Montréal, le 6 juin 1998
Numéro 13
 
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     LE QUÉBÉCOIS LIBRE sollicite des textes d'opinion qui défendent ou contestent le point de vue libertarien sur n'importe quel sujet d'actualité. Les textes doivent avoir entre 700 et 1200 mots. Prière d'inclure votre titre ou profession, le village ou la ville où vous habitez, ainsi que votre adresse électronique.   
 
 
 
 
OPINION
 
QUAND LE FRANÇAIS
DEVIENT UN IMPÉRATIF
  
par Claire Joly
  
 
          Vous préférez louer des vidéocassettes en anglais parce que vous avez horreur des films doublés? Vous portez en public des vêtements ou des casquettes avec des messages qui ne sont pas en français? Vous écoutez surtout de la musique américaine, car vous adorez le blues ou le country? Vous appelez votre voisin Bob plutôt que Robert ou Bébert? 
 
          Si vous avez répondu oui à ces questions, votre « quotient de fierté linguistique » laisse probablement à désirer. Empressez-vous de répondre au jeu-questionnaire de l'organisme Impératif français. Si votre score est trop bas, on vous suggérera de réfléchir à votre attitude et à vos comportements linguistiques. Si on obtient de vous les « bonnes » réponses, on vous félicitera d'être une personne « francisante ».  
          Ne paniquez surtout pas si on vous décerne une note de 48%. Non, aviez-vous répondu à la question 2, vous n'avez pas porté plainte parce que l'étiquette d'une conserve de papayes achetée au supermarché était en anglais seulement? Oh, le vilain Québécois! Confessez-vous, soulagez votre conscience en remplissant le formulaire de plaintes de la Commission de protection de la langue française que vous trouverez facilement dans le site d'Impératif français. Vous n'aurez qu'à l'imprimer, le remplir et le poster. Comme c'est pratique les nouvelles technologies!  
    
          On présente tout bonnement le jeu-questionnaire comme un outil de réflexion et on précise qu'il mesure vos perceptions. Faut-il en rire, donc? Anodines, ces questions? Pas dans la mesure où elles témoignent de l'existence d'un véritable fondamentalisme linguistique au Québec. Nous sommes loin de la simple expression d'une fierté par ailleurs tout à fait légitime, fierté qui peut se manifester autrement que ne semblent se l'imaginer les concepteurs du jeu-questionnaire.  
  
Fondamentalisme... à la québécoise 
 
          Les fondamentalistes de la langue ne se satisfont pas d'une loi linguistique répressive qui nous est présentée comme un geste sain d'affirmation et d'émancipation de la part des francophones. Ils semblent également rêver d'une société dans laquelle les individus se comporteront en petits missionnaires zélés porteurs de la bonne nouvelle, en personnes francisantes. Ils imaginent des citoyens vertueux qui pourchassent et refoulent toute expression de l'infidèle (la langue anglaise), respectent à la lettre les commandements de l'OLF, travaillent religieusement à améliorer leur connaissance de la langue telle que dictée par des bureaucrates, et surtout ne s'adressent aux anglophones et aux immigrants qu'en français.  
 
          Ne souhaitant pas salir l'image du Québec à l'étranger, je désire tout de suite apporter au lecteur les précisions suivantes: la Charte de la langue française ne fait pas l'unanimité dans cette province, et plusieurs sont convaincus que la loi 101 nous divise et contribue à donner au Québec une réputation de société intolérante. Plusieurs croient même que cette loi, appliquée de façon « raisonnable » ou pas, devrait être tout simplement abolie.  
 
          Ce point de vue ne devrait-il pas, à tout le moins, faire l'objet d'un débat? En ce moment, remettre en question la pertinence, ou même la nature, de la réglementation linguistique québécoise relève de l'hérésie. Les francophones qui s'y risquent sont qualifiés de traîtres, d'assimilés, ou alors de pauvres inconscients. Dénoncer le fondamentalisme linguistique qui s'exprime impunément au Québec, c'est risquer l'excommunication, c'est risquer l'exclusion de la tribu. Et pourtant, les intégristes vous répéteront avec conviction que nous vivons dans une société tolérante, moderne et ouverte sur le monde.  
 
          Il y a plus inquiétant encore. De trop nombreux fondamentalistes utilisent le français comme pivot d'une idéologie nationaliste revancharde et démagogique. Pour eux, la langue constitue LE véhicule principal de LA culture du Québec, comme s'il n'en existait qu'une seule. On s'arroge alors sans broncher le droit de parler au nom d'un « peuple québécois », présumé homogène et exprimant d'une seule voix ses prétendues aspirations. Les fondamentalistes le nieront avec véhémence, mais il est évident qu'il s'agit là d'un nationalisme essentiellement ethnocentrique (voir par exemple le manifeste de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal sur la Souveraineté du Québec, rendu public le 26 mars 1996). 
 
          Derrière ce discours, on le constate facilement, il y a plus qu'un simple désir de protéger le français de la compétition que pourrait lui faire l'anglais. Nous sommes en présence de manoeuvres politiques visant à imposer à une population des valeurs, par ailleurs mal définies, dont on prétend qu'elles sont inéluctablement associées à une langue et à l'histoire d'un groupe ethnique.  
 
          Les fondamentalistes du français aspirent à faire du « nous » québécois francophone l'identité première des habitants de la province. Souscrire à ce projet signifie rejeter ceux qui ne partagent pas cette identité ou qui souhaitent se définir autrement; c'est leur faire violence, ne pas respecter ce qu'ils sont ou ce qu'ils ont choisi d'être. L'intégrisme linguistique au Québec doit être considéré comme une force totalitaire et collectivisante, car il tente de hisser le français, décrété gardien de certaines valeurs, au rang de véritable impératif 
  
  
  
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