Montréal,
le 7 novembre 1998 |
Numéro
24
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LE MARCHÉ LIBRE
LA CABALE
DES PERFIDES BAVARDS
par Pierre Desrochers
Comme les Montréalais le savent bien, la réélection
triomphale du maire sortant Pierre Bourque s'est faite envers et contre
tous les médias métropolitains. Même le plus distrait
des observateurs n'aurait pu s'empêcher de tomber sur l'une des diatribes,
mesquineries et attaques vicieuses dirigées contre l'ancien administrateur
du Jardin Botanique de la part des Kathleen Lévesque, Pierre Bourgault,
Richard Martineau, Agnès Gruda, Pierre Foglia, Franco Nuovo, Isabelle
Maréchal, Nathalie Petrowski et autre perfides bavards que l'on
qualifie ordinairement d'intelligentsia montréalaise. Toujours aussi
subtile, Lysiane Gagnon résumait bien l'état d'esprit des
habitués du Café Cherrier et des tables à café
outremontaises dans La Presse du 24 octobre dernier: |
« Pourquoi Montréal est-elle une proie si facile
pour les démagogues et les illuminés? L'une des raisons se
trouve inscrite en toutes lettres dans le sondage SOM. C'est la sous-scolarisation.
La majorité des Montréalais ayant moins de 12 ans de scolarité
et la majorité des Montréalais ayant un revenu familial inférieur
à 15 000 $ comptent voter pour Pierre Bourque. C'est
sur un solide bloc de démunis et de “peu instruits” que repose sa
popularité... M. Bourque recueille aussi la part du lion des votes
de la catégorie “autre que francophone”, vraisemblablement grâce
à l'appui des allophones (...).
La sous-scolarisation et la pauvreté pèsent plus lourd qu'ailleurs
dans les choix électoraux de Montréal parce que Montréal
est une ville qui a perdu une très grande partie de ses élites
naturelles (...). Cette situation aberrante est épargnée
aux autres grandes villes canadiennes. Tant Toronto que Vancouver ou Calgary
abritent en leur sein une solide classe moyenne et une bourgeoisie bien
enracinée. Montréal, au contraire, est une ville en partie
décapitée. Avec la victoire appréhendée de
Pierre Bourque, on en voit aujourd'hui les conséquences plus cruellement
que jamais. »
Après l'argent et le vote ethnique, on blâme maintenant les
pauvres, les déficients légers et le vote ethnique! L'électorat
de Louise Harel se joindrait maintenant aux ennemis de la Patrie (pauvres
ethnies...) pour le plus grand malheur de la métropole québécoise.
Pas la cote auprès de l'élite
Bourque n'a également pas la cote dans cet autre cénacle
de l'élite naturelle québécoise qu'est le milieu universitaire.
Il n'a d'ailleurs jamais caché son antipathie pour certains intellectuels
de l'Institut national de la recherche scientifique (INRS-Urbanisation)
qui peuplaient l'administration Doré et n'avaient de cesse d'inventer
de nouvelles structures et d'augmenter les taxes pour résoudre les
problèmes de Montréal. On a également vu se poindre
au milieu de la campagne électorale le professeur Alain Chanlat
des Hautes Études Commerciales (dont on se demande à l'écouter
comment il peut bien gérer ses budgets de recherche...) qui est
venu l'accuser d'avoir voulu « bulldozer » le
club fermé des Rock Machines qu'est le syndicat des cols bleus de
la Ville plutôt que d'engager un dialogue constructif avec ces enfants
gâtés de l'ère Doré.
Je comprends mal la hargne manifestée par nos plus prestigieux scribouilleurs
à l'endroit de Pierre Bourque. Il est vrai que l'on peut d'une certaine
façon me rattacher à l'électorat « naturel
» de Pierre Bourque, car ma condition étudiante fait
de moi un pauvre dans les statistiques des ministères. Je suis toutefois
également titulaire d'une maîtrise en études urbaines
et je complète un doctorat sur la croissance des villes. J'ignore
toujours si cela fait de moi un membre de « l'élite
naturelle » au même titre qu'Agnès Gruda, Lysiane
Gagnon et le professeur Chanlat. De toute façon, je réagis
comme Pierre Bourque: je ne veux rien avoir à faire avec ces gens-là.
