Montréal, le 10 octobre 1998
Numéro 22
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
 
UN NEW DEAL
À L'ÉCHELLE PLANÉTAIRE?
  
par Martin Masse
 
 
          La crise financière qui fait rage en Asie depuis l'an dernier se propage graduellement et se rapproche dangereusement des pays occidentaux. L'économie russe est en chute libre, on craint maintenant que le Brésil, la 9e économie au monde, soit en danger et menace l'Amérique latine au complet. Le monde se dirige-t-il vers une autre crise globale semblable à celle des années 1930? Jusqu'ici, l'Europe et notre continent restent en santé, mais les politiciens et les économistes patentés s'activent fébrilement à mettre en place des conditions pour aggraver la situation.  
 
          La semaine dernière, les grands argentiers des pays riches se réunissaient à Washington, en compagnie des dirigeants du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, pour discuter des moyens de calmer les fluctuations monétaires et de secourir les économies les plus menacées. L'une des ironies majeures de cette crise est sûrement le fait que la plupart des commentateurs gauchistes dénoncent les politiques capitalistes du FMI et de la Banque mondiale, alors que ce sont en réalité les politiques de socialisme planétaire que ces institutions mettent en oeuvre qui sont en partie responsables de cette crise.  
 
          Depuis l'effondrement du bath – la monnaie thaïlandaise – qui a marqué le début de la crise il y a quinze mois, les épargnes des contribuables occidentaux ont été distribuées par le FMI à coup de milliards dans des gouffres sans fond: 18 milliards $ en Thaïlande, 43 milliards en Indonésie, 23 milliards en Russie, 57 milliards pour la Corée du Sud! Et c'est sans compter les autres programmes d'aide qui iront bientôt à la rescousse du Brésil (au moins 30 milliards, indique-t-on) et d'autres pays menacés par la contagion financière. Le Congrès américain débat depuis des mois de la demande de Bill Clinton d'accorder un autre 18 milliards $ en contribution à l'organisme, pour lui permettre de poursuivre ces « prêts » dont personne ne reverra la couleur.  
  
          S'il y a pourtant une leçon que l'on devrait tirer de la Dépression des années 1930 (voir à ce sujet la chronique de Pierre Desrochers), c'est que c'est un excès de liquidité qui est à l'origine de la crise, pas un manque, et que de lancer de l'argent supplémentaire sur le problème ne fait que le prolonger au lieu de le régler.
La logique des investissements 

          Du point de vue de l'École autrichienne (l'une des deux écoles de pensée libertarienne, avec la néo-classique) les crises économiques sont des réajustements nécessaires de la production à la suite d'un trop grand nombre d'investissements improductifs survenus dans une période de boom financier. 

          On pourrait comparer la situation à celle d'une personne ayant accès à du crédit facile, qui s'est beaucoup endettée pour dépenser sur toutes sortes de projets plus ou moins risqués, et qui frappe un jour un mur parce qu'elle subit trop de pertes. Elle doit faire des remboursements et doit retirer ses billes des projets les moins profitables pour concentrer ses ressources diminuées sur les projets les plus sûrs. La « crise », c'est la période de transition nécessaire pendant laquelle cette personne diminuera sa consommation, liquidera ses investissements improductifs et réajustera son tir en tenant compte de ses priorités de façon plus réaliste. 

          Si on regarde la situation d'un point de vue plus global, dans toute économie, la quantité de capital disponible pour les investissements n'est pas illimitée: elle dépend du taux d'épargne d'une population et de la capacité des entreprises à emprunter à l'étranger si l'épargne locale est insuffisante, de façon à financer des projets aux rendements appréhendés suffisamment élevés pour justifier les taux d'intérêts demandés. La logique économique veut que les projets les mieux ficelés, ceux qui tiennent compte de façon réaliste de l'évolution du marché dans le secteur visé, ceux qui présentent des potentiels relativement forts de profit élevé (l'incertitude étant bien sûr toujours présente), trouveront plus facilement des investisseurs prêts à ouvrir leurs goussets; par contre, les projets plus obscurs, ceux proposés par des amateurs qui ne connaissent pas grand-chose du secteur en question, ceux qui misent plus sur la spéculation risquée à court terme, trouveront plus difficile de se financer. 

          On a tendance à penser que c'est une chose positive lorsque le crédit est facile à obtenir et lorsque le capital d'investissement coule à flot. Mais si, pour une raison quelconque, le crédit est excessivement facile à obtenir, ce ne sont plus uniquement les projets les plus prometteurs qui seront financés, mais aussi de plus en plus de projets plus risqués, avec moins de potentiels de rendement, des projets mal ficelés concoctés par des amateurs ou des crapules, des projets carrément bidon. L'argent investi dans ces projets ne tombe pas du ciel: ce sont des ressources qui auraient pu être dépensées à meilleur escient sur des biens de consommation ou investies ailleurs, dans des marchés plus sûrs. Des ressources qui auraient augmenté le bien-être et le niveau de vie des contribuables de façon immédiate ou à plus long terme, au lieu d'être simplement gaspillées dans des projets non profitables. 

