveau de la taxation. Destruction
de valeur au lieu de création. Tout le contraire d’une économie
capitaliste fondée sur le profit et l’accumulation du capital.
Les lois fiscales sont fondées sur l’arbitraire et le confusionnisme,
au gré des majorités politiques du moment. La plus grande
incohérence y règne. La réforme Sarkozy va dans le
bon sens, mais sans dissiper la confusion. Le vol légal se poursuit,
il n’est qu’aménagé.
1.
« Simple » ne veut pas dire facile à comprendre mais
clarté, harmonie et logique. Il s’agit d’une simplicité conceptuelle
obtenue grâce à une définition réaliste et cohérente
des concepts et au très petit nombre de principes de justice logiquement
reliés. Une belle application de cette façon de procéder
se trouve dans L’éthique
de la liberté de Murray Rothbard (mis en ligne avec l’aimable
autorisation des éditions Les
Belles Lettres). >> |
2.
À propos de l’influence du thomisme sur l'École autrichienne,
lire « L’école
autrichienne à la fin du xixe et au début du xxe siècles
» de Guido Hülsmann. >> |
3.
Lire « La
rationalité comme seul critère de distinction entre les normes
politiques » de François Guillaumat afin de voir ce qu'il
reste du concept de « démocratie » après en avoir
expurgé les incohérences habituelles. >> |
4.
Pour une présentation du bricolage de la proposition de loi de Sarkozy,
voir Sabine Delanglade, « Héritage:
Ce qui change », L'Express, 20 septembre 2004. >> |
5.
« Lorsqu'il s'agit d'une proposition normative, c'est l'idée,
formulée par la Règle d'or de l'éthique ou l'Impératif
catégorique de Kant, qu'il n'est possible de justifier que les normes
que l'on peut formuler comme des principes généraux, valides
pour tout le monde sans exception. » (« De
la théorie économique du laissez-faire à la politique
du libéralisme », Hans-Hermann Hoppe, 1993.) >> |
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