Montréal, le 11 avril 1998
Numéro 6
 
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LE MARCHÉ LIBRE
 
L'ÉTAT 
DE NOS ROUTES
 
par Pierre Desrochers
  
  
          L'idée de construire un pont reliant l'est de Montréal à Laval renaît périodiquement de ses cendres. Anticipant sans doute les prochains scrutins municipaux, les maires de Ville d'Anjou et de Laval convoquèrent une conférence de presse le 27 mars dernier pour presser encore une fois le gouvernement provincial « d'investir » dans la construction d'un lien autoroutier sur la Rivière des Prairies. 
          Il va sans dire que, selon les principaux promoteurs du projet, la construction de ce pont de 150 millions $ aurait des retombées économiques importantes. Un consultant soulignait ainsi que la région de Montréal ne serait véritablement forte et structurée que lorsque son réseau routier serait completé de manière fonctionnelle et intégrée. « Le développement est là ou les réseaux routiers l'on conduit. » disait-il, pensant sans doute au tronçon de la 50 perdu entre nulle part et Mirabel... 
 
          « L'un des rôles du gouvernement », disait le maire de Laval à cette occasion, « est de créer des conditions qui appuient les efforts déployés par les principaux acteurs économiques. Nous demandons donc au gouvernement d'assumer son rôle et de ne pas considérer la construction d'un pont dans l'Est comme une dépense, mais comme un investissement qui va contribuer à l'essor économique de toute la grande région métropolitaine » (La Presse, 28 mars 1998). La réponse de Québec à la suggestion des maires de banlieue ne se fit toutefois pas attendre. 
 
          Comme le titrait La Presse une semaine plus tard: « [Le ministre des transports Jacques] Brassard ne veut rien savoir d'un pont entre Laval et l'Est de Montréal ». Que le secteur privé en assume la facture en entier ne changerait rien à la position de l'élu du Lac Saint-Jean qui tenait à préciser que « le privé, on veut bien qu'il s'implique, mais dans des projets qu'on aura nous-mêmes choisis. ». Il ajoutait du même souffle que ce n'est pas le secteur privé « qui va décider de faire tel projet. C'est l'État qui va déterminer les projets à confier au secteur privé. » (La Presse, 4 avril 1998). 
  
 Privatisation du réseau routier 
  
          Il n'y aurait évidemment rien de plus grotesque dans la conjoncture actuelle que d'investir l'argent des contribuables dans un pont, sinon peut-être de construire un nouveau stade de baseball. Taxer les entreprises — et par le fait même amoindrir leur capacité d'acheter de nouveaux équipements ou de créer de nouveaux produits — pour ensuite les inciter à se relocaliser ailleurs dans la région métropolitaine ne génère aucune retombée économique digne de mention. Dépenser l'argent des contribuables montréalais pour enrichir quelques marchands d'asphalte et propriétaire fonciers de Laval et de Ville d'Anjou ne crée rien de durable. Elle ne fait que déplacer l'activité économique tout en gaspillant des ressources dont les entreprises feraient un bien meilleur usage. 
 
          Le combat de coqs entre le maire de Laval et le porte-parole des fonctionnaires provinciaux aura tout de même eu le mérite de mettre la privatisation du réseau routier québécois à l'ordre du jour. Forte de son expertise nous ayant doté du plus pitoyable réseau routier d'Amérique du Nord, la bureaucratie québécoise n'entend pas renoncer à ses privilèges. La privatisation des routes a beau être à l'agenda de bon nombre d'États et de centres métropolitains américains, les irréductibles fonctionnaires de la Vieille Capitale seront distincts jusqu'au bout. 
 
          Les avantages d'avoir un système privé plutôt que public pour gérer les infrastructures tiennent surtout aux incitatifs auxquels sont confrontés employés et gestionnaires. Contrairement aux fonctionnaires détenant le monopole de l'administration des routes et disposant de revenus assurés venant de taxes sur l'essence, de la vente de permis et de diverses sommes venant du fonds consolidé, l'entreprise privée n'a d'autre choix que d'offrir un produit de qualité pour inciter les consommateurs à l'utiliser. Elle est donc obligée d'investir des sommes adéquates dans l'entretien des routes et de faire des travaux de réfection aux heures de faible achalandage, entre autres pratiques méconnues des gestionnaires publics. Il en coûte évidemment parfois plus cher aux usagers à court terme, mais ces derniers en ont le plus souvent pour leur argent, tant au niveau du désengorgement des routes qu'à celui d'un pavage de qualité supérieure réduisant les risques de bris mécaniques. 
 
          De plus, des progrès techniques récents permettent maintenant aux propriétaires de routes privées de facturer les usagers sans ralentir la circulation automobile. Que ce soit des caméras hypersensibles pour relever le numéro de plaque des véhicules automobiles ou de petits dispositifs électroniques avertissant un poste de contrôle qu'un conducteur utilise la route, de nouvelles technologies permettent maintenant de facturer de façon équitable et pratique les usagers. Les nouveaux systèmes permettent également une tarification adaptée à l'heure ou au jour de la semaine. On peut ainsi facturer davantage le conducteur conduisant en semaine à l'heure de pointe que celui conduisant le dimanche en soirée, entre autres possibilités. Il n'y a donc plus aucun obstacle technique majeur à la privatisation d'un très grand nombre de routes. 
 
          Peu de spectacles sont aussi affligeants que le cirque des firmes d'ingénieurs et des entreprises d'asphalte au sein de divers partis politiques. L'arbitraire politique ne leur laisse toutefois aucun choix. Si par contre ces entreprises pouvaient acheter des routes et concentrer leurs énergies sur les meilleures façons de les entretenir et de les améliorer, tout le monde y gagnerait au change sauf les trafiquants d'influence. La privatisation des routes n'est pas seulement une nécessite économique, elle est aussi une solution éthique. 
  
  
  
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