Pourquoi nos professionels de la couverture politique détestent-t-ils
tant Pierre Bourque? La problématique la plus grave est évidemment
celle des nombreuses accusations de fraudes qui ont touché son entourage
peu après son élection. Il est vrai que le nouveau maire
n'avait pas une grande expérience politique et qu'il avait parfois
l'air d'un agneau sacrificiel qui ne comprenait pas vraiment tout ce qui
se tramait dans son entourage. Son intégrité n'a toutefois
jamais été mise en doute et il est clair que sa piètre
performance dans les sondages au milieu de son mandat a fait fuir tous
les requins habituels de la politique municipale (ingénieurs, marchands
de béton, etc.). On lui a également reproché de ne
pas faire de « bonne politique » avec le gouvernement
du Québec. Le maire Bourque n'a peut-être pas voulu faire
suffisamment de génuflexions devant Guy Chevrette, Jacques Brassard
et les fonctionnaires des affaires municipales et des transports, mais
j'avoue que cela me le rend plutôt sympathique. Nos chroniqueurs
qui donnent de l'importance aux personnages de la Vieille Capitale devraient
plutôt se demander s'il est logique que le maire de Montréal
soit encore obligé de faire des courbettes à l'autre bout
de la 20 pour avoir les coudées franches pour gérer sa ville.
Après tout, les problèmes budgétaires de Montréal
auraient pu être réglés beaucoup plus facilement si
le maire avait été libre de renégocier bon nombre
de conventions collectives et de privatiser plusieurs installations et
services municipaux.
Des efforts louables
Il reste encore beaucoup à faire au niveau du dégraissage
en règle de l'administration Montréalaise et la feuille de
route de M. Bourque n'est évidemment pas sans taches. Malgré
bon nombre de contraintes héritées des institutions politiques
québécoises et des politiques des administrations précédentes,
Pierre Bourque a néanmoins fait plusieurs efforts louables pour
remettre à l'avant-plan le secteur privé dans le redéveloppement
commercial de certains secteurs de la métropole. Même si le
dossier de la gare Jean-Talon a traîné en longueur, l'administration
Bourque aura au moins eu le mérite d'autoriser la construction de
plusieurs grandes surfaces – au Marché Central, aux limites de la
carrière Miron, etc. – pour le plus grand bien des consommateurs
montréalais et au grand dam d'une clique de petits commerçants
au poids politique disproportionné depuis le début de l'ère
Drapeau et de professionnels du communautaire qui en menaient large depuis
l'administration Doré.
Là où l'on s'explique vraiment mal l'attitude des médias
montréalais, c'est lorsqu'on regarde les adversaires de Pierre Bourque.
Après tout, de quelles réalisations concrètes et rentables
pouvaient bien se targuer les vieux routards du RCM Doré et Prescott?
De s'être battus pour interdire l'affichage des « topless
»? D'avoir relancé l'industrie des tables de concertation?
D'avoir fait de la SHDM le principal promoteur immobilier du Vieux Montréal?
D'avoir fait fuir les « élites naturelles »
en étouffant les commerçants et les propriétaires
avec de nouvelles taxes pour éponger leur gâchis financier?
Et qu'avait d'intéressant à offrir un candidat comme Jacques
Duchesneau, un administrateur n'ayant jamais eu à gérer de
décroissance dans son service? N'avait-il vraiment rien de mieux
à annoncer qu'un refus de baisser les taxes et une promesse de «
redonner de la fierté aux Montréalais »?
Et pourquoi nous donnait-il tous l'impression d'être le personnage
le plus vaniteux à vouloir sévir à Montréal
depuis le cardinal Léger (première version) et le maire Drapeau?
N'en déplaise à Lysiane Gagnon, il est loin d'être
clair que les élites naturelles exilées en banlieue auraient
voté de façon significativement différente que l'électorat
montréalais. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de discuter récemment
du scrutin montréalais avec plusieurs membre des classes moyennes
lors d'un incontournable rituel banlieusard (la soirée des ailes
de poulet à 25 cents de la Cage aux Sports). Et tout le monde autour
de la table, à l'exception d'un policier qui appuyait Duchesneau,
considérait que Bourque était de loin le moins pire des aspirants
à la mairie.
Pourquoi alors cet acharnement de l'élite médiatique montrélaise
contre Pierre Bourque? Je n'en sais encore trop rien, sinon qu'il a sans
doute trop l'air d'un gérant du comptoir des viandes d'un supermarché
de banlieue pour avoir l'air présentable. Et contrairement aux avocats
et aux diplômés en sciences sociales peuplant nos cafés,
nos médias et nos partis politiques, M. Bourque est un homme ayant
un vrai métier qui se contente de chercher à rendre Montréal
plus vivable pour ses habitants plutôt que d'y rapatrier les élites
naturelles ou la transformer en Ville Lumière nord-américaine.
Son triomphe signale plus que tout le retour du gros bon sens en politique
québécoise après des années désastreuses
de rêveries collectivistes et de « bureaucratisation
scientifique » encensées par nos intellectuels. C'est
peut-être cela qui le rend vraiment insupportable aux yeux de nos
perfides bavards.
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