En vertu de loi du 24 décembre 2021 « visant à garantir
l'efficacité des soins de santé et la protection des
non-malades », la carte d'identité contiendrait désormais un
dossier médical complet, incluant les « maladies
distinctives ». De haute lutte, la Commission d'accès à
l'information avait, au nom de la protection de la vie
privée, obtenu que la nature des informations consultées
dans la carte soit chaque fois communiquée à son titulaire.
Grâce à une subvention de la DARRE (Direction des
autoroutes, rues et ruelles électroniques), une nouvelle
technologie apparut au milieu des années vingt: des
appareils capables de lire les puces d'identité à distance.
Conjuguée à cette découverte fondamentale, la fameuse bavure
du 20 janvier 2025 accéléra la bonification de la carte
nationale d'identité du Québécois.
Ce soir-là, alors qu'il rentrait chez lui avec une copine,
un jeune étudiant de 20 ans, le citoyen no THX-113-877-777,
est arrêté par la Police Nationale (anciennement Police
Québec) pour un banal contrôle d'identité. La jeune fille ne
peut produire sa carte d'identité, qu'elle a
malencontreusement oubliée au cinéma en l'utilisant pour
acheter du pop corn. À partir de ce moment, les choses se
passent très vite, et certaines questions demeurent sans
réponse cinq ans plus tard.
Les policiers ordonnent à la jeune fille de les suivre au
commissariat pour fins d'identification. Elle proteste
vivement, craignant que son mari (qui était, à seize ans, le
plus jeune député de l'Assemblée Nationale) n'apprenne son
escapade. Un agent la maîtrise. Son compagnon s'interpose.
Une bousculade éclate. Un des agents croit voir le jeune
homme sortir un objet brillant de sa poche – crainte
justifiée par la forte contrebande des armes à feu depuis
l'achèvement de leur prohibition en 2015. L'agent dégaine
son pistolet mitrailleur (la toute nouvelle arme de service
de la Police Nationale), et abat le jeune homme d'une rafale
de trois coups.
Ce tragique incident amena rapidement la Commission de
l'Identité de l'Assemblée Nationale (flectamus genua)
à proposer des mesures correctives. En vertu de la loi du 23
juin 2026, chaque policier était désormais doté d'un lecteur
individuel d'identité, opérationnel dans un rayon de deux
mètres. Et afin d'éviter que les citoyens n'égarent leur
carte d'identité, celle-ci était remplacée par un bracelet
d'identité. La loi portait aussi de deux ans à dix ans de
prison la peine maximale pour défaut de porter la
carte-bracelet d'identité.
La Commission des droits de la personne/personne/personne
(dont on venait de rectifier le nom pour éviter toute
discrimination contre les Noirs ou les infirmes) protesta
vivement. Elle obtint les assouplissements légaux qu'elle
réclamait: les individus démontrant, à la satisfaction du
ministre, des raisons religieuses, professionnelles (les
plongeurs du Ritz, par exemple) ou médicales (les manchots)
de ne pas porter le bracelet d'identité se voient désormais
émettre un collier d'identité.
Le CPPCRS (Conseil de la pureté publique contre les
réminiscences du sadomasochisme) s'objecta au nom de
l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Mais, rétorqua
hautement le ministre de la Culture, « gouverner, c'est
choisir, et on ne peut plaire à tout le monde et à son
chien ».
Or, voici qu'aujourd'hui, après quelques années de répit à
peine, le débat reprend de plus belle avec la proposition du
gouvernement de changer un seul mot dans la loi du 23 juin
2026: étendre de « deux mètres » à « deux kilomètres » le rayon
d'action des appareils de lecture d'identité. Le
gouvernement soutient que cette mesure facilitera la vie aux
citoyens en permettant aux policiers et autres
fonctionnaires de contrôler leur identité sans les arrêter
ni les importuner. Le Protecteur du citoyen pose toutefois
une condition: que l'on interdise la possession des nouveaux
lecteurs aux multinationales.
Le projet gouvernemental a été bien accueilli par l'opinion
publique. La bombe de forte puissance qui, le 15 mars
dernier, a rasé au sol un centre de traitement de la DRSS à
Cowansville, pulvérisant dix bureaucrates dont on n'a même
pas retrouvé les bracelets d'identité, n'a fait
qu'intensifier les appels à la loi et l'ordre. Selon le
ministre de la Police, les jeunes révolutionnaires inculpés
après cet attentat sauvage « sont des descendants de coureurs
des bois, inadaptés à la vie dans une société civilisée et
organisée ».
Exprimant son appui au gouvernement, le président de la CSNS
(Confédération des syndicats nationaux et socialistes)
renchérit: « Il importe de tourner le dos aux tendances
néolibérales de notre société, de préserver les acquis du
modèle québécois d'identité, et de maintenir le cap sur le
plus identitaire des mondes. »
Aux quelques voix qui murmurent que le bracelet de
surveillance permettra désormais à l'autorité publique de
savoir où se trouve n'importe quel individu à n'importe quel
moment, la Ligue des droits et libertés répond que « ces
craintes ne sauraient concerner ceux qui n'ont rien à cacher
dans notre société libre et démocratique ». « De toute
manière, admet cyniquement le chef de L'Opposition
officielle, il n'y a plus grand-chose à cacher. »
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