Montréal, le 6 mars 1999
Numéro 32
 
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     « I don't have any solution, but I certainly admire the problem. »   
 
Ashleigh Brilliant
  Berkeley street philosopher
 
 
 
 
 
 
 
 
 
BILLET
  
SUR LES DANGERS
DE L'HIVER
  
par Brigitte Pellerin
   
   
          Pas à dire, on est dur de comprenure. Malgré les poètes et paroliers échevelés qui nous le rabâchent sans arrêt, et en dépit du plus élémentaire Gros Bon Sens, on est toujours aussi nouille.  
  
          Petit quiz d'histoire: ça fait combien de temps qu'au Québec, entre les mois de novembre et avril (les bonnes années), c'est l'hiver? Fouillez bien dans vos souvenirs et tentez, pour une fois, d'avoir une bonne réponse.  
  
          Oui, c'est ça! Depuis toujours. Bravo, deux morceaux de robot.  
  
          Tout le monde le sait, il y a même des touristes qui paient le gros prix pour venir se les geler en voyages organisés (c'est le cas de le dire) dans nos contrées, des cartes postales éblouissantes de cette blancheur virginale qu'on appelle, dans les pays où il n'y en a pas, la magnifique, la magique, la toute-belle neige. 
  
          Mais malgré tout ça, chaque année, c'est la même chose. Et chaque année, ça m'ébouriffe sérieusement le toupet. Et je suis là, ahurie devant les bulletins de nouvelles, dodelinant de la caboche; je ne pige pas.  
  
          Eh zut, c'est pourtant pas si compliqué, il me semble. 
 
 
La toute-belle neige fauche des vies 
  
          Chaque saison, il y a quelques dizaines de Jacques Villeneuve en devenir qui se tuent en ski-doos (haute vitesse et/ou alcool, en pleine nuit dans le fin-fond des bois, que voulez-vous qu'il arrive d'autre? Ben oui, ils finissent par se planter dans un arbre), d'autres bozos qui se cassent la gueule en essayant d'escalader le pain de sucre des chutes Montmorency, et d'autres encore –  malheureusement cette année, il s'agit d'enfants – qui se noient lorsque la glace du fleuve ou du lac des Deux-montagnes cède sous leur poids.  
  
          Ben oui. L'hiver, c'est dangereux. Il faudrait peut-être finir par assimiler l'information.  
  
          Mais non. Nos enquêteurs professionnels reviennent, encore une fois, à la charge. S'ennuyant sans doute de leurs rondes de golf, ces juges et fonctionnaires à la retraite poussent, en coulisses, l'idée de tenir des audiences publiques sur les dangers de la motoneige et de resserrer une fois de plus la réglementation. Pourquoi pas, un coup parti, une Commission Royale d'enquête sur les causes des grands froids? Ou une Commission rogatoire sur les méfaits de la slush accumulée aux coins des rues, quand un *&#@ de conducteur insouciant roule dedans, m'aspergeant du mélange sans le moindre remords?  
  
          C'est donc de valeur qu'il ne leur vienne pas à l'esprit de botter sérieusement le derrière au syndicat des « bleus » de Montréal pour être allés tranquillement déjeuner en toute solidarité l'autre matin quand la ville était enrobée d'une gentille couche de glace et que les autobus glissaient dangereusement le long de la Côte Sainte-Catherine.  
  
          Mais je m'égare.  
  
Les risques de la sursensibilisation  
  
          La goutte qui a fait déborder le vase, cette année, c'est l'entrevue qu'a accordée l'héroïque policier – celui qui n'a pas hésité à plonger dans le fleuve pour sauver un petit garçon d'une noyade certaine – entrevue, donc, au réseau LCN. C'était suite au décès de deux autres enfants, emportés par les forts courants du même fleuve, à l'autre bout de l'île.  
  
          Le policier se désolait du fait que les gens ne soient pas assez « sensibilisés » aux dangers qui menacent quiconque s'aventure sur des glaces incertaines quand la température frôle le point de congélation pendant plusieurs jours d'affilée. Il insistait sur le besoin d'information et de « sensibilisation » (je resouligne, parce qu'il a répété ce mot je ne sais plus combien de fois), afin que de telles tragédies soient évitées à l'avenir.  
  
          Petite précision avant de me faire (encore) accuser de manquer de compassion. Oui, c'est une affreuse tragédie, un drame horrible que vivent les familles de ces enfants. Et je peux comprendre que des gens affligés d'une telle douleur tentent de trouver des responsables.  
  
          Ce que je refuse d'admettre cependant, c'est que les autorités embarquent là-dedans, entraînant la masse apathique des abonnés des journaux à sensations dans leurs fabulations.  
  
          J'ai beau retourner la situation dans tous les sens, je n'arrive pas à m'y retrouver. Ce n'est pas aux autorités publiques à nous prendre par la main et à nous indiquer les endroits où la glace peut être dangereuse. Et on ne va pas déboiser la province pour que les fous de la vitesse se rentrent dedans en face-à-face au lieu d'aller embrasser les sapins.  
  
          La meilleure façon d'éviter d'être emporté par les courants glacés, c'est de rester sagement sur le plancher des vaches. Point. Et les motoneigistes prudents vous diront que c'est bien plus safe d'éviter les sentiers les soirs de fin de semaine; de la même façon qu'il est plus prudent de se promener le moins possible le samedi soir sur les routes de campagne mal éclairées.  
  
          Si vous ne le saviez pas, vous venez de l'apprendre. Et maintenant que vous le savez, prenez-vous en mains et cessez de confier votre sécurité et celle de votre famille aux pouvoirs publics. Ça nous éviterait bien des débats inutiles.  
 
 
 
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