Montréal, le 5 décembre 1998
Numéro 26
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.     
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
 
QUELLE TROISIÈME VOIE?
  
par Martin Masse
 
 
          La victoire-défaite du Parti québécois, réélu avec une majorité confortable de sièges mais un appui populaire décevant (42% contre 43% pour les libéraux), nous remet étrangement dans une situation similaire à celle du début du deuxième mandat de René Lévesque en 1981. Maintenant comme alors, la perspective d'un nouveau référendum est invisible à l'horizon immédiat: en 1981 parce que les séparatistes venaient à peine de connaître la défaite et qu'ils ont été réélus avec une promesse de ne pas en tenir un; aujourd'hui parce que les « conditions gagnantes » qu'attend Lucien Bouchard font défaut, à commencer par ce résultat électoral décevant. 
  
          Les péquistes ont tendance à s'entre-déchirer lorsqu'ils ne peuvent se mobiliser autour de leur but premier, concrétiser l'Article 1 de leur programme. De même, les fissures apparaissent très vite dans la vaste coalition nationalo-gauchiste, qui inclut les employés du secteur public, les artistes et intellectuels, les lobbys de pleurnichards et les syndicats, lorsque la perspective d'un référendum prochain ne modère pas les ardeurs revendicatrices de tout un chacun. 
  
          Comme en 1981, un affrontement semble se préparer entre le gouvernement et les syndicats du secteur public. Celui de l'époque avait dégénéré en tragédie pour ceux qui croyaient dans les vertus de la solidarité nationale, de la social-démocratie et de la souveraineté-association (avec ou sans tiret). Jeune cégépien militant péquiste à l'époque, j'en étais bouleversé tous les soirs en regardant les nouvelles à la télé.  
  
        Comme pendant ce deuxième mandat Lévesque aussi, les 3e voies constitutionnelles reviennent à la mode, et les indépendantistes les plus réalistes se disent qu'il faut jouer à ce jeu au moins un certain temps pour montrer qu'on est de bonne foi. Il y a quinze ans, la bisbille entre les modérés partisans du « beau risque » et les radicaux ou « caribous » (en référence à ces milliers de pauvres bêtes qui étaient mortes en tentant de traverser une rivière au niveau trop élevé de la Baie James) avait vite dégénéré en schisme après l'élection de Brian Mulroney en septembre 1984. Dans une formule restée célèbre (contenue dans un discours écrit, paraît-il, par son ami d'alors Lucien Bouchard), il avait appelé à réintégrer le Québec dans la famille constitutionnelle canadienne « dans l'honneur et l'enthousiasme ». On connaît la suite: Pierre-Marc Johnson, Robert Bourassa, Meech, Charlottetown, etc.
Créature constitutionnelle 
  
          Allons-nous nous engager dans une joute similaire cette fois encore? Les pions sont, en tout cas, déjà en place. Pendant les derniers jours de la campagne, et encore plus depuis, les politiciens du pays ont discouru en long et en large sur une nouvelle créature constitutionnelle, « l'union sociale ». À peu près personne ne sait de quoi exactement il en retourne, ni n'est intéressé à en savoir plus. Et pour cause. 
  
          En gros, il s'agit d'un autre de ces arrangements patentés typiquement canadiens pour faire en sorte que les bureaucraties du pays ne se pilent pas trop sur les pieds lorsqu'elles se lancent dans de nouvelles entreprises de dépense de fonds publics. L'idée est de limiter le pouvoir d'Ottawa de lancer de nouveaux programmes en santé et en éducation – des domaines de juridiction exclusivement provinciaux, où le fédéral n'a rien à voir en principe, mais où il s'ingère depuis des décennies grâce à son pouvoir de dépenser – en le forçant à d'abord obtenir l'accord d'une majorité de provinces. Celles qui souhaitent malgré tout ne pas bénéficier des largesses impériales – oups, fédérales – pourraient par ailleurs se prévaloir d'un droit de retrait avec compensation financière dans la mesure où elles mettent en place un programme similaire. 
  
          La pertinence du fédéralisme – et sa vertu première – n'est pourtant pas d'avoir différents niveaux de bureaucraties pour administrer des programmes identiques d'un bout à l'autre du pays, mais bien de permettre l'existence, et la compétition entre eux, de programmes différents dans différentes régions, y compris une absence de programme si c'est là la volonté locale. Le projet d'union sociale contredit tout à fait ce principe, malgré la fiction d'une décentralisation des prises de décision vers les provinces. La bataille des nationalismes, canadien contre québécois, nous a mené là: deux États énormes, à Québec et à Ottawa, qui négocient entre eux pour encadrer la façon dont chacun peut intervenir partout, y compris là où il n'a pas d'affaires. 
  
