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Bonjour Monsieur Lottieri,
J'ai été très heureux d'apprendre qu'il y avait une
aile libertarienne dans le mouvement padaniste. J'ai trouvé la page
en anglais de votre compatriote Alberto Mingardi, Je ne connais pas assez le mouvement padaniste pour dire à quel point nos situations peuvent se comparer (au fait, on entend très peu parler de la Lega Nord et d'Umberto Bossi ces derniers temps), mais je vois certaines distinctions. D'abord, le ressentiment nationaliste ici est surtout culturel et linguistique et moins économique comme chez vous, il me semble. À l'intérieur du Canada, le Québec est dans une situation mitoyenne: ni pauvre comme les provinces Atlantique (notre Mezzogiorno à nous), ni riche comme l'Ontario ou l'Alberta. Le Québec est un bénéficiaire net depuis plusieurs années des transferts fédéraux des provinces riches vers les plus pauvres. Donc, sur ce plan, nous nous distinguons. Je dirais que c'est le couplage entre un sentiment minoritaire exacerbé par la propagande nationaliste (sept millions de francophones entourés de 300 millions d'anglophones en Amérique du Nord) et une confiance immodérée dans les vertus de l'État interventionniste qui sont le principal moteur du mouvement séparatiste. Nos séparatistes sont des socio-démocrates typiques. Ils se distinguent des nationalistes d'extrême-droite comme ceux du Vlaams Blok en Flandres (que je connais mieux, pour avoir passé une année à Gand) mais ressemblent plus à ceux de l'Écosse ou de la Catalogne. Il y a certainement une frange anti-anglaise et intolérante au sein du Parti québécois, mais on ne peut quand même pas dire qu'il s'agit d'un nationalisme raciste et xénophobe. Le Parti québécois a toujours été en faveur de l'immigration (dans la mesure évidemment où les immigrants s'intègrent à la société francophone, et non à la minorité anglophone comme auparavant) et les débats les plus chauds sur les questions linguistiques touchent des problèmes relativement mineurs comme l'affichage public. Un libertarien ne peut évidemment être d'accord avec ces restrictions linguistiques et d'autres mesures de protectionnisme culturel, mais ça n'a rien à voir avec les excès racistes du Vlaams Blok.
J'ai moi-même été séparatiste jusqu'à
il y a quelques années. J'ai publié en 1994 un essai,
Contrairement à chez vous, donc, l'ennemi n'est pas seulement le
gouvernement central, mais aussi – je dirais surtout – le gouvernement
provincial. Parmi mes collègues libertariens, certains considèrent
qu'Ottawa est un danger pour la liberté tout autant que Québec
et croient que la sécession de la province nous débarrasserait
au moins d'un État tyrannique sur deux. Mais je pense qu'il est
un peu naïf de voir les choses ainsi: le gouvernement d'un Québec
indépendant, investi de tous les pouvoirs, serait beaucoup plus
dangereux.
C'est pour cette raison que j'ai appelé, dans notre journal, à voter pour l'Action démocratique du Québec, un petit parti avec un seul député, son chef Mario Dumont, qui a tout de même obtenu 12% des voix. Il propose cette décentralisation radicale de la fédération canadienne – d'une façon irréaliste, il faut le dire, mais c'est un autre problème –, et est le seul à appuyer une diminution du rôle de l'État québécois – encore de façon incohérente, faut-il dire aussi. Mais au moins, nous sommes sur la bonne route: non pas un État plus fort aux dépens de l'autre, mais bien deux États plus faibles. Voilà, ça résume un peu le rapport entre les positions libertarienne et sécessionniste au Québec, tel que je le perçois. Je serais très intéressé à savoir comment vous vous situez. Le mouvement padaniste est-il aussi plutôt social-démocrate? Avez-vous une frange intolérante? Quelle est l'influence des libertariens? Pour ceux ici qui connaissent peu l'Italie dans toute sa complexité, il est difficile d'imaginer pourquoi une partie du pays voudrait se séparer du reste. Quelles sont les principales raisons qui motivent les padanistes? Il y a bien des choses à discuter, et il sera sûrement intéressant d'échanger sur toutes ces questions. À bientôt,
Martin Masse
Montréal
libre@colba.net
