Montréal,
le 20 mars 1999 |
Numéro
33
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Vos
réactions
«
L'État c'est cette grande fiction à travers laquelle
tout le monde s'efforce de vivre au dépens de tout le monde.
»
Frédéric
Bastiat
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BILLET
UN TANTINET À CÔTÉ
DE LA COCHE
par Brigitte Pellerin
C'est bien connu, à force de traîner dans des endroits louches,
on finit forcément par choper quelque chose.
Prenez moi, par exemple. C'est fou le temps que je passe à déambuler
le long des couloirs poussiéreux, des étagères croulantes
sous un poids incroyable, dans les dédales mal éclairés
de mes pouvoyeurs attitrés (c'est pour la rime). Je renifle, tâte,
inspecte la qualité de la marchandise. Parfois aussi je me laisse
tenter par quelque chose de nouveau, qui n'a pas l'air bien populaire,
mais qui, sait-on jamais, peut m'apporter quelques instants de bonheur.
Quelques fois aussi je me paie le luxe d'acheter du first-class.
Ça dépend si j'en ai vraiment, mais alors là vraiment
envie. Parfois, il faut savoir mettre le prix pour obtenir un peu de qualité.
C'est l'autre soir, par hasard, que
j'ai mis la patte sur un petit bouquin qui, à première vue,
ne paie pas de mine. Le titre c'est Des idées pour le Québec,
écrit par Alain Bonnin et publié l'année dernière
aux Éditions Carte Blanche. |
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Découverte rafraîchissante
À première vue, donc, ne paie pas de mine disais-je. Ouais.
Qu'à cela ne tienne, je l'enfouis tout de même dans mon baluchon.
Il faut savoir prendre des risques, dans la vie.
Je me mets à feuilleter distraitement... l'emploi, les finances
publiques, l'éducation, la Charte des droits (quessé?), la
santé. Me dirige instictivement vers l'emploi, premières
amours obligent. Qu'y trouvé-je?
Hé! Pas si mal! Des constatations qui ont de l'allure, pas mal d'allure.
Comme par exemple que les conventions collectives, avec leurs règles
absurdes (surtout la promotion à l'ancienneté et le cloisonnement
archi-maniaque des tâches), l'article 45 du Code du travail (celui
qui empêche la sous-traitance), les obstacles au licenciement; toutes
ces choses, dont on entend habituellement dire qu'elles vont dans le sens
du maintien de l'emploi, contribuent en fait à nous enfoncer plus
profondément encore dans le chômage.
Cool.
M. Bonnin rappelle à notre mémoire que lorsqu'il
est trop difficile pour un employeur de diriger son entreprise selon les
règles communes au gros bon sens, forcément, on finit par
l'écoeurer un max et devinez quoi? Ben oui, il fiche le camp, et
les emplois avec.
Bon d'accord, je paraphrase un peu. Ne l'appelez pas pour l'engueuler.
Écrivez-moi plutôt, que je rigole un brin.
Là où je voulais en venir, c'est que le petit livre en question
(150 pages à vue de nez) contient plusieurs observations bien sensées
sur les grands malheurs qui nous affligent... Des enfants qui reçoivent
une éducation – ahem – ordinaire, une Charte des droits qui protège
surtout les criminels, un système de santé qui n'en finit
plus de dégringoler en mettant la vie du bon monde en péril,
des méthodes de gestion qui n'incitent pas à l'innovation
et qui, nous condamnant à la stagnation, nous font en réalité
reculer – c'est sûr: ceux qui ne bougent pas finissent en dernière
position dans un monde où tous les autres concurrents avancent.
Bref, ce n'est rien de bien nouveau sous le soleil, mais ça fait
toujours du bien de le lire, en noir sur blanc, sur un paquet de feuilles
reliées; le tout vendu en librairie. C'est rafraîchissant,
pour reprendre une expression cuculturelle. Et probablement que ça
risque d'être utile aux soccer-moms regorgeant de bonne volonté
qui peuplent nos banlieues bien proprettes.
Mais bon, c'est à peu près tout.
Là où ça se gâte
Ce qui me chipote, c'est d'abord qu'on y parle toujours en termes de «
nous ». Il y aurait un calcul intéressant à
y faire sur l'emploi répétitif de cette pauvre première
personne du pluriel. L'impression lourde que toutes les solutions avancées
(parmi lesquelles plusieurs bonnes idées, comme le ticket modérateur
en santé et la concurrence permise à peu près partout),
doivent automatiquement passer par l'assentiment global de la «
société ». Ce qui, évidemment, me fait
toujours un peu grincer des dents.
Je suis contre les « projets de société
» et autres « contrats sociaux »,
pour une raison toute simple: je n'y crois juste pas. Ces machins-là,
ça ne marchera jamais.
Plus on est de monde à essayer de se mettre d'accord sur quelque
chose, moins le résultat est significatif, et plus on a de chances
de se ramasser avec des phrases pleines de bonnes intentions mais qui finiront,
comme les autres, par ne rien donner. Vous penserez à remercier
la loi du plus bas commun dénominateur.
Tout le monde il est contre le mal et pour la vertu.
Sans compter que, comme disait Einstein, pour solutionner un problème,
il faut éviter de penser de la même manière que lorsqu'on
l'a créé. Et comme la plupart des bobos québécois
sont dûs à cette manie collectiviste, faudrait bien finir
un jour par consentir à changer de disque.
Ensuite, je trouve que c'est bien dommage qu'un petit bouquin comme celui-là
ne pose pas la question de l'omniprésence de l'État dans
nos petites vies bien à nous. Parce que, voyez-vous, tous les problèmes
que M. Bonnin soulève ont certainement pour cause (à
des degrés variables, mais quand même) l'hyperactivité
étatique. Plus l'État se met en tête de pondre des
« programmes universels », plus la
possibilité est grande pour ceux qui désirent parasiter de
s'adonner à leur activité favorite, aux frais des totons
de contribuables. Pensez au bien-être social et à l'assurance-emploi,
si ça peut aider à vous convaincre.
Alors pour faire une histoire courte, disons que c'est une tentative honorable,
mais qui, à mon humble avis, ne cogne pas sur les bons clous. M'enfin,
si ça peut en réveiller deux ou trois douzaines, ce sera
déjà ça...
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