         La troisième voie dans laquelle Lucien Bouchard s'est temporairement engagé mène donc de toute façon à un précipice centralisateur et interventionniste, qu'elle réussisse ou non (et le premier ministre est déjà soupçonné de vouloir la faire échouer, question d'obtenir un bout de condition gagnante en jouant les grands humiliés comme il sait si bien le faire). Déjà, dans le reste du pays, des commentateurs nationalistes canadiens trouvent que l'union sociale va trop loin, qu'elle risque d'émasculer les pouvoirs fédéraux. Un éditorial du Globe & Mail affirme stupidement que « Ottawa's continued presence in the lives of Canadians and their institutions in all areas of life is politically and constitutionally legitimate. No other gains in the social-union talks could compensate for its loss. » Une présence continue, dans tous les domaines de la vie! 
  
Couteau sur la gorge 
  
          Au Québec, ce ne sont étrangement pas les indépendantistes radicaux qui se montrent sceptiques devant ce projet, mais plutôt Mario Dumont, dont le parti est le seul à proposer un fédéralisme véritablement décentralisé. M. Dumont est resté ambigu à souhait jusqu'ici dans la stratégie qu'il entend poursuivre. Il demande au gouvernement de ne pas tenir de référendum au cours du prochain mandat, mais refuse de dire qui il appuiera s'il y en a un tout de même. Avec le poids politique accru que lui ont donné les électeurs (12% du vote, contre 6% en 1994), il peut sûrement se permettre de faire poireauter un peu les deux autres chefs et la classe politique canadienne, puisque c'est l'appui qu'il donnera à l'une ou l'autre option qui déterminera en partie l'issue du prochain référendum s'il y en a un. L'ambiguïté bourassiste n'a toutefois pas donné de très bon résultats dans le passé et il est loin d'être certain que la troisième voie offerte par l'ADQ nous permettra d'arriver à bon port. 
  
          M. Dumont déposera dès la reprise des travaux à l'assemblée provinciale son projet de loi pour une paix constitutionnelle (voir Mot pour mot, p. 8) et demandera aux deux autres partis de l'appuyer. Selon lui, un consensus autour de ce projet de décentralisation créera un rapport de force favorable au Québec, et Lucien Bouchard aura ainsi « une possibilité d'aller peut-être obtenir des gains pour le Québec ou obtenir des choses ». Non pas, dit Mario Dumont, pour mieux faire fonctionner le Canada dans son ensemble, mais seulement pour « obtenir des choses pour le Québec ». On reconnaît là le langage revendicateur et nombriliste qui a toujours caractérisé la position nationaliste, sans égard à ce que pense le reste du pays. Le langage du rapport Allaire (sur lequel se base le projet adéquiste), le langage du couteau sur la gorge, le langage du chantage et des menaces qui ont précédé Meech, le « donnez-nous ce que le peuple québécois demande, sinon... ». 
  
          Cette rhétorique de la confrontation a toujours échoué, elle n'a fait qu'antagoniser toujours plus les Canadiens des autres provinces, et elle a encore moins de chance de réussir aujourd'hui qu'il y a dix ou vingt ans. Le reste du pays en a ras le bol des menaces québécoises. La seule façon de faire évoluer le fédéralisme dans le sens d'une plus grande décentralisation, c'est de le faire avec l'appui de nos compatriotes, parce qu'ils y verront aussi un intérêt pour eux-mêmes. 
  
          Le programme du Parti réformiste pour un Nouveau Canada ressemble grandement au programme adéquiste. Dans les milieux libertariens et conservateurs de l'Ontario et de l'Ouest – de plus en plus influents – on comprend aussi la logique du fédéralisme décentralisé et on est prêt à faire alliance avec les Québécois dans ce sens. Mario Dumont devrait s'empresser d'exposer la logique libertarienne et fédéraliste classique et de raffermir ses liens avec ceux qui partagent ce point de vue dans le reste du pays, au lieu de s'embarquer dans une nouvelle ronde de chantage nationaliste. Sinon, il aidera à provoquer une autre débâcle, à créer les conditions gagnantes qu'attend Lucien Bouchard, et à nous remettre une fois de plus devant le choix entre le statu quo et la rupture qu'une majorité de Québécois abhorre. Pour reprendre la comparaison ci-haut entre les époques récentes, on risquera alors de passer très vite de 1985 (débandade péquiste et optimisme constitutionnel) à... 1995. 
 
 
 
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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