Montréal,
le 23 mai 1998 |
Numéro
12
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Le
QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le
21 février 1998.
Il défend
la liberté individuelle, l'économie de marché et la
coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
Il s'oppose
à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les
individus.
Les articles publiés
partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques
qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
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ÉDITORIAL
LEVINE, SCRAIRE
ET LA TOLÉRANCE
par Martin Masse
La controverse sur la nomination de David Levine à la tête
du nouvel hôpital fusionné d'Ottawa a fait rage toute la semaine.
Elle est en voie de devenir un autre de ces incidents « anti-Québec
», auquel on se référera dans les mois à
venir pour prouver que les Canadiens anglais sont de méchants intolérants
qui nous rejettent, comme ce fut le cas avec le fameux fleurdelysé
piétiné à Brockville il y a quelques années.
Ces incidents font partie intégrale de la mythologie nationaliste.
Ils permettent d'alimenter ce sentiment d'exclusion, de rejet et de frustration
qui poussent ceux qui s'identifient à la tribu à se replier
encore plus sur eux-mêmes pour trouver le réconfort de la
solidarité. Les historiens en créent de toutes pièces
dans le passé « national » et les politiciens
et médias nationalistes sont toujours à l'affût pour
en trouver de nouveaux. Rien de mieux qu'un bel exemple d'humiliation en
manchette plusieurs jours de suite pour remotiver les troupes.
À part le premier ministre Chrétien, la clameur médiatique
et politique a été unanime (l'unanimité, voici qui
définit bien la teneur des débats au Québec) dans
la condamnation des manifestants qui ont demandé la tête de
Levine, parce que celui-ci avait été candidat péquiste
en 1979 et qu'ils ne veulent pas d'un séparatiste pour gérer
leur hôpital. Mais les gens d'Ottawa sont-ils vraiment si intolérants?
À ce qu'on sache, personne ne conteste le droit de M. Levine
d'avoir des opinions politiques séparatistes ni de les défendre.
Ce que les opposants refusent, c'est qu'il dirige une institution dans
leur communauté et que leurs taxes servent à payer son salaire. |
Évidemment, s'il y avait à Ottawa (ou à Montréal
et ailleurs) plusieurs petits hôpitaux privés en compétition
au lieu d'un mégahôpital public, cette crise n'aurait jamais
eu lieu. Les administrateurs auraient pris meilleur soin d'engager quelqu'un
apte à inspirer la confiance parmi la clientèle, ou sinon
auraient pu inviter les mécontents à aller se faire soigner
ailleurs s'ils étaient vraiment convaincus de la justesse de leur
décision, avec les risques que ça implique pour les profits
de leur institution. Mais comme la santé est un service socialisé,
le débat devient public et prend des proportions nationales qui
n'ont rien à voir avec le véritable enjeu.
L'hypocrisie nationaliste
Quoi qu'il en soit, il y a une énorme part d'hypocrisie dans cette
indignation nationaliste. Comment réagiraient nos grands patriotes
de Québec par exemple si le conseil d'administration du Centre hospitalier
de l'Université Laval (CHUL) décidait de nommer comme directeur
général un Québécois reconnu comme partitionniste?
Dirait-on que ses opinions politiques n'ont rien à voir avec sa
capacité à gérer un hôpital? Bien sûr
que non, on assisterait probablement à une campagne pour refouler
l'ennemi, digne de la bataille des Plaines d'Abraham. Les séparatistes
voudraient bien sûr nous faire croire que la partition du Québec
serait une atteinte criminelle à « l'intégrité
territoriale » de la nation alors que le séparatisme
n'est qu'une option politique modérée et tout à fait
légitime. Mais qu'est-ce que cette option implique sinon la partition
du Canada? C'est en tout cas ainsi que bien des Canadiens des autres provinces
le perçoivent, et ils réagissent comme ceux qui sont consternés
par la perspective de la partition du Québec. On ne devrait pas
s'en surprendre.
Jean-Claude Scraire, le président de la Caisse de dépôt
et placement du Québec dont le hasard veut qu'il soit aussi séparatiste
(probablement une coïncidence, au Québec on ne se préoccupe
jamais des opinions politiques des gens avant de les nommer à des
postes importants) a justement fait quelques remarques intéressantes
sur la tolérance et les opinions politiques. En tournée avec
Lucien Bouchard aux États-Unis pour vendre la salade nationaliste
selon laquelle tout va bien ici, M. Scraire a affirmé
qu'on ne devrait pas laisser faire ceux qui « dénigrent
le Québec » à l'étranger. Il faisait
bien sûr allusion à Keith Henderson et à d'autres anglophones
qui tentent d'alerter les médias américains sur les méfaits
de la politique linguistique québécoise.
« On devrait être moins tolérant à
l'endroit de ceux qui font du dommage au Québec »,
déclare-t-il. Ah, tiens. Le Québec, selon cet homme sûrement
choisi uniquement à cause de sa compétence pour s'occuper
des 64 milliards $ de la Caisse, devrait s'inspirer de la
Anti-Defamation American League pour condamner publiquement ceux
qui salissent son image avec de telles opinions. Par exemple, prétendre
que le séparatisme crée de l'incertitude est, selon M.
Scraire, une attaque contre la démocratie québécoise
et donc un propos diffamatoire contre la collectivité. Une Ligue
québécoise permettrait d'en juger devant jury et de condamner
symboliquement le malfaiteur devant l'opinion publique, l'ostraciser, en
faire un chien galeux à ne pas approcher.
M. Scraire — dont la nomination n'a, soyons-en bien certains,
rien eu à voir avec le fait qu'il soit un séparatiste — voudrait
qu'on fasse toute cette cabale pour, répétons-le, s'attaquer
à des gens qui défendent une opinion politique et ce qu'ils
croient être leurs droits fondamentaux, alors que les opposants à
David Levine ne veulent simplement pas que celui-ci soit payé avec
leurs taxes pour gérer leur hôpital.
Il devrait pourtant savoir que le Québec n'a pas besoin d'une Ligue
antidiffamatoire pour ostraciser ses citoyens qui refusent les dogmes nationalistes.
Notre élite nationalo-étatiste fait déjà cette
sale besogne très bien merci. Une belle hypocrisie.
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
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«
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes
mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain
étend ses bras sur la société tout entière;
il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées,
minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus
originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour
pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais
il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais
il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point,
il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne,
il comprime, il énerve, il éteint, il hébète,
et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un
troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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