Contre le prélèvement automatique d'organes |
Comme plusieurs, je signe ma carte d'assurance-maladie là où c'est
inscrit que j'autorise le prélèvement d'organes et de tissus à ma mort.
J'estime que si je peux améliorer ou sauver une vie (ou plusieurs),
lorsque je ne serai plus de ce monde, c'est bien la moindre des choses.
Mais voilà que des voix s'élèvent pour dire qu'il n'y a pas assez de
gens qui, comme moi, signent leur carte et que l'État doit en quelque
sorte nous forcer à le faire. Les politiciens ne contrôlent pas
suffisamment nos vies, certains voudraient qu'ils contrôlent maintenant
nos morts. Toujours le même bon vieux réflexe: à défaut de pouvoir
convaincre du bien-fondé d'une idée, on réclame une loi pour forcer tout
le monde à y adhérer.
Prenez mon ami Richard Martineau par exemple. Dans
une chronique
publiée récemment, il y allait d'un vibrant plaidoyer en faveur du don
d'organe automatique: « Pourquoi le gouvernement ne dépose-t-il pas un
projet de loi rendant le prélèvement d'organe automatique? Que tu aies
signé ta carte ou pas, on prend ce qu'on a à prendre. Oui, je sais, ça
peut paraître brutal. Après tout, les dernières volontés, c'est sacré.
Dire à nos proches comment disposer de notre corps après notre décès est
un droit fondamental. Mais en même temps, les vivants sont plus
importants que les morts. Si on peut sauver une jeune fille en attente
d'une greffe depuis deux ans, pourquoi ne le ferait-on pas? »
« On prend ce qu'on a à prendre ». Étonnant qu'on puisse écrire une telle
phrase sans broncher. Imaginez si quelqu'un entrait chez vous et, parce
qu'il y a des pauvres qui souffrent, qui ne mangent pas à leur faim et
qui ne bénéficient pas du même niveau de confort dont vous bénéficiez,
déclarait: « Pour le plus grand bien des plus pauvres que vous, on prend
ce qu'on a à prendre » et vous n'auriez rien à dire. « Et cessez de
rouspéter, espèce d'individualiste inconscient », qu'ils vous diraient en
ressortant les bras pleins de denrées alimentaires et de produits jugés
essentiels.
Et que dire du fameux « Si on peut sauver une vie, ça en aura valu la
peine »?! S'il fallait tout faire, collectivement, ce qui nous passe par
la tête pour sauver ne serait-ce qu'une seule vie, on vivrait
dans un monde totalitaire. Pensez-y! Pourquoi ne pas interdire les
voitures sur les routes pour n'autoriser que les autobus? On pourrait
sauver plusieurs milliers de vies! Pourquoi ne pas interdire toute vente
de produits alcoolisés, sucrés ou enrichis de matières grasses? On
pourrait sauver des millions de vies! Pourquoi ne pas obliger les gens à
faire de l'exercice... Enfin, vous voyez l'aberration de la chose. À
preuve du contraire, les êtres humains sont dotés d'un minimum de
conscience et savent agir en êtres responsables. Qu'on les laisse faire
ce qu'ils veulent.
D'ailleurs, il fallait lire les commentaires que la chronique a générés
sur la page Facebook du chroniqueur. Unanimité! Tous les amis de Richard
(sauf une!) trouvent que l'idée est géniale. Ce serait la meilleure
intervention gouvernementale depuis l'invention du pain tranché! Et je
suis sûr que si on faisait un sondage, une majorité de répondants
diraient que le prélèvement automatique d'organes est une excellente
idée. Mais comment se fait-il qu'on en soit rendu à discuter d'une telle
mesure alors même que tout le monde semble être d'accord avec?! Si tout
le monde est d'accord, on peut présumer qu'ils ont signé leur carte! Il
est où le problème?!
Alexandra Beaudry, qui livre un combat quotidien contre la fibrose
kystique, a décidé avec un autre greffé, Tomy-Richard Leboeuf-McGregor,
de
lancer une pétition à l'Assemblée nationale. Les deux veulent aussi
que le don d'organes devienne obligatoire comme c'est notamment le cas
en France, en Belgique, en Espagne et au Danemark. Pour le moment, au
Québec, les donneurs doivent signifier clairement leur intention de
faire don de leurs organes. « Là, il y aurait un registre pour ceux qui
ne veulent pas; si la personne n'a pas signé, on prendrait pour acquis
qu'elle veut donner », explique M. Leboeuf-McGregor.
Comme c'est souvent le cas lorsqu'il s'agit de l'accès à des soins de
santé de qualité, les revendications de tout un chacun relèvent plus de
l'émotif que du rationnel. On voudrait que tout le monde soit en santé
et heureux dans le meilleur des mondes. Et cela, coûte que coûte. Mais
lorsqu'on y regarde de plus près, les choses ne sont pas toujours aussi
évidentes qu'on serait porté à le croire.
