Montréal, le 26 septembre 1998
Numéro 21
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que  leurs auteurs.      
 
 
 
 
ÉDITORIAL
 
L'INUTILITÉ DE L'ADQ
  
par Martin Masse
 
 
          Ce sont les divisions sur la question nationale, et non les conflits traditionnels entre la gauche et la droite, qui déterminent la nature des débats politiques au Québec. Le Parti québécois et le Parti libéral, malgré des divergences mineures sur le degré d'interventionnisme étatique souhaitable, se distinguent essentiellement sur ce plan.  

          C'est aussi cette question qui a joué un rôle déterminant dans la naissance du troisième parti en importance au Québec, l'Action démocratique. Lorsque le Parti libéral a décidé, après une période d'ambivalence à la suite de la débâcle du Lac Meech, de finalement laisser tomber ses exigences les plus irréalistes quant à la décentralisation du régime fédéral et de revenir à un fédéralisme plus orthodoxe, une nouvelle fissure est apparue. Jean Allaire, auteur du fameux rapport qui mettait de l'avant cette vision autonomiste, et Mario Dumont, président charismatique de la Commission Jeunesse du PLQ, ont quitté celui-ci pour fonder l'ADQ, emmenant avec eux l'aile la plus nationaliste.  

          Sous la gouverne de son jeune chef, l'ADQ s'est développée de façon plutôt surprenante. La position mitoyenne entre séparatistes et fédéralistes ne présentant pas de potentiel de croissance fulgurant, c'est plutôt en se faisant une niche à droite des libéraux sur les questions économiques que les adéquistes ont décidé de se distinguer. Cette niche idéologique est traditionnellement peu occupée au Québec et l'était encore moins lorsque le PLQ, sous la gouverne de Daniel Johnson, critiquait un gouvernement péquiste sabrant dans les dépenses avec un discours et des arguments de gauche. 

Une niche rétrécie 
  
          La situation a changé depuis l'arrivée de Jean Charest à la tête du PLQ. Ex-chef du Parti conservateur fédéral, M. Charest a repositionné les libéraux à droite du PQ. Son discours reste ultra-modéré et ne peut aucunement être qualifié de libertarien. Mais, au Québec, simplement admettre que les gouvernements ne peuvent tout faire est déjà considéré comme radical par la classe de placoteux médiatiques et par une population placide, qui s'est habituée à tout recevoir de l'État. 
  
          La niche de l'ADQ s'est donc rétrécie. Le parti avait, dans son programme, quelques idées radicales pour réduire le rôle de l'État, comme celle de couper les effectifs de la fonction publique de 25%. (Lorsque je travaillais au bureau du Parti réformiste du Canada il y a quelques années, j'ai moi-même posté le programme du PR et d'autres documents d'information à l'ADQ, à la demande du bureau de Mario Dumont. Quelques mois plus tard, plusieurs des positions réformistes se sont retrouvées, presque mot pour mot, dans des résolutions présentées à un congrès du parti.) 
  
          Ces derniers temps, on a toutefois senti que Mario Dumont cherchait un nouveau moyen de distinguer sa formation. Sur le plan constitutionnel, il reste assis entre deux chaises – et demeure en cela fidèle à la tradition bourassiste. Lors du jugement récent de la Cour suprême sur le droit de sécession du Québec, il n'a rien eu de mieux à proposer que de ressortir le Rapport Allaire. 
  
Guerre civile intergénérationnelle 
  
          L'ADQ a tenu son congrès d'orientation il y a deux semaines à Mirabel et on a enfin pu voir ce qui sera son nouveau cheval de bataille: les jeunes et la famille. La lecture des résolutions adoptées par les militants est désespérante. À en croire le nouveau credo adéquiste, il y a une sorte de guerre civile entre les générations au Québec, et l'Action démocratique se veut l'avant-garde de ce prolétariat nouvelle mouture: les baby boomers dominent tout, les jeunes n'ont plus accès à l'emploi, n'ont plus les moyens de fonder une famille. Il faut à tout prix que le gouvernement intervienne de multiples façons pour réinstaurer une « équité intergénérationelle » au Québec, whatever that means 
  
