Montréal, le 10 octobre 1998
Numéro 22
 
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 LE MARCHÉ LIBRE
 
LA CRISE DES ANNÉES 1930
(PREMIÈRE PARTIE)
  
par Pierre Desrochers
  
 
          La Grande Dépression des années 1930 est probablement le sujet le plus étudié en histoire économique américaine. Contrairement à certains mythes tenaces véhiculés par les opposants de l'économie de marché, il n'y a toutefois pas encore de consensus sur ses causes et sa durée exceptionnelle. Notre collaborateur entreprend donc aujourd'hui, dans la première de deux chroniques, de présenter une autre vision de la crise telle qu'elle a été élaborée par Friedrich Hayek, Murray Rothbard, Milton Friedman, Robert Higgs et d'autres auteurs libéraux.  
  
*   *   *
          La Crise des années 1930 est immanquablement présentée comme l'aboutissement logique du capitalisme sauvage. Victime de ses contradictions ayant mené à une crise de surproduction et à une concentration de la richesse dans les mains de quelques exploiteurs, l'économie de marché n'aurait été sauvée que par les interventions judicieuses du New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Ce scénario présente toutefois un gros problème: il n'est corroboré par aucune donnée historique. Nous examinerons donc dans cette chronique une autre vision de la Grande Dépression, en soutenant que sa sévérité s'explique en bonne partie par les politiques du Federal Reserve Board américain et par les interventions subséquentes du président républicain Herbert Hoover, un homme que l'on présente ordinairement comme un libéral intransigeant.
 
L'inflation monétaire 
  
          La plupart des commentateurs économiques admettent aujourd'hui que le secteur privé est habituellement plus efficace que le secteur public car il fournit de meilleurs incitatifs pour faire toujours plus et mieux avec moins de ressources. La seule exception à ce consensus est le monopole étatique de la création de monnaie, généralement présenté comme nécessaire et inévitable. Or tous les économistes ne partagent pas ce point de vue. Les tenants de l'école dite autrichienne (parce que ses fondateurs étaient originaires d'Autriche) soutiennent ainsi que la nationalisation de la monnaie a souvent eu des conséquences économiques catastrophiques. 
  
          Plusieurs économistes autrichiens croient que la véritable cause de la dépression des années 1930 est la politique inflationniste des autorités monétaires américaines des années 1920. Selon l'économiste Murray Rothbard, le Federal Reserve Board aurait ainsi augmenté la masse monétaire de plus de 60% entre 1921 et 1929, ce qui a provoqué une baisse des taux d'intérêt et une augmentation considérable des investissements dans la capacité productive de l'économie américaine. 
  
          Selon les tenants de la théorie autrichienne des cycles économiques, une expansion ne reposant pas sur des gains de productivité mais sur une plus grande quantité de monnaie en circulation ne peut toutefois durer qu'un temps, car ses fondations ne sont pas solides. Parce qu'à plus ou moins long terme les ressources ne sont pas créées aussi rapidement que la monnaie, les coûts des entreprises augmentent, les taux d'intérêt sont revus à la hausse et les profits diminuent de façon drastique. Plusieurs entreprises font alors faillite et l'appareil productif d'une économie doit alors entreprendre une période de réajustement sévère afin de retrouver le chemin de la prospérité. 
  
          Ayant finalement réalisé qu'une politique d'inflation de la masse monétaire n'était pas viable, les autorités monétaires américaines ont entrepris de réduire la masse monétaire de près de 30% entre 1929 et 1932. Le crash de 1929 n'aurait donc pas été une cause de la crise, mais seulement un symptôme. Comme dans le passé, notamment lors de la brève récession de 1921, l'économie américaine aurait alors dû entreprendre une période de réajustement sévère qui l'aurait relancée sur des bases plus solides. Mais contrairement au credo libéral de l'administration américaine de 1921, le président Hoover et le Congrès américain décideront alors de prendre les choses en main. 
  