Le syndrome du stade des Expos 

          C'est justement cette situation qui avait cours en Asie avant le début de la crise. Les pays touchés (Thaïlande, Corée du Sud, Indonésie, Japon, etc.) connaissent des situations très différentes, mais ils ont tous ceci en commun: on y a indûment encouragé le crédit et les investissements depuis des années, par toutes sortes de politiques. Dans certains pays, les banques centrales gardaient les taux d'intérêt artificiellement bas; dans d'autres, la réglementation empêche les compagnies de réduire leurs effectifs ou de faire faillite (et donc de liquider les investissements non productifs); ailleurs, les gouvernements détournent des fonds vers des projets grandioses ou des secteurs monopolistiques contrôlés par la famille et les amis du régime – c'est ce genre de crony capitalism qui régnait en Indonésie sous Suharto; presque partout, l'État intervient massivement avec des subventions et des programmes de tout genre pour favoriser les investissements, comme le font ici la Société générale de financement (SGF), Investissement Québec, et toute la panoplie de saupoudreurs de fonds publics. 

          Ajoutons à cela le crédit facile et généreux offert par des grandes banques occidentales peu soucieuses du risque, parce qu'elle savent que chaque fois que les choses tournent mal – comme au Mexique il y a quatre ans – leurs gouvernements et le FMI viendront inévitablement à leur rescousse pour les sortir du trou. Une pratique bien sûr tout à fait contraire à la logique du capitalisme libéral, qui veut que ceux qui prennent les risques doivent subir les pertes de la même façon qu'ils jouissent des gains, sans soutien de l'État. 

          Dans ces pays asiatiques qui ont vu leur économie s'effondrer, on avait englouti des fonds dans ce qui équivaut à des centaines de stades des Expos – un stade dont on sait très bien qu'il n'attirera jamais assez de spectateurs pour assurer sa rentabilité s'il est construit. Des projets trop risqués, qui ne s'appuyaient sur aucune évaluation crédible du marché dans l'avenir. Des projets qui, de toute évidence, n'auraient jamais vu le jour sans l'aide de l'État, ni sans le financement privé rendu artificiellement accessible à cause, encore une fois, de distorsions dans le marché financier provoquées par des actions de l'État. Selon le Wall Street Journal, en 1996, la quantité de prêts échus en Corée du Sud étaient trois fois plus élevée que ce qu'on retrouve habituellement dans les pays occidentaux. La compétition entre les institutions financières pour prêter de l'argent était tellement féroce que les marges de profit sur les prêts dépassaient les coûts de financement par seulement 0.2%, dix fois moins qu'en 1993. « C'était l'équivalent de pomper continuellement de l'air chaud dans un ballon », notait récemment Goh Chok Tong, le premier ministre de Singapour. « Lorsque les créanciers et les investisseurs se sont rendu compte que les marges de profit et les rendements n'allaient pas être au rendez-vous, la panique a débuté. Le ballon a éclaté. » 

Traverser la crise 

          Il n'y a pas 56 façons de se réajuster lorsque la confiance s'effondre et que tout le monde se rend compte que le boom ne peut plus continuer: on retire ses billes de ses positions les plus à découvert, les plus risquées, et on va vers les valeurs sûres. C'est ce qui fait que des milliards de dollars quittent l'Asie et d'autres pays à risque – dont le Canada – depuis des mois pour trouver refuge aux États-Unis. La crise est inévitable: les projets improductifs doivent tout simplement être abandonnés, liquidés, parce qu'ils font disparaître de la richesse au lieu d'en créer. Les maintenir artificiellement en activité par l'injection de fonds supplémentaires, c'est comme jeter des morceaux de bois dans le feu pour éteindre un incendie: on ne réussit qu'à le prolonger, et on gaspille encore plus son stock de bois. La seule chose à faire, c'est de laisser l'incendie s'éteindre de lui-même et reconstruire sur de nouvelles bases. Les capitaux reviendront rapidement d'eux-mêmes lorsqu'il y aura de nouveau une logique économique solide pour attirer les investisseurs. 