          Ainsi, pour les penseurs de l'ADQ, les gens ne font plus des enfants pour les mêmes raisons qu'ils en ont fait depuis quelques millions d'années. C'est « l'importance et le soutien que l'État accorde à la famille [qui] jouent un rôle déterminant lorsque vient le temps d'avoir des enfants et ont un impact sur les valeurs prioritaires de notre société. » Ah bon. Les gens étant tous plus ou moins devenus de grands enfants, ce sont des bureaucrates qui devront dorénavant les éduquer à l'importance des rapports entre jeunes et vieux (vieux grands enfants, il va sans dire). Parmi les perles adoptées au congrès, on propose, afin d'accroître la cohésion intergénérationnelle du noyau familial, d'inclure un volet aîné dans une politique familiale qui prévoit notamment:
a) l'intégration de personnes âgées comme bénévoles dans les garderies; 

b) une augmentation substantielle du crédit d'impôt pour les personnes gardant leurs parents à domicile; 

c) la création d'un crédit d'impôt pour la rénovation du domicile visant à l'adapter à la personne âgée; 

d) de soutenir la mise en place de maisons de grands-parents permettant des relations intergénérationnelles entre les aînés, les adolescents et les jeunes enfants.

          Le nouveau programme électoral adéquiste s'intéresse aussi à d'autres sujets, comme les travailleurs autonomes. Comment les aider, sinon en créant des « programmes de soutien au démarrage, en partenariat avec les institutions financières, balisés par des conditions, garanties et critères précis afin de permettre à ceux qui choisissent ce statut professionnel de créer leur emploi ». Il fallait y penser. L'ADQ s'est de même convertie aux vertus du saupoudrage de fonds publics sur tout ce qui bouge et se colle le mot « investissement » dans le front. Même que les péquistes n'en feraient pas assez: 
L'intervention du gouvernement du Québec est inadéquate malgré un programme qui établit un crédit d'impôt remboursable pouvant atteindre 60% des salaires versés à des employés admissibles, jusqu'à un montant maximum de 25 000 $ par emploi, d'ici le 15 juin 1999, puis à 40% des salaires versés jusqu'à un maximum de 15 000 $ par emploi pendant les neuf années suivantes. En effet, le gouvernement du Parti québécois a choisi de limiter son appui en fonction du lieu d'installation des entreprises (les cités du multimédia à Montréal et à Laval et l'édifice du Soleil à Québec) et, depuis le dernier budget, aux nouvelles entreprises. Cela a pour effet de pénaliser des entreprises en croissance ou émergentes.
          Impossible de trouver une seule trace de penchant libertarien ou de conservatisme économique dans ce programme. On y reconnaît au contraire la démarche classique des étatistes: identifier toutes sortes de manques et de défectuosités, toutes sortes de déchirures dans le « tissu social », et proposer des programmes bureaucratiques pour les solutionner. Au diable la dépense! Il y a encore quelques mois, dans ses entrevues, ont pouvait entendre Mario Dumont dénoncer le penchant trop facile à l'interventionnisme de ses adversaires. La fin de semaine du congrès, à l'émission Point de presse de RDI, il n'a pu prononcer une seule phrase séduisante aux oreilles d'un libertarien pendant une demi-heure. 
  
          Bref, l'Action démocratique est devenue inutile. Elle n'a rien de très pertinent à offrir au chapitre de la question nationale, à part de promettre de ne pas en parler pour les dix prochaines années. Et maintenant que ce parti ne se distingue plus d'aucune façon sur les autres questions, à quoi bon gaspiller son vote? On aurait pu, jusqu'à récemment, espérer que l'ADQ allait offrir à des gens comme nous qui croient que l'État prend trop de place une raison de voter sans trop se boucher le nez, en suivant sa conscience, même si les chances d'élire des députés en plus du chef étaient minces. Mais ce choix n'existe malheureusement plus. Entre deux partis d'opposition aussi imparfaits l'un que l'autre, un qui a des chances de gagner les élections et l'autre qui ne peut que diviser le vote, ceux qui voudront absolument se débarrasser des péquistes n'auront dorénavant plus besoin d'hésiter. 
  
  
  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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