Montréal, le 4 avril 1999
Numéro 34
 
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.      
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
ÉDITORIAL
  
MONTRÉAL: UNE ÎLE,
UNE MÉGABUREAUCRATIE?
  
par Martin Masse
 
  
          La fièvre des fusions s'est emparée de l'esprit de nombreux Montréalais ces derniers jours. Le débat sur l'avenir de la région métropolitaine a en effet repris de plus belle depuis le coulage d'un rapport sur la fiscalité municipale, qui proposerait de fusionner les 29 municipalités de l'île de Montréal à l'intérieur de trois grandes villes. La ville de Montréal, qui comprend un peu plus de la moitié de la population de l'île, se plaint depuis des années d'être défavorisée sur le plan fiscal par rapport aux banlieues, qui n'ont pas à supporter les infrastructures d'une ville centre tout en profitant de ses avantages. 
  
          Le débat dure en fait depuis plus de trente ans et on en revient toujours au seul modèle alternatif simple et logique lancé par le maire Jean Drapeau à la fin des années 1960: celui d'« une île, une ville ». Simple et logique en surface seulement, car en fait sa mise en oeuvre serait une catastrophe à tous égards pour la métropole. 
  
Mégalopole = Mégalomane 
  
          Ce n'est pas un hasard si ce concept a d'abord surgi dans la tête d'un maire autoritaire aux idées de grandeur. Une bonne partie de l'attrait du projet vient en effet du « prestige » qui jaillirait supposément sur une