          Continuer à jeter du bois sur le feu est pourtant ce que le FMI, les gouvernements occidentaux et la plupart des commentateurs économiques proposent de faire pour solutionner la crise. On a vu les milliards engloutis jusqu'ici, d'autres suivront. Les États-Unis continuent de faire pression sur le gouvernement japonais pour qu'il mette en place un autre « plan de sauvetage » de son économie et de celle de ses voisins asiatiques par l'injection de dizaines de milliards en fonds publics. L'éditorialiste du Devoir, Jean-Robert Sansfaçon, sur qui on peut se fier pour répéter les mantras interventionnistes à la mode, présentait ainsi ce sur quoi « tous s'entendent (sauf les ultralibéraux) »:

          Pour contrer ce mouvement, plusieurs solutions à court terme ont été mises de l'avant qui devront recueillir rapidement l'adhésion des pays industrialisés: baisse des taux d'intérêt, stimulation des investissements et de la consommation intérieure des pays et soutien financier mondial à ceux d'entre eux qui font l'objet d'attaques spéculatives injustifiées. (6 octobre 1998)
          Répétons-le: c'est un excès de crédit facile qui est à l'origine de la crise, pas un manque de liquidités. Mais ce sont les dogmes keynésiens qui dominent depuis des décennies la pensée économique, et ces dogmes veulent que l'État ait toujours la possibilité de relancer la croissance en « injectant » plus l'argent dans l'économie – de l'argent qui pourtant ne peut venir que d'emprunts qu'on devra rembourser, ou de taxes qui retirent autant de ressources de l'économie qu'elles n'en rajoutent. La logique keynésienne a toutefois un avantage pour les politiciens et bureaucrates que n'a pas la pensée libertarienne: elle leur donne l'illusion que ce sont eux qui contrôlent le développement économique, que c'est grâce à eux que les marchés fonctionnent, que ce sont eux nos sauveurs. Pas étonnant qu'ils s'en réclament presque tous, à gauche comme à droite. 

La crise se répand 

          Ce que tout le monde craint maintenant, c'est que la bulle finisse par éclater aux États-Unis, qui ont eux aussi connu une croissance excessive du crédit ces dernières années avec en prime les mauvais investissements qui accompagnent nécessairement le phénomène. Il suffit de voir comment la Fed, la banque centrale américaine, a concocté il y a deux semaines le sauvetage de Long-Term Capital Management, un très important fonds d'investissement à Wall Street. On craignait, dit-on, que son effondrement ne provoque chez les investisseurs un retrait en cascade de placements risqués et une contraction soudaine du crédit disponible. Quelques jours plus tard, Allan Greenspan annonçait une baisse des taux d'intérêt d'un demi de 1%. C'est mauvais signe. 

          Pire encore, Bill Clinton proposait cette semaine de mettre en place un « New Deal » à l'échelle mondiale pour faire face à la crise, de la même façon que son prédécesseur Franklin D. Roosevelt s'est attaqué à la Grande Dépression des années 1930: « Just as free nations found a way after the Great Depression to tame the cycles of boom and bust in domestic economies, we must now find ways to tame the cycles of boom and bust that today shake the world economy. » Les cycles de croissance rapide et de dépression n'ont pourtant pas disparu après 1930. La Grande Dépression, loin d'être un exemple positif, est un exemple catastrophique: au lieu de la laisser se résorber, Roosevelt l'a entretenue pendant près d'une décennie avec des politiques interventionnistes idiotes qui ont empêché ou retardé les ajustements nécessaires du marché. 

          (L'exemple à suivre, et dont on ne parle jamais, c'est plutôt la crise économique aussi sévère qui est survenue une décennie plus tôt. De mai 1920 à août 1921, le chômage est passé de 1.3% à 11.2%, et les prix se sont effondrés. Mais le gouvernement américain n'a simplement rien fait – on croyait encore, à l'époque, aux vertus du laisser faire – et la production et l'emploi se sont rapidement redressés. Au printemps de 1923, le chômage était redescendu à 1.7% et la production avait rejoint son niveau d'avant la crise. Voir « The US Economy: a Lesson from the Twenties? », The New Australian, 21-27 Sept. 1998) 

          Bref, ces gens n'ont rien appris. Ce que l'histoire du 20e siècle nous a montré, c'est que les économies planifiées finissent par faire faillite, alors que les économies (plus) libres dominent le monde; que le socialisme crée la pauvreté, alors que le libéralisme économique crée la richesse. Mais aujourd'hui, à la veille peut-être d'une nouvelle dépression économique importante, la seule solution qui fait consensus chez ceux qui nous ont amené au bord de ce gouffre est la solution interventionniste, la solution du crédit facile, du garrochage d'argent – notre argent – sur le problème. La folie socialiste étendue à l'échelle planétaire, grâce aux bons soins des gouvernements occidentaux, du FMI (dirigé par un socialiste français, Michel Camdessus) et avec la complicité des banquiers et des gros investisseurs prêts à sacrifier leurs idéaux libéraux pour une garantie de sauvetage par l'État. Espérons seulement que les générations futures apprendront mieux des erreurs qu'on s'apprête à commettre. 
  
  
  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 

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