Montréal, le 20 février 1999
Numéro 31
 
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OPINION
 
L'ARTISTE ET L'ILLUSION PROLÉTARIENNE
  
par Yvan Petitclerc*
  
  
          Dans son ouvrage Le Mot Peint publié dans les années 1970, l'auteur américain Tom Wolfe dénonçait déjà l'attitude d'un certain milieu artistique consistant à s'opposer puérilement aux pouvoirs établis pour mieux en tirer profit par la suite.  
  
          De nos jours, le Québec ne se caractérise plus vraiment par cette attitude. Mais bien plutôt par son complément obligé. Soit une méconnaissance fort répandue des origines bien peu prolétariennes de plusieurs des plus grands noms de l'histoire culturelle. Et ce même en remontant passablement loin dans le temps. 
  
          Geoffrey Chaucer, né au milieu du quatorzième siècle et auteur des célèbres Canterburry Tales, provenait d'une riche famille londonienne de marchands de vin. Henry James né en 1843 évolua au milieu de l'intelligentsia de la Nouvelle-Angleterre. Son père, Henry James Sr était un homme de lettres qui eut pour ami le poète et écrivain Ralph Waldo Emerson. I.M. Pei, architecte de la pyramide du Louvre (NDLR: et, plus près de chez nous, de la Place Ville-Marie à Montréal), est aussi le concepteur du siège social de la Banque de Chine à Hong Kong. Son père présida aux destinées de cette banque dans les années 1920.  
 
 
          L'auteure Nathalie Clifford Barney qui vécut à Washington évolua dans les cercles sociaux et diplomatiques les plus élevés. L'auteur du célèbre roman Moby Dick Herman Melville, est né au début du dix-neuvième siècle d'une famille new-yorkaise distinguée et prospère. L'écrivain et poète James Merrill né en 1926 a eu pour père le courtier fondateur de la firme Merrill Lynch. Michel-Ange était fils d'un magistrat. Quant à Marcel Proust, il était le fils d'une mère juive très instruite et d'un distingué professeur d'hygiène. On pourrait poursuivre encore longtemps. De Visconti à Getrude Stein dernière-née d'une prospère famille d'origine juive-allemande en passant par Gore Vidal petit fils d'un sénateur américain. 
  
Alliance mythique de gauche 
  
          Résultat de cette méconnaissance si répandue? La persistance dans un certain monde artistique engagé de la grande alliance mythique de gauche des « marginaux et des exclus ». Comme si le fait d'être un artiste gai par exemple devrait nécessairement faire de cette personne un supporteur de Greenpeace, ou que le fait d'être un membre d'une minorité visible faisait nécessairement de cet autre un allié « naturel » de la cause des femmes. On sait pourtant qu'il n'en est rien dans les faits. Par exemple, aux États-Unis, le pourcentage de gens opposés aux droits des gais sera plus élevé chez les membres des minorités visibles que chez les autres.  
  
          Autre exemple: alors qu'ici un discours féministe continue d'associer systématiquement certaines personnes sous des regroupements tels « Les femmes et les minorités dans les disciplines scientifiques », nombre d'hommes membres de ces mêmes minoritées sont à des milles, voire même complètement sourds à l'agenda féministe de celles qui prétendent partager avec eux « une oppression commune » 
  
          Évidemmment cette conception illusoire d'alliances ou d'affinités soi-disant « naturelles » du monde de l'activisme social, a aussi sa répercussion sur la conception de ce que serait supposément une « programmation dite culturelle » 
  
          Récemmment par exemple, la société Radio-Canada s'inquiétait de ce que sa part de l'auditoire ait décliné au profit de la nouvelle station Radio-Classique. Mais comme l'expliquait lui-même Jean-Pierre Coallier, propriétaire de cette station, le problème se trouve ailleurs. Avec un mandat reposant sur une conception dépassée d'un auditoire culturel, la chaîne de Radio-Canada doit constamment reconstruire son auditoire d'une demie-heure à l'autre. Comme quoi là-aussi, ce n'est pas parce qu'on aime la musique classique que l'on aime nécessairement l'art contemporain. Comme ce n'est pas non plus parce qu'on aime le théâtre que l'on aimera le nouveau roman, le post-structuralisme ou la musique actuelle. 
 
 
* Yvan Petitclerc est historien et habite Montréal.
  
 
  
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