Montréal, le 20 mars 1999
Numéro 33
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
L'IMPÔT À TAUX FIXE
  
par Martin Masse
 
  
          Dans un monde de plus en plus interdépendant, les politiques socialistes et dirigistes se heurtent rapidement à un mur. Au début des années 1980, le nouveau gouvernement socialiste de François Mitterrand avait mis deux ans avant de se rendre compte que ses politiques idiotes de relance économique par des nationalisations, des contrôles et des dépenses massives menaient à la catastrophe.  
  
          La démission du ministre allemand des Finances, Oskar Lafontaine, quelques mois à peine après son entrée en fonction, montre que les choses évoluent maintenant plus vite. Ses tentatives de résoudre les problèmes de l'économie allemande par les mêmes mesures néo-keynésiennes archaïques ont rapidement mené à une levée de boucliers, aussi bien à l'intérieur du pays qu'ailleurs en Europe, et cela malgré le fait que treize pays de l'Union européenne sur quinze sont dirigés par des gouvernements de gauche. La hausse subite du cours de l'euro dès l'annonce de son départ a marqué de façon éclatante la satisfaction des marchés. 
  
          Dieu merci, le Québec n'est pas isolé au milieu de l'Atlantique! La mobilité, aussi bien des personnes que des produits et du capital, est encore plus grande en Amérique du Nord. La compétition des territoires voisins, tout comme la pression des marchés financiers qui nous prêtent de l'argent ou des investisseurs étrangers qui font des affaires ici, comptent autant que le pleurnichage des groupes de pression dans les calculs des politiciens.  
  
          Ce n'est donc pas une révolte des contribuables d'ici qui menace de plus en plus l'appétit vorace de l'État québécois et qui forcera le gouvernement péquiste à suivre tôt ou tard une cure d'amaigrissement, mais plutôt le fait que notre économie est intégrée à celle du reste du continent. Nous ne pourrons nous permettre longtemps de faire bande à part alors que d'autres gouvernements baissent les taxes et les impôts. Si les voisins ont des politiques efficaces qui mènent à une réduction de leur chômage et de leurs dettes, et à une hausse de leur productivité et de leur pouvoir d'attraction, il sera difficile de poursuivre dans une direction contraire. 
  
          Cela démontre bien sûr l'échec partiel de la démocratie québécoise. Mais c'est un avantage de l'économie de marché que sa discipline ne dépend pas de l'approbation des majorités: qu'on aime ça ou non, on ne peut pas bénéficier de ses avantages et de la prospérité qu'elle apporte sans se conformer à ses règles élémentaires. 
 
 
L'exemple albertain 
  
          Au niveau fédéral, le gouvernement Chrétien est constamment sur la sellette depuis la décision de Paul Martin de reporter à plus tard des baisses substantielles d'impôt, alors que les États-Unis ne cessent de nous devancer sur tous les indicateurs économiques. Au niveau provincial, le ministre des Finances Bernard Landry n'a lui non plus rien présenté de nouveau. Le premier budget équilibré depuis 40 ans n'est pas le reflet d'une gestion plus serrée, mais plutôt le résultat de revenus fiscaux et de transferts fédéraux plus élevés. Le gouvernement Bouchard a toutefois pour le moment la vie plus facile – l'Opposition libérale n'a pas grand-chose à dire, comme d'habitude, puisque les libéraux sont les frères jumeaux des péquistes sur ces questions économiques. Ce qui ne veut pas dire que le débat va en rester là: ailleurs autour de nous, ça bouge. 
  
          Deux jours après son collègue Landry, le trésorier conservateur de l'Alberta Stockwell Day déposait lui aussi son budget. En présentant un ambitieux plan de réforme du système de taxation dans sa province, il a renforcé sa crédibilité auprès de ceux qui le voient comme un candidat potentiel à la chefferie du nouveau parti qui succédera au Parti réformiste, si le projet d'Alternative unie suit son cours. Si ce plan entre en vigueur comme prévu en 2002-03, l'Alberta deviendra la première province canadienne à adopter un taux d'imposition universel en remplacement de l'échelle à taux gradués qui existe en ce moment.  
  
