Montréal, le 6 février 1999
Numéro 30
 
(page 7) 
 
 
page précédente 
            Vos réactions         
 
 
 
 
 
 
 
     « The significant problems we face cannot be solved at the same level of thinking we were at when we created them. »
 
Einstein
  
 
 
 
BILLET
  
SOYONS RAISONNABLES
  
par Brigitte Pellerin
   
  
          Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais il y a définitivement des choses que je n'arrive pas à comprendre. Rien à faire, je pourrais pratiquer pendant mille ans que ça n'y changerait rien; ça ne rentre pas.                        
  
          Ces jours-ci, les nouvelles discutent, entre autres choses, des négociations (encore!) dans le secteur public. Front commun intersyndical, l'invincible président de la CSN en tête, suivi par toute la bande de joyeux lurons en route pour la Colline parlementaire, un attaché-case bien neuf à la main. Eh! que ça brille, le cuir vierge.  
  
          Ce qu'il y a de bien, avec ce rituel, c'est la ressemblance avec les parades de la Saint-Jean; quand t'en as vu une, tu les as toutes vues. Quelques fois, les personnages changent; mais la plupart du temps, c'est bonnet blanc, blanc bonnet.  
  
          Sauf pour les nouveaux dentiers de Madame Pagé. Pardonnez l'incursion dans la vie privée d'un personnage public, je sais bien que ce n'est pas poli – et certainement pas très élégant. Mais je me demandais tellement ce qu'elle avait de changé... 
 
 
Autopsie d'un commentaire 
  
          Toujours est-il qu'en écoutant distraitement les nouvelles, l'autre matin, j'entends dire qu'il y aurait pagaille en la demeure. Ah oui? Quelque chose d'intéressant? Yé!  
  
          Peut-être bien. Figurez-vous qu'on se passait la patate chaude entre le président du Conseil du trésor, le premier ministre lui-même-en-personne et le toujours très sérieux ministre des Finances, l'éternel numéro 2, j'ai nommé Bernard Landry. En fait, la patate chaude, c'était lui.  
  
          Savez ce qu'il avait osé faire? Ouhhh, le vilain pas fin. Il a émis le commentaire suivant, à propos des demandes de la CEQ concernant l'équité salariale (oh non, je ne vais pas entrer dans ces détails-là – je ne le mentionne qu'en passant, histoire de vous mettre dans le contexte); que ces demandes, donc, étaient « déraisonnables » 
  
          Ouache, quel gros mot. Pensez-y: DÉRAISONNABLE. Comme dans « qui n'est pas raisonnable », dixit Le petit Robert. Un tel commentaire était plus que suffisant pour défaire les brushings de nos commentateurs parlementaires attitrés; c'était assez newsy pour faire frétiller les fils de presse.  
  
          Comme quoi, plus on y pense, n'importe quoi peut faire l'affaire quand il s'agit de nous sortir de notre torpeur habituelle. Anything goes. M'enfin.  
  
          Bref, c'est que ça foire, madame la marquise. Panique, désarroi, colère et indignation. Tout le bataclan. Mme Pagé qui sort de ses gonds, suggérant au ministre de s'inscrire au cours d'équité 101 (que c'est drôle...); parce qu'évidemment, on ne peut expliquer de tels propos que par une incompréhension crasse du dossier-en-question.  
  
          Heille.  
  
          Est-il besoin de vous dire que messieurs Léonard et Bouchard se sont empressés de s'en dissocier? My goodness, c'était une véritable course à qui serait le plus efficace à distancer Landry. Comme si ce dernier était contagieux, comme si ça sautait sur le bon monde, cette bibitte-là.  
  
Bémol bien officiel 
  
          Mais je ne vous ai pas raconté l'histoire comme il faut. La vérité, c'est que j'ai attrapé le bulletin de nouvelles avec un léger décalage, ce qui fait que lorsque je suis arrivée, je n'ai entendu que les démentis officiels. J'en sautillais d'excitation: « mais veux-tu ben me dire ce qui se passe, nom d'un petit bonhomme? »                  
  
          C'est en feuilletant les journaux que j'ai compris. Et c'est là que j'ai réalisé un truc: les syndicats, au PQ, ça s'appelle PAS TOUCHE. OK, la nouvelle ne jette personne sur le cul, je sais, mais quand même...  
  
          C'est grave à ce point, d'oser leur dire qu'ils en demandent un peu trop? C'est à ce point anti-quelque chose? Quoi, anti-démocratique, peut-être? Anti-syndical, anti-social-démocrate, anti-négociations, pro-arbitraire, archi-néolibéral?  
  
          Réalisez-vous qu'on a un petit problème, ici? C'est rendu que le ministre des Finances ne peut plus émettre un commentaire – somme toute sans grande importance – sans que les gros canons du gouvernement sortent en conférence de presse pour y mettre un bémol bien officiel.  
  
          Il n'est pas exagéré de parler de maniaco-censure, de pensée officielle, de petit catéchisme des relations gouvernement-centrales syndicales. « La limite est ici, bonhomme, et t'es mieux de ne pas la dépasser. Sinon, on t'isole dans ton coin et tu pourras toujours ramer pour te sortir du pétrin. »  
  
          Pas à dire, ça commence à sonner drôlement république de bananes leur affaire. 
 
 
 
Articles précédents de Brigitte Pellerin
 
 
 
sommaire
PRÉSENT NUMÉRO
 page suivante