|
« Au lieu de militer pour que
l'État nous force à donner nos organes une fois décédés,
tout ce beau monde devrait tenter de nous convaincre de
l'importance de poser un tel geste. Et convaincre de
l'importance d'un geste n'a jamais été aussi facile (avec
les médias sociaux ou conventionnels). » |
Ainsi, le directeur général de Transplant Québec, Louis Beaulieu,
affirme que d'imiter le système de consentement au don d'organes
français ne serait pas la solution pour accroître le nombre de donneurs:
« Si on regarde les données de la France et des États-Unis, qui ont à peu
près la même proportion de donneurs même si les États-Unis ont un
système comme le nôtre, on voit que le consentement présumé n'est pas la
variable déterminante. C'est vraiment l'organisation des services dans
les hôpitaux qui fait le gros de la différence plutôt que le
consentement présumé. »
Et nous avons un système de santé étatisé administré de façon
centralisée qui, année après année, démontre le même niveau de lacunes
– longues listes d'attente, faible renouvellement des appareils
médicaux, etc. –
dont la difficulté d'identifier les donneurs
potentiels ne serait qu'un élément parmi tant d'autres. (D'ailleurs,
l'un des commentaires des amis de Martineau était assez révélateur à ce
sujet. Un homme qui a fait le don d'un rein de son vivant pour son fils
qui souffre d'insuffisance rénale écrivait: « comme le système de santé
est lent et bien ça fait déjà un an et demi que l'on attend ». Imaginez.)
Au lieu de militer pour que l'État nous force à donner nos organes une
fois décédés, tout ce beau monde devrait tenter de nous convaincre de
l'importance de poser un tel geste. Et convaincre de l'importance d'un
geste n'a jamais été aussi facile (avec les médias sociaux ou
conventionnels). Je n'ai pas besoin d'être convaincu, mais il semblerait
que ce soit le cas pour la plupart des Québécois. Au lieu de militer
pour que l'État nous force à donner nos organes, ils pourraient aussi
militer pour un libre marché ouvert et légal d'organes. C'est vrai, si
on pouvait vendre nos organes, il n'y en aurait plus de pénurie!
Comme l'écrivait Bradley Doucet, il y a quelques années dans les pages
du QL:
David R. Henderson,
qui est chercheur à l'Institut Hoover et professeur d'économie à l'École
d'études navales de troisième cycle de Monterey en Californie, a bien
résumé le principal argument économique en faveur d'une légalisation du
commerce des organes dans son article « Organs For Sale? » publié dans le
San Francisco Chronicle en 2001: « Nombre de médecins ont reconnu
que la solution consiste à donner aux fournisseurs potentiels d'organes
la même incitation que l'on donne aux médecins, aux infirmières et à
pratiquement tout le monde dans le système de santé: leur permettre
d'exiger un paiement. Personne ne serait surpris qu'il manque de
médecins si on insistait pour qu'ils rendent leurs services
gratuitement. »
Certains trouveront
bien sûr l'idée inconcevable. Ils pensent que les médecins devraient
être motivés par leur souci pour le bien-être des hommes et des femmes
qu'ils soignent, et non par leur compte en banque. Ils considèrent qu'il
est cynique d'offrir des compensations financières aux gens pour les
bonnes oeuvres qu'ils réalisent. Comme l'écrit Henderson toutefois, « il
n'est pas plus cynique d'insister pour être payé avant de céder une
partie de son corps que d'insister pour être payé en échange de cet
autre produit de votre corps, soit votre main-d'oeuvre ».
« Oui mais les pauvres!, diront certains. Ils vont être tentés de vendre
leurs organes! Et, vu leur situation, c'est impensable! » Comme
l'explique le Dr Arthur J. Matas, un chirurgien éminent spécialisé dans
les greffes, il n'en est rien:
Nous n'empêchons pas
les pauvres d'accepter des emplois risqués dont les riches ne voudraient
pas (par exemple, comme mineurs, pompiers, policiers ou soldats) et dans
tous les autres domaines de notre société, nous leur permettons de
prendre des décisions de façon autonome. Lorsqu'il s'agit de la vente de
reins cependant, « en violation surprenante avec nos notions habituelles
concernant la liberté individuelle, nous interdisons à des adultes
d'entrer librement dans une relation contractuelle de laquelle les deux
parties s'attendent à tirer des bénéfices, et sans que personne d'autre
ne subisse de tort apparent ». En empêchant les pauvres de vendre un de
leurs reins, on les condamne à rester pauvres et on leur enlève une
occasion d'améliorer leur vie.
De
toute façon, qu'est-ce qui est pire: que des pauvres puissent vendre
leurs organes (en améliorant leur vie et celles d'autres personnes) ou
que des gens affligés de différentes maladies meurent en attente de
transplantations?
Même si je signe toujours ma carte d'assurance-maladie, je m'opposerais
à l'instauration d'un éventuel prélèvement automatique des organes et
ce, par principe. Parce que mon corps m'appartient
– ou, du moins,
parce qu'il devrait m'appartenir
–, personne ne doit être en mesure,
le jour de ma mort, d'entrer dans ma chambre d'hôpital et de dire aux
personnes qui s'y trouvent: « On prend ce qu'on a à prendre ». |
|
Du même
auteur |
▪
L'impact des difficultés économiques sur le
signalement d'ovnis au pays
(no
320 - 15 mars 2014)
▪
Les Québécois donnent moins
(no
319 – 15 février 2014)
▪
Protectionnisme capillaire - Ne coupe pas les cheveux
qui veut (la suite)
(no
316 – 15 novembre 2013)
▪
Libérons le vin!
(no
314 – 15 septembre 2013)
▪
Euthanasie: à qui appartient notre corps?
(no
313 – 15 août 2013)
▪
Plus...
|
|
Première
représentation écrite du mot « liberté » en Mésopotamie,
environ 2300 av. J.-C. |
Le Québécois Libre
En faveur de la liberté individuelle, de l'économie de
marché et de la coopération volontaire depuis 1998.
|
|