          L'impôt à taux fixe, ou flat tax en anglais, a été popularisé il y a trois ans, lorsque l'homme d'affaires Steve Forbes en a fait son cheval de bataille pendant sa campagne pour obtenir l'investiture républicaine dans la course à la présidence des États-Unis (ce qu'il tentera de faire de nouveau cette année). Le congressiste Dick Armey en avait aussi fait la promotion dans les années précédentes, en se basant sur un modèle développé par les économistes Robert Hall et Alvin Rabushka de l'Université Stanford. L'idée est simple – et c'est justement son plus grand avantage: au lieu de payer une proportion de plus en plus élevée de son salaire en impôt à mesure que ses revenus augmentent, à cause de taux d'imposition marginaux très élevés, le contribuable paie toujours la même proportion. Un seul taux d'imposition remplace l'échelle de trois, cinq, ou plus qui caractérise les systèmes d'imposition en vigueur partout aujourd'hui. Ce taux universel s'applique, comme maintenant, uniquement à un montant qui dépasse l'exemption de base, c'est-à-dire un revenu minimal qui n'est pas imposable. En Alberta, le plan de Stockwell Day prévoit ainsi un taux fixe de 11% qui s'appliquerait sur tout revenu excédant 11 620 $ (avec des exemptions additionnelles pour le conjoint et les enfants à charge). 
  
Encore un gain pour les riches? 
  
          À première vue, un tel système semble favoriser les plus riches, qui n'auront plus à payer des taux faramineux atteignant facilement 50%. En effet, les riches y gagneront, et on ne devrait pas s'en scandaliser. Ce sont eux qui paient déjà une partie disproportionnée des taxes, et un système d'imposition plus simple et moins vorace leur sera aussi favorable. 
  
          D'abord, sur le plan éthique, le redistributionnisme délirant qui découle des politiques actuelles n'a tout simplement pas de justification, sauf d'un point de vue socialiste où l'égalité forcée est le but à atteindre. Dans une société libre, c'est la valeur sur le marché de ce qu'on a à offrir comme produits ou comme compétences (c'est-à-dire la valeur que les demandeurs sont prêts à accorder) qui détermine ce qu'on obtiendra comme revenu. Ceux qui réussissent à obtenir des revenus plus élevés par leur ingénuité, leurs efforts, leur flair, leur chance, les risques qu'ils prennent, leurs investissements dans leur éducation et leurs compétences, leurs valeurs centrées sur le travail et l'épargne plutôt que sur les loisirs et les dépenses, etc., ne reçoivent que ce qui leur revient et devraient pouvoir en garder une même proportion que les autres. 
  
          Ensuite, les taux d'imposition marginaux élevés ne désavantagent pas seulement les riches, mais constituent un désincitatif au travail pour tout le monde. Qui ne s'est pas déjà dit qu'il ne valait pas grand-chose de travailler plus fort, plus longtemps, de viser plus haut, parce que le gouvernement allait de toute façon manger tout ce qu'on allait gagner de plus? Les impôts élevés découragent les investissements, font fuir les travailleurs les plus compétents vers des pâturages plus verts, et incitent à recourir au travail au noir et au marché noir. Au bout du compte, le gouvernement ne récolte pas plus d'argent, parce que ses mesures fiscales s'appliquent à une économie moins productive. 
  
Des gains pour tout le monde 
  
          Cela étant dit, l'impôt à taux fixe contient malgré tout une certaine dose minimale de « progressivité », c'est-à-dire qu'il continue à favoriser proportionnellement ceux qui gagnent moins, à cause de l'exemption de base. En Alberta, on calcule que 78 000 familles à faible revenu ne paieront plus d'impôt à la suite d'une hausse de ce montant d'exemption. Et évidemment, ceux dont le salaire dépasse à peine l'exemption de base ne paieront pas 11%, mais plutôt 1 ou 2% de leur revenu total en impôt. Le 11% ne s'applique que sur les montants qui dépassent l'exemption de base. Donc, plus le salaire augmente, plus l'imposition sur le revenu total se rapprochera de ce 11%, sans toutefois jamais le dépasser.  
  
          Ce sont les classes moyennes qui y gagnent proportionnellement le moins dans ce nouveau régime et qui constituent en théorie le principal obstacle politique à un tel changement. Les hausses d'impôt sont toujours impopulaires, mais l'instauration d'un impôt à taux fixe pourrait difficilement se faire au détriment du groupe qui possède le poids électoral le plus important. C'est pourquoi elle doit absolument avoir lieu en même temps qu'une baisse générale des impôts, de telle façon que tout le monde se retrouve à payer moins d'impôt, certains plus et d'autres moins, mais chacun y trouve tout de même son compte. C'est ce que Stockwell Day propose, avec des coupures qui totaliseront plusieurs centaines de millions par année lorsqu'elles entreront en vigueur.  
  
