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Permettez que je vous explique comment je vois l'éducation publique. Ça ne fait quand même pas si longtemps que j'en suis sortie – échappée serait peut-être plus juste –, alors je me sens encore autorisée à en parler. Grosso modo, les élèves – comme tous les groupes, d'ailleurs – se divisent en trois catégories, avec à peu près autant de monde dans chacune d'elles. Moyens, moins bons que la moyenne et supérieurs à la moyenne. Ce n'est pas bien nouveau, direz-vous, mais ce n'est pas toujours nécessaire de chercher à réinventer la roue. Et puis de toute façon, c'est l'été pour tout le monde... Les moyens d'abord, et mettons quelques chiffres; disons ceux qui affichent des résultats scolaires qui tournent autour de 70%. Ceci, bien sûr, s'applique aux écoles qui ont eu l'intelligence de garder les bonnes vieilles notes sur 100. Pour les autres, faites la conversion vous-mêmes parce que moi, les cotes Z, P, R, S, ça ne m'inspire pas confiance. Les Alpha Bits, chez nous, on trouvait que c'était plein de calories vides. Les moyens, donc. Plus ou moins de problèmes. Le système est fait pour eux, par des gens comme eux. C'est Harry Truman qui a résumé le mieux l'idée: Là où ça coince, c'est quand on essaie de forcer tous les élèves à marcher au même pas. Les moins bons ne peuvent pas suivre et décrochent, tandis que les meilleurs s'ennuient et se jouent dans le nez en attendant que la cloche sonne. Oui, oui, il y a des variantes. Je connais plein de La question n'est pas de savoir si Untel ou sa cousine a réussi, malgré l'assommant curriculum, à faire des études qui ont un peu d'allure. Ce qui me choque, c'est qu'il n'y a aucune adaptation, aucune flexibilité dans les écoles secondaires publiques de la province. Ou si peu. Réussissez le programme ou décrochez, parce que notre grille de statistiques n'a que deux colonnes. Le module 3 pour le 17 janvier, le cahier d'intégration à la page 34 et le manuel de l'élève – celui qui accompagne le fascicule B.1 – pour la fin de la période d'examens. C'est à peu près ça le topo. Vu de loin... ça semble bien Ce qui est abrutissant, c'est que ces règles sont inventées mais surtout imposées par des bureaucrates (pardon: pédagogues), assis bien loin – tellement loin – de la seule variable qui compte en matière d'éducation: ce qui se passe dans les salles de cours. Comme si le seul fait de fixer des objectifs d'apprentissage garantissait le résultat. Et si encore les règles étaient faites pour durer plus que huit mois, on finirait par s'y faire et les bons profs sauraient comment slalomer entre les exigences du ministère et les réels besoins des élèves. Mais non, ça change aux quarts d'heure. Peut-être que c'est bien utile pour garder les fonctionnaires occupés à autre chose que le surf virtuel et le backgammon électronique. Pour faire une histoire courte, disons que les programmes ministériels sont à l'éducation ce que les Dix commandements sont à la religion. Il faut les retenir par coeur et s'organiser pour éviter le châtiment. La preuve c'est que lorsque les élèves demandent au prof Hum? Le triste résultat, c'est que les jeunes ne savent plus où se tirer pour entrer dans les cadres reconnus, pour recevoir l'approbation de leur entourage. À tout bout de champ les critères de sélection changent (ah, les modes) et ils n'ont aucune idée si ce qu'ils entreprennent vaudra plus que le papier sur lequel on aura appliqué un sceau plus ou moins aléatoire. Ils se font joyeusement ballotter par le système, encouragés à gauche par les parents et à droite par les professionnels de l'orientation – et vice versa. Tout le monde a un avis à leur donner, mais ils n'arrivent toujours pas à comprendre ce qu'ils font là. Ils ne voient pas ce qu'ils peuvent faire, eux, dans ce monde où rien ne semble vouloir durer plus qu'une saison. Essayez donc de marcher un mille dans leurs souliers. Mettez-vous à leur place, l'espace d'une journée. Et vous allez en faire, vous aussi, des conneries.
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