Être ou ne pas être Charlie? Une réponse philosophique* |
Tout m'oppose à Charlie. Ses valeurs ne sont pas les miennes. 1) Je suis
catholique, donc la cible d'attaques fréquentes de Charlie. 2) Je
soutiens le libre marché, le droit de propriété et la liberté économique: tout ce que Charlie justement déteste. 3) Je n'aimais pas Bernard
Maris, l'économiste du pouvoir en place, le chantre du collectivisme et
de la social-démocratie (qu'il repose en paix). Quand il m'arrivait de
l'entendre sur France Inter, je le trouvais mauvais et malhonnête
intellectuellement. Pour autant, je considère la pluralité des opinions
politiques comme légitime et je ne déteste pas l'humour satirique de
Charlie Hebdo, très français en fait, dans la veine de Voltaire,
de Rabelais.
Mais j'entends autour de moi beaucoup de mes amis catholiques,
profondément blessés par les caricatures de Charlie à l'encontre du pape
et de l'Église, et qui se sentent un peu « musulmans »… Alors, être ou
ne pas être Charlie? Peut-on rire de tout? La liberté d'expression
a-t-elle des limites?
1) La morale n'est pas le droit: les vices de Charlie
ne sont pas des crimes
La première chose à redire, me semble évidente et devrait
l'être pour tout le monde. Il y a des opinions qui peuvent offenser,
qu'on peut juger immorales, fausses, stupides, voire scandaleuses. Mais
rien ne justifie de les interdire par la force, que ce soit la force
physique ou la force de la loi. Une opinion, qu'elle nous plaise ou non,
doit être librement débattue. On a le droit d'avoir de la haine ou
d'avoir des opinions politiquement incorrectes sur tel ou tel
sujet. Seuls la menace physique et l'appel à la violence doivent être
interdits dans une société civilisée.
La liberté d'exprimer des opinions doit donc s'appliquer à tous, y
compris à nos adversaires et implique de tolérer les gens dont on juge
qu'ils ont tort ou qu'ils font un mauvais usage de leur liberté. On a le
droit d'être égoïste, malhonnête, bête ou méchant, tant qu'on n'agresse
pas autrui physiquement. En ce sens, lorsque Charlie est exécuté par des
fanatiques, je me sens attaqué moi aussi dans mes valeurs et je
proteste. Là oui, je suis Charlie.
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«
Rien ne nous oblige à être toujours Charlie, à approuver l'utopie
socialiste ou la haine anti-juifs, anticatholiques ou
antimusulmans.
On peut boycotter un journal d'opinion, un spectacle, ne pas lui donner
d'argent, l'attaquer par sa plume et réfuter ses propos jugés odieux. » |
2) La notion de crime contre la religion ou contre la
pensée n'existe pas
Allons plus loin. On a entendu certains religieux revendiquer
la notion de « crime conte l'Islam ». Ce concept est un faux concept et il
est doublement faux:
1) parce que l'Islam n'est pas une personne, c'est
un être collectif, qui n'est pas sujet de droit. C'est donc un crime
sans victime, c'est-à-dire un faux crime.
2) parce qu'il n'y a pas de crime par la parole, ni par le dessin.
La seule définition rationnelle du crime
c'est: une agression physique contre la personne et les biens d'autrui.
Car c'est la seule chose que l'on puisse mesurer objectivement. Les
crimes de pensée n'existent pas car ils ne sont pas mesurables, trop
subjectifs. En effet, la pensée ou la parole peuvent offenser mais ne
tuent pas. Et quand commence l'offense? C'est impossible à définir,
arbitraire. La notion de crime contre la pensée est totalitaire et
conduirait à mettre en prison ou censurer la plupart des écrivains et
des philosophes!
On a également entendu certains religieux, catholiques ou
musulmans, revendiquer le « droit de ne pas être offensé », de « ne pas
être insulté ». Cette idée, qui conduit à vouloir rétablir la censure,
est absurde et ne tient pas non plus. En effet, la liberté d'expression
inclut la liberté d'offenser et de choquer. Et nous devons accorder
cette liberté à tous: à Charlie Hebdo comme à
Dieudonné, l'humoriste dont on a un peu vite oublié qu'il avait été
censuré, par ceux mêmes qui se disent Charlie et qui réclament
aujourd'hui la liberté d'expression. Drôle de tolérance à géométrie
variable, qui accorde des droits aux uns et non aux autres.
3) Mais tolérer le vice ce n'est pas l'approuver
Si l'offense ne tue pas, cela ne veut pas dire qu'elle est une
vertu et qu'on doive la subir sans rien dire. Si les vices ne sont pas
des crimes, ils ne sont pas des vertus non plus. Les insultes de Charlie
Hebdo à l'encontre du pape et des chrétiens m'ont toujours paru pauvres
et méprisables. Mais on ne peut défendre sa foi qu'avec des arguments.
Le vice et l'erreur doivent être combattus par la parole ou par
l'écrit, non par la loi, ni par la force.
Rien ne nous oblige à être toujours Charlie, à approuver l'utopie
socialiste ou la haine anti-juifs, anticatholiques ou
antimusulmans.
On peut boycotter un journal d'opinion, un spectacle, ne pas lui donner
d'argent, l'attaquer par sa plume et réfuter ses propos jugés
odieux. Seule la violence est exclue.
En conclusion, la liberté c'est donc aussi le droit de ne pas aimer
Charlie. Il reste que dans les circonstances présentes, je me
sens solidaire de Charlie, en tant que symbole d'une liberté
d'expression piétinée et non en tant que porteur de valeurs contraires
aux miennes.
*Texte d'opinion publié le 10 janvier 2015 sur
nicomaque.com. |
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