          La simplification du système d'imposition permettra à tout le monde de gagner d'une autre façon. Les contribuables doivent dépenser des sommes énormes chaque année en frais de comptabilité pour remplir leurs déclarations de revenus. La ministre Dionne-Marsolais a beau déclarer, dans l'émission de propagande qu'on voit constamment ces jours-ci à la télévision communautaire, que le système a été « simplifié » cette année (comme l'année dernière, et l'année d'avant...), remplir cette paperasse est devenu une corvée horriblement compliquée et l'on prend un risque en le faisant soi-même. Le régime d'imposition est en fait devenu un autre instrument de social engineering, dont le gouvernement se sert pour intervenir un peu partout. Une petite déduction fiscale pour cette bonne cause, un crédit d'impôt pour ce groupe de chialeux, une exemption supplémentaire pour aider ce groupe défavorisé, des charges fiscales accrues pour décourager ce type d'investissement: à chaque budget, les règles changent pour s'adapter à la mode interventionniste du jour.                
  
          Ironiquement, ce sont les gens à faible revenu qui sont le plus touchés par ces complications. Les riches, eux, ont les moyens de se payer les comptables, avocats et courtiers qui pourront trouver des façons de contourner ces règles irrationnelles et payer le moins d'impôt possible. L'impôt à taux fixe élimine cet enchevêtrement fiscal. Idéalement, une déclaration de revenu peut alors se remplir sur un bout de papier: les revenus totaux moins le montant d'exemption de base (moins, possiblement, une déduction pour les dons de charité – toutes les autres formes de déduction et d'exemption sont éliminées), ce qui donne le revenu imposable auquel on applique la taxe. Un petit calcul que n'importe qui peut faire en quelques minutes. Imaginez le temps et l'argent économisés! Il se formera probablement un lobby de comptables et de fiscalistes pour déplorer les pertes d'emplois dans leur secteur à la suite d'une telle simplification; mais pourquoi les contribuables devraient-ils entretenir un secteur d'activité parasitique qui ne crée aucune richesse et qui n'existe qu'à cause de la stupidité de nos gouvernants? 
  
La pression monte 
  
          L'impôt à taux fixe proposé par Stockwell Day ne peut avoir que des effets positifs, ce qui avantagera encore plus la province déjà la plus dynamique et où les citoyens sont les plus libres et les moins taxés au pays. Dans quelques années, la pression venant de cet exemple positif n'en sera que plus grande sur les autres provinces moins avant-gardistes. Et ce n'est pas tout. En Colombie-Britannique, les jours du gouvernement socialiste de Glen Clark, qui croule sous les scandales et les effets de sa gestion désastreuse de l'économie, sont comptés. On peut s'attendre à ce que le prochain gouvernement instaure des mesures similaires de réduction d'impôt. Chez nos voisins ontariens, Mike Harris a déjà réduit les impôts de 30% comme il avait promis, et il serait surprenant qu'on assiste à un renversement majeur même si les conservateurs ne sont pas réélus lors des élections qui s'en viennent. Par ailleurs, l'avantage des Américains reste le même et ne pourra aller qu'en grandissant. 
  
          Bref, après des décennies pendant lesquelles les gouvernements se faisaient concurrence pour mettre en place les « meilleurs » services, les programmes sociaux les plus complets, les interventions les plus ingénieuses dans l'économie, les projets d'investissement les plus ambitieux, la tendance semble enfin renversée. La lutte la plus intéressante se fait maintenant entre les plus rapides à éliminer les déficits, à réduire le fardeau de la dette, à baisser les impôts. Le mouvement ne fait que s'enclencher, et n'a pas encore donné de résultats faramineux. Mais le cercle vicieux de l'endettement est maintenant brisé, et le cercle vertueux découlant d'un économie plus libre et de gouvernements moins envahissants s'est mis à tourner. Nous sommes, espérons-le, à un tournant en Amérique du Nord. 
  
          Les gouvernements fédéral et provincial pourront-ils longtemps rester à l'écart et reporter les changements toujours à plus tard? À Ottawa, le sort du Parti réformiste (qui a déjà dans son programme une proposition d'impôt à taux fixe) et du projet d'Alternative unie sera sans doute déterminant. À Québec, la seule chose qui est flat pour le moment est la ligne de l'électro-encéphalogramme du gouvernement péquiste. Mais il en coûtera de plus en plus cher de gérer la distinction québécoise. Tôt ou tard, l'exemple de nos voisins aura son effet ici aussi. 
 
 
 
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L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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