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Rendons-nous à l'évidence que ce n'est plus vrai. Les signes sont innombrables: le contrôle arbitraire des frontières, la montée sournoise des papiers d'identité sous le masque de l'omniprésent permis de conduire et du numéro de Un des mécanismes découverts en Occident pour prévenir l'arbitraire de l'autorité politique résidait dans la règle de droit: les pouvoirs publics ne peuvent agir qu'en vertu d'une loi impersonnelle, générale, abstraite, et connue de tous. L'Amérique offre maintenant le spectacle – peut-être le plus flamboyant en Occident – du détournement de la règle du droit au service du pouvoir arbitraire l'État. D'abord, par la prolifération et la complexité des textes: la loi fédérale de l'impôt fait Comme dans la vision prémonitoire de Tocqueville sur les tyrannies administratives modernes, la réglementation américaine est douce et d'apparence business, mais minutieuse, détaillée, omniprésente. Les manifestations en sont légion, des circulaires administratives de l'Internal Revenue Service, au fichage des transactions financières, en passant par le harcèlement sexuel, le commerce des vins et spiritueux et, ma foi, presque tout le reste. Un exemple d'allure anodine l'illustrera: le manuel de Delrina Fax Pro (un logiciel de Symantec) lance un caveat: « Aux États-Unis, il est illégal d'envoyer un fax qui n'identifie pas l'expéditeur... » Une tyrannie administrative made in USA Contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, ces règlements sont, aux États-Unis, appliqués avec zèle par une armée de bureaucraties bien-pensantes et hélas! souvent efficaces. Au Canada, les individus pacifiques croient généralement que la persécution étatique ne s'abattra pas sur eux si, d'aventure, ils prennent quelque liberté avec des contrôles administratifs. Ils n'ont pas toujours tort, bien que ce pays ait énormément changé – comme l'illustre le cas des agriculteurs d'Alberta emprisonnés pour avoir voulu vendre leur blé eux-mêmes. Aux États-Unis, les businessmen exorcisent leur crainte permanente de l'Oncle Sam en se soumettant comme des enfants devant les bureaucrates. C'est souvent l'État américain qui a montré aux autres États occidentaux la voie de la tyrannie administrative – avec les chasses aux sorcières de l'Environmental Protection Agency ou de la Securities and Exchange Commission, avec la guerre à la drogue, avec la pureté publique au nom du Public Health, avec les lois absurdes contre la discrimination, avec la rectitude politique et, en général, avec l'innovation permanente dans le détournement du droit. Nous avons pris l'habitude d'importer des États-Unis les modes les plus liberticides et de négliger ce qu'il y a d'individualisme farouche dans la tradition américaine. À cette débâcle, seuls deux des amendements de la constitution américaine semblaient avoir survécu: le premier, qui concerne la liberté d'expression, et le deuxième, qui garantit le droit de porter des armes. Or, la liberté d'expression, quand elle n'est pas affectée par la réglementation indirecte des bureaux de do-gooders, est constamment menacée par la crainte de poursuites en diffamation: un auteur bien connu me racontait qu'après avoir remis un manuscrit à son éditeur, les conseillers juridiques de celui-ci lui ont envoyé 700 demandes d'informations ou de réécriture. Quant au droit de porter des armes, après avoir été limité dans les États du sud au 19e siècle et supprimé à New York en 1911, il a été de plus en plus réglementé, parfois jusqu'à l'extinction, par une profusion de lois et règlements adoptés par l'un ou l'autre des paliers de gouvernement. Une nouvelle législation fédérale vient de retirer ce droit à quiconque a été condamné pour quelque délit mineur. Pendant ce temps, de Ruby Ridge à Waco, les tueurs du BATF et du FBI s'exercent au tir et aux gaz de combat. Il est vrai que, dans ce pays, la résistance est parfois aussi farouche que la tyrannie administrative y est de moins en moins tranquille. De plus, l'Américain moyen – et même l'intellectuel moyen – a, au moins, déjà entendu parler de liberté. Il est bien possible que, dans cinquante ans, ou bien les États-Unis fourniront le modèle parfait de la tyrannie moderne, ou bien les Américains auront vécu une seconde guerre civile. Si cette analyse est juste, il est important de prendre conscience du problème, afin, premièrement, que les ennemis de la liberté ne puissent invoquer notre dévotion à l'Amérique pour miner davantage l'idéal de la liberté et, deuxièmement, pour que l'échec de la liberté américaine nous serve à mieux comprendre les conditions de la liberté. Par exemple, qu'est-ce qu'un Français et un Américain ont en commun? Une chose crève les yeux: Ils croient tous deux vivre dans le pays des droits de l'homme (encore qu'aux USA, ils diraient 1. Voir mon Du libéralisme à l'anarcho-capitalisme, Paris, PUF, 1983, p. 105. 2. Voir Jeffrey Hummel, Emancipating Slaves, Enslaving Free Men. A History of the American Civil War, 3. Wendy McElroy, A Woman's Right to Pornography, New York, St. Martin's Press, 1993, p. 59 sq. 4. Cité par James Bovard, Lost Rights. The Destruction of American Liberty, New York, St. Martin's Press, ©Pierre Lemieux 1998 Cette chronique de Pierre Lemieux revient aux deux semaines.
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