Herbert Hoover, un républicain progressiste 
  
          Herbert Hoover et son administration (1928-1932) sont généralement présentés comme des gardiens de l'orthodoxie libérale, ce qui est pour le moins surprenant lorsque l'on examine leurs politiques. L'une des premières mesures prises pour contrer les effets du crash de 1929 fut ainsi la politique tarifaire des sénateurs Smoot et Hawley votée en 1930. Les politiciens américains décidèrent alors de hausser de façon importante plus de 887 tarifs et de taxer 3 128 produits qui entraient en franchise de douane aux États-Unis jusque-là. Cette législation, la plus protectionniste de l'histoire américaine, ferma ainsi les portes des États-Unis aux produits étrangers et déclencha une guerre tarifaire importante avec le reste du monde. 
  
          Or comme dans toute guerre tarifaire, la protection de producteurs nationaux peu compétitifs se fait aux dépens d'industries exportatrices beaucoup plus solides. Outre le fait que les consommateurs américains se virent obligés d'encourager des producteurs moins compétents que leurs compétiteurs étrangers, les principales victimes américaines furent les producteurs agricoles les plus dynamiques qui perdirent rapidement plus du tiers de leur marché. La faillite de plus d'une dizaine de milliers de producteurs agricoles entraîna à son tour un nombre record de faillites de banques rurales et la destruction des avoirs de centaines de milliers d'épargnants. 
  
          L'administration Hoover – agissant en cela en précurseur du gouvernement Bouchard – décida alors de donner des subventions importantes au monde agricole pour calmer une colère provoquée par les politiques gouvernementales. On distribua ainsi plusieurs centaines de millions de dollars (une somme considérable à l'époque) aux producteurs de blé et de coton. L'administration Hoover ne se contenta toutefois pas d'intervenir dans le monde agricole. On mettra ainsi sur pied une Reconstruction Finance Corporation qui distribuera des milliards de dollars en subventions à diverses industries. Ces mesures seront si importantes que la portion du PIB accaparée par l'administration fédérale américaine augmentera de plus de 30% entre 1930 et 1931. 
  
          Le coût de ces mesures ne se fit toutefois pas attendre et l'administration fédérale américaine dût rapidement hausser les taxes et les impôts. C'est ainsi que le Revenue Act de 1932 doubla le montant d'impôt payé par la plupart des contribuables américains (les plus touchés furent toutefois les plus nantis, dont la tranche d'imposition maximale passa de 24% à 63%). La plupart des exemptions fiscales furent alors abolies tandis que les impôts corporatifs et les taxes sur la valeur foncière, l'essence, les automobiles et plusieurs autres produits augmentèrent considérablement. 
  
          Comme on s'en doute bien, l'administration Hoover devint rapidement impopulaire. L'ironie de la chose, c'est que lors de la campagne électorale de 1932, F. D. Roosevelt reprochera plus que tout à l'administration Hoover sa folie dépensière, ses hausses de taxes, l'augmentation considérable de la dette fédérale, les restrictions au commerce et ses mesures ayant transformé des millions de travailleurs en parasites de l'État. Comme l'a souligné Lawrence Reed:
[Roosevelt] accused the president of « reckless and extravagant » spending, of thinking « that we ought to center control of everything in Washington as rapidly as possible », and of presiding over « the greatest spending administration in peacetime in all of history ». Roosevelt's running mate, John Nance Garner, charged that Hoover was « leading the country down the path of socialism ».
          Que l'on partage ou non la philosophie libérale en matière économique n'enlève rien au fait que l'on ne peut blâmer le libre marché ou les contradictions inhérentes du mode de production capitaliste pour la crise des années 1930. Bien au contraire, si l'on peut tirer une leçon des premières années de la crise, c'est qu'elle coïncida avec une augmentation sans précédent de l'intervention économique du gouvernement fédéral américain. Nous verrons dans la prochaine chronique en quoi la politique du New Deal de l'administration Roosevelt ne fera qu'empirer la situation.

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