Montréal, le 5 décembre 1998
Numéro 26
 
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 LE MARCHÉ LIBRE
 
LES MOMIES CONTRE
LES ÉCOLOS
  
par Pierre Desrochers
  
  
          Il est de bon ton dans les milieux écologistes de considérer l'espèce humaine comme une aberration « non naturelle ». David Brower, l'un des principaux gourous de la mouvance environnementale, déclencha le bal il y a plusieurs décennies en qualifiant les êtres humains de « cancer » dans l'ordre naturel des choses. Dave Foreman, le fondateur de Earth First! alla dans le même sens en nous traitant de « maladie » et de « cancer de la nature ». La palme du genre revient toutefois à Paul Watson, l'un des fondateurs de Greenpeace, qui nous qualifie « d'épidémie virale à l'échelle de la planète » et de « sida du globe ».(1) 
          Le problème, c'est que la Nature idyllique des environnementalistes n'est qu'une chimère issue de l'imagination de quelques citadins. J'ai déjà souligné dans une autre chronique que Mère Nature est une marâtre à nulle autre pareille, ne serait-ce que parce que 99% des espèces ayant un jour vécu sur cette planète sont aujourd'hui disparues. Nous verrons maintenant à quoi ressemblait réellement la vie de nos ancêtres avant qu'ils ne transforment leur environnement de manière « artificielle ». Pour ce faire, il faut toutefois regarder la nature telle qu'elle est réellement.
 
L'hégémonie des espèces parasitaires 
  
          Le parasitologue George Benz résume bien le problème des écologistes en soulignant qu'ils refusent systématiquement d'étudier l'environnement dans sa totalité.(2) Comme il le souligne, on a beau s'émerveiller devant les ours, les loups et les chouettes tachetées, le fait demeure qu'entre la moitié et les deux tiers des espèces vivantes sont des parasites qui rendent misérables la vie de leurs hôtes, lorsqu'ils ne finissent pas par les tuer. Dans la « véritable » nature, toutes les espèces favorites des écologistes, des baleines aux chevaux sauvages en passant par les bébés phoques, sont infestées de parasites et mènent une existence précaire. Les êtres humains ne sont évidemment pas épargnés. Comme le souligne le journaliste scientifique Mark Wheeler:
Humans... can carry more than 100 different critters, a veritable smorgasbord of flagellates, amoebas, and ciliates (all protozoans); flatworms, such as tapeworms and trematodes; lice, ticks, and fleas; as well as nematodes, principally hookworms and pinworms.
          Il est vrai que bon nombre de parasites ne tuent pas leurs hôtes et ne sont pas détectés par l'organisme de leurs porteurs. La plupart sont toutefois nocifs et provoquent toute une série de complications médicales allant de la méningite à la pneumonie en passant par des dommages au cerveau, l'anémie et la dégénérescence des muscles et des organes vitaux. 
  
          L'étude des parasites est un domaine relativement nouveau en archéologie, mais on compte maintenant un bon nombre « d'archéoparasitologues » qui ont produit au cours des dernières décennies plusieurs études révélatrices. Si les archéologues traditionnels avaient bien documenté le fait que nos ancêtres vivaient beaucoup moins longtemps et beaucoup plus mal que nous en raison de malnutrition, d'épidémies et de catastrophes naturelles, il était jusqu'à tout récemment très difficile d'étudier les parasites dont ils étaient affligés. Les choses ont toutefois changé avec la découverte des momies chinchorros. 
  
Les momies chinchorros, un réquisitoire contre la nature(3) 
  
          Les Chinchorros étaient une peuplade côtière du nord du Chili qui vécut principalement de la pêche pendant plus de 5000 ans (entre 5500 et 500 ans avant notre ère). Ils s'avèrent aujourd'hui pour deux raisons une source de connaissances sans égal pour les scientifiques. Ils sont d'abord les premiers humains à avoir momifié leurs défunts, plusieurs millénaires avant que les Égyptiens n'adoptent cette pratique. De plus, ils habitaient dans l'un des climats les plus arides de la planète, ce qui a grandement favorisé la conservation de ces momies. 
  
          L'étude des restes des Chinchorros a été particulièrement révélatrice. Ils avaient beau vivre dans une zone côtière regorgeant de poissons et dans un environnement sans pollution, leur existence n'en était pas moins misérable. Une étude a ainsi révélé que le quart de leurs enfants mourraient avant d'avoir atteint l'âge d'un an; que plus du tiers des survivants étaient affligés d'infections attaquant les os de leurs jambes; qu'une femme chinchorro sur cinq avait des os si poreux que ses vertèbres s'affaissaient sous le poids de sa propre chair. Pour couronner le tout, les Chinchorros vivaient en moyenne vingt-cinq ans. Ces résultats, aussi horribles soient-ils, n'en sont pas moins caractéristiques de tous les autres restes humains de cette période. Ils ne font donc que confirmer ce que les scientifiques savaient déjà. C'est toutefois au niveau de l'étude des parasites affligeant nos ancêtres que l'étude des momies chinchorros est venue bouleverser les idées reçues. 
  
          Les spécialistes avaient déjà bien documenté le fait que nos ancêtres d'Europe et d'Asie étaient affligés de nombreux parasites. L'archéoparasitologue Karl Reinhard décrit ainsi les « armies of flukes that burrowed through lungs and livers, knots of writhing roundworms that blocked intestines and gobbled undigested food, masses of protozoans that invaded nerve tissues and poisoned cells. » On pensait toutefois que les populations de l'Amérique précolombienne vivaient dans un environnement à peu près dépourvu de parasites. Au risque de simplifier, plusieurs spécialistes croyaient que les parasites s'attaquant aux humains n'étaient apparus qu'après la « rupture de l'ordre naturel des choses », c'est-à-dire après que les humains aient domestiqué certains animaux, drainé des marais, irrigué des champs et commencé à vivre dans des milieux urbanisés. Or la « civilisation » n'émergea que longtemps après que certaines peuplades nomades de l'ère glaciaire n'aient traversé le détroit de Béring. 
  
Momies sous étude 
  
          Ce que l'étude des momies chinchorros, de même que de certaines momies découvertes en Alaska, dans le sud des États-Unis et au Pérou,(4) viennent toutefois nous apprendre, c'est que les habitants de l'Amérique précolombienne étaient aussi mal en point que les habitants du reste du globe. Reinhard donne ainsi plusieurs dizaines d'exemples particulièrement répugnants, au nombre desquels on relève que:
In the Arctic... humans perished from heart failures as armies of tiny nematodes invaded their muscles. In the Great Basin of the United States, thorny-headed worms pierced the intestinal walls of foragers. And in the South American Andes, protozoans ulcerated and rotted farmers' throats, mouths, and lips... The hard data of paleopathology shows that many people were as sick as dogs.
          L'étude des momies chinchorros s'est toutefois avérée cruciale pour statuer sur la gravité de la situation, car il est désormais à peu près impossible d'étudier les momies nord-américaines en raison de l'opposition des tribus amérindiennes à cette pratique. (Ce qui est pour le moins étonnant lorsque que l'on sait qu'en raison de nombreuses vagues migratoires, les Amérindiens vivant aujourd'hui sur un territoire n'ont règle générale rien à voir avec les populations y ayant vécu des milliers d'années auparavant. C'est ainsi que les Apaches vivaient dans le Grand Nord Canadien avant de migrer vers l'Arizona il y a plus d'un millier d'années.) 
  
          La vie du « bon sauvage » était donc bien plus près de la description hobbesienne (« poor, nasty, brutish and short ») que de l'idéal de Jean-Jacques Rousseau qui anime bien des écologistes. Nos ancêtres étaient donc bien en droit de concevoir de nouvelles technologies, notamment des insecticides, des égouts et des techniques de réfrigération et de cuisson des aliments, qui nous permettent aujourd'hui de nous nourrir convenablement, de disposer de meilleures conditions hygiéniques et de nous débarrasser de nos parasites les plus nocifs. 
  
          La « Nature » n'a fait aucun don particulier aux êtres humains. C'est bien plutôt l'ingéniosité humaine qui a mené à la croissance économique et à une qualité de vie que nos ancêtres n'auraient même pas pu imaginer. Si l'on doit évidemment chercher à prospérer en minimisant les dommages environnementaux, idéaliser bêtement la nature est non seulement stupide, mais dangereux pour notre survie qui vaut bien celle des parasites. Peut-être nos écolos devraient-ils eux-mêmes faire l'expérience concrète de l'état de nature: la plupart mourraient avant d'atteindre l'âge de pouvoir manifester contre le progrès.
  
  
  
1. Robert H. Nelson, Does "Existence Value" Exist? Environmental Economics Encroaches on Religion, 
     The Independent Review 1 (4), 1997, p. 499-521. 
2. Benz, le directeur scientifique de l'Aquarium du Tennessee à Chattanooga, est un biologiste spécialisé 
     dans l'étude des poissons et des parasites. L'essentiel de l'information le concernant 
     mentionnée dans cet article est tirée de In the Nose of Jaws par Mark Wheeler 
     (Discover 19 (3), March 1998, p. 36-39). 
3. L'information sur les momies chinchorros est tirée de The Sickness of Mummies par Heather Pringle, 
     Discover 19 (12), Décembre 1998, p. 74-83. 
4. Selon la journaliste Heather Pringle: « Mummies were once surprisingly abundant in North America. 
     In the Aleutian Islands, ancient families dried and stuffed the bodies of prominent men, 
     then placed them in caves heated by volcanic vents where the living could consult them as oracles. 
     In the American Southwest, the cliff-dwelling Anasazi occasionally eviscerated and preserved their dead. 
     And in southern Texas, Arizona, Kentucky, and Tennessee, native societies interred their dead in dry caves, 
     and hundred of these bodies escaped water and decay. Researchers and ranchers in the mesquite and 
     creosote desert of the Lower Pecos in Texas exhumed nearly 150 mummies from caves painted with 
     shamans, panthers, and snakes. » 
  
  
 
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