Cher Monsieur Masse, Je pense qu'il peut être effectivement intéressant de discuter ensemble de nos situations de libertariens qui vivent à l'intérieur de pays très fortement touchés par des processus de désagrégation et où ont lieu des débats très vifs sur la localisation des pouvoirs et sur le nouveau fédéralisme. Bien sûr, il y a des différences importantes entre la situation du Québec et celle de la Padanie. En premier lieu, il faut dire que si Autres différences: vous avez, en tant que libertariens, beaucoup de problèmes vis-à-vis du gouvernement provincial, tandis que nous n'avons (pratiquement) pas de vrais gouvernements locaux. L'Italie a été fabriquée à partir du modèle français, avec ses préfets et ses fonctionnaires... Même les problèmes linguistiques chez nous ne jouent pas le rôle qu'ils ont pris dans votre débat politique. Il est vrai que la langue Il y a donc beaucoup de différences entre la situation du Québec et celle de la Padanie. Et pourtant, il y a aussi des ressemblances. Je veux en identifier une en particulier. Les libertariens de Montréal et de Milan, en effet, doivent s'interroger sur une question que vous avez posée de manière très claire et à laquelle vous avez donné une réponse qui ne me semble pas convaincante. Vous avez dit que À cet égard, mon opinion est différente (même si je connais très peu votre réalité...) parce que la multiplication des États, à mon avis, doit être considérée comme un instrument formidable pour obtenir une réduction des pouvoirs étatistes. Les petits États sont – quasi obligatoirement – très libéraux. En Europe nous avons beaucoup d'exemples à cet égard: Monaco, Liechtenstein, Luxembourg, San Marino et même les cantons suisses nous montrent les bienfaits d'une concurrence internationale très forte. Les petits pays sont des paradis fiscaux (et aux alentours il n'y a que des enfers fiscaux), qui ont très peu de lois et un très haut niveau de vie. En plus, même s'il y a une différence tout à fait évidente entre le droit de sécession individuel revendiqué par les libertariens et le droit de sécession d'une région, d'une ville ou d'un groupe de personnes, mon opinion est que nous devons soutenir (de manière générale) tous ceux qui luttent pour sortir des actuelles casernes étatistes. En plus, nous devons demander aux sécessionnistes d'être cohérents. S'ils revendiquent le droit de divorcer des régions ou des peuples (qui n'existent pas...), ils ne peuvent pas le nier aux individus (qui existent de manière bien plus réelle). Les libertariens, en Padanie, sont quasi totalement favorables à la sécession du Nord du pays. L'influence du dernier Rothbard ( Nous avons perçu les désagrégations soviétique et yougoslave comme des phénomènes capables de marquer une époque, qui peut voir la fin de l'État à partir d'une multiplication des frontières (qui changent de nature et s'approchent de plus en plus à des lignes qui délimitent des propriétés condominiales). Sur ce sujet, un économiste libéral et néoclassique comme Tullock a dit des choses très intéressantes dans son livre sur Le rapport des libertariens padanistes avec la Ligue se base, alors, sur un commun choix pour la sécession. À partir de ça, il est évident que nous sommes en condition de voir toutes les limites du mouvement, mais nous ne pouvons pas ignorer que nous sommes complètement en syntonie avec son projet fondamental: l'indépendance du Nord. Notre groupe, il faut le dire, est un petit groupe (pour l'instant...), même si nos activités sont multiples et bruyantes et nos opinions (of course) provocantes. Mais les autres composantes culturelles de la Ligue nous respectent et dans le quotidien du mouvement, il y a souvent des textes libertariens. Pendant le mois de novembre, par exemple, j'ai écrit sur la une de La Padanie (le quotidien de la Ligue) des articles contre l'école publique, contre le projet étatiste de controler internet, contre la monnaie unique européenne et contre l'affirmative action. Notre but est d'influencer de plus en plus la culture politique du mouvement padaniste: une réalité politique qui est très difficile à comprendre et à expliquer. Si le PQ est social-démocrate et le Vlaams Blok raciste, à l'intérieur de la Ligue on peut trouver des discours et des sensibilités d'un type et de l'autre. Mais le ton général, à mon avis, reste libéral: d'un libéralisme (il est vrai) très modéré et pas du tout cohérent, mais qui a été capable – pour la première fois depuis longtemps – de proposer des solutions libérales qui ont obtenu un large succès électoral. Et de remettre en question l'État Providence (la Ligue critique toujours La Ligue lutte pour l'indépendance du Nord et pour réduire l'oppression fiscale. Elle est aussi opposée à l'immigration Malheureusement, une juste bataille est souvent combattue avec des mauvais arguments. Il y a des discours Et pourtant, la raison principale qui justifie le comportement électoral de ceux qui votent pour la Ligue est à retrouver dans le refus de la réglementation et de la fiscalité qui oppriment les petites et moyennes entreprises qui ont fait la richesse de mon pays. La Padanie, pour les sécessionnistes, est l'espoir de libérer les gens du Nord et de restaurer leurs droits fondamentaux. En vous remerciant de votre attention, je vous prie d'agréer, encore une fois, mes compliments pour votre journal. Carlo Lottieri
Brescia
lottieri@iol.it
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