Montréal,
le 18 juillet 1998 |
Numéro
16
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Le
QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le
21 février 1998.
Il défend
la liberté individuelle, l'économie de marché et la
coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
Il s'oppose
à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les
individus.
Les articles publiés
partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques
qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
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ÉDITORIAL
LA SANTÉ DANS TOUS
SES ÉTATS
par Martin Masse
Le système de santé publique au Québec n'en finit
plus de sombrer dans la déliquescence. Chaque semaine apporte son
lot de révélations sur des listes d'attente qui s'allongent,
des médecins sous-payés, des infirmières épuisées
par le temps supplémentaire, des hôpitaux en déficit,
et quoi encore. La dernière manchette annonce que le déficit
de la nouvelle assurance médicaments sera de 16 millions $
l'an prochain, selon les prévisions de la Régie de l'assurance
maladie. L'explosion des coûts, contre laquelle les assureurs privés
avaient mis le gouvernement en garde lors de la mise en place de ce nouveau
régime étatisé, est donc en train de se concrétiser.
Comment s'en surprendre!
Les soins de santé « gratuits », c'est-à-dire
gérés par des bureaucrates plutôt que par le secteur
privé et payés par des taxes plutôt que par des assurances
ou directement par les patients, ne peuvent faire autrement que coûter
plus cher que prévu tout en étant chroniquement inadéquats.
On a en effet construit ces régimes publics à partir d'une
idée essentiellement absurde: celle qu'il est possible de combler
les besoins en santé de toute une population avec des moyens financiers
déterminés à l'avance (par des bureaucrates ou par
qui que ce soit).
Cette conception est absurde parce qu'elle considère «
la santé de la population » comme un objectif
atteignable, sans considération aucune des désirs de chaque
individu, des perceptions subjectives de chaque médecin, des coûts
d'un traitement par rapport à un autre qui n'est pas couvert, des
changements technologiques qui modifient les soins d'une décennie
à l'autre. En bref, on a conçu le régime de santé
publique comme s'il s'agissait d'un système relativement simple,
dont il serait possible de contrôler la production et le développement,
alors qu'il s'agit en réalité d'un système complexe
et dynamique qui ne peut être planifié. |
Le modèle de système de santé étatisé
copié par tous les pays riches à partir des années
1960, le National Health Service de Grande-Bretagne, a 50 ans cette
année. Les problèmes qui accablent notre Régie, qui
n'existe que depuis 25 ans, y étaient déjà observables
il y a des décennies. Les socialistes (dont le gouvernement «
libéral » de Robert Bourassa) qui ont adopté
ce système dans leurs pays respectifs devaient être complètement
obnubilés par leur volonté de contrôle pour ne pas
voir ce qui s'y passait:
Pendant ses premières années, le NHS a fortement dépassé
les budgets qui y étaient alloués. Les dépenses ont
atteint 276 millions £ dans les neuf premiers mois,
alors qu'on s'attendait à ce qu'elles soient de 198 millions
£. Bevan (ndlr: le ministre de la Santé qui a mis le
système en place) croyait que cela était dû à
un simple arriéré dans les cas non traités, mais que
les coûts diminueraient à mesure que la santé de la
population deviendrait meilleure. Comme il a pu se tromper! À travers
les cinquante années de son existence, les files d'attente pour
des traitements médicaux se sont toujours allongées, malgré
les sommes toujours plus importantes absorbées par le NHS. Cette
semaine, dans une nouvelle tentative de changer le cours de l'histoire
et de réduire ces listes d'attente, le gouvernement a fait savoir
qu'il s'apprêtait à injecter une autre forte somme dans le
budget du NHS, actuellement de 44 milliards £ (73
milliards US$).
(The Economist, 4 juillet 1998)
Bref, le système est intrinsèquement irréformable.
La logique que les politiciens refusent de contempler, c'est qu'il faut
des mécanismes de marché pour gérer l'allocation des
ressources. Les patients voudront toujours plus de soins de meilleure qualité,
préféreront toujours une chambre privée à l'hôpital
avec une infirmière qui leur est dévouée plutôt
qu'un petit coin pour attendre dans un couloir. Lorsqu'il n'y a rien pour
les forcer à faire des choix, leur demande ne peut qu'être
illimitée d'un point de vue financier.
Levée de boucliers des étatistes
La levée de boucliers qui a suivi l'annonce d'un projet d'hôpital
privé régional à Ste-Julie montre bien où en
est la réflexion de nos élites étatistes sur cette
question. Ce mégacentre, dont la construction devrait débuter
à l'automne, n'a rien de bien exceptionnel, à part sa grosseur.
Il accueillera toutes les clientèles, dont celle de la carte Soleil
pour les services couverts par la Régie. Mais il visera surtout
ceux qui possèdent des assurances privées pour les soins
non couverts, ou qui sont liés aux programmes de la Commission de
la santé et de la sécurité au travail, de la Société
de l'assurance automobile ou d'autres organismes publics. Le centre offrira
des traitements avec les appareils les plus récents et les plus
perfectionnés, du matériel qui est la plupart du temps introuvable
dans les hôpitaux publics à court d'argent. Bref, une grosse
clinique qui offrira les mêmes services que dans plusieurs petites
cliniques éparpillées, mais qui a le malheur d'être
une initiative privée dont le but est de faire du profit. Les deux
promoteurs n'ont d'ailleurs reçu aucune aide gouvernementale pour
leur projet.
Les réactions de tous ceux qui considèrent les mots «
qualité » ou « services concurrentiels » comme
des illusions visant à masquer l'exploitation des travailleurs n'ont
pas tardé. On n'a qu'à suivre les manchettes dans La Presse:
L'hôpital privé donne espoir... et fait peur (7 juillet);
« Notre système de santé est devenu la proie de
promoteurs opportunistes ». Le président de la FTQ s'attaque
au projet d'hôpital privé à Ste-Julie (9 juillet);
La CSN démolit à son tour le projet d'hôpital privé
à Sainte-Julie (10 juillet); et enfin, mentionnons-le même
si la pertinence du personnage ne crève pas les yeux, L'hôpital
de Sainte-Julie inquiète Alexa McDonough. La leader néo-démocrate
y voit le signe que le système de santé est en péril
(14 juillet).
Les lobbies syndicaux sont-ils tellement puissants qu'un gouvernement ne
pourrait jamais les défier et changer le système? Les événements
des derniers mois nous prouvent le contraire. Le ministre Jean Rochon s'est
aliéné à peu près tout le monde avec sa réforme
« ambulatoire », qui n'a été qu'une manoeuvre
pour réduire les coûts et les services tout en gardant un
contrôle bureaucratique sur tout le système. Il a quand même
réussi à passer au travers. S'il avait mis la même
énergie à entreprendre une véritable réforme
dans le sens d'une privatisation majeure des soins, il aurait peut-être
réussi à traverser ces obstacles.
Mais c'est bien sûr rêver en couleur. Les péquistes
sont des assoiffés de pouvoir bureaucratique, et n'ont aucun désir
d'entreprendre des changements de cette sorte. Quant aux libéraux,
ils nagent dans leur ambiguïté habituelle: pendant sa campagne
au leadership, Jean Charest s'est dit ouvert à un rôle plus
grand pour le secteur privé dans la santé, puis s'est ravisé.
Il faudrait une révolte plus grande – et plus cohérente dans
un sens libertarien – de la population que les petits chialages des derniers
mois pour forcer des changements. Sinon, comme le NHS, il est bien probable
que la Régie de l'assurance maladie du Québec survivra assez
longtemps, cahin-caha, pour fêter elle aussi ses cinquante ans.
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
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« Après avoir pris ainsi
tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir
pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur
la société tout entière; il en couvre la surface d'un
réseau de petites règles compliquées, minutieuses
et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux
et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser
la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les
plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse
à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche
de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il
énerve, il éteint, il hébète, et il réduit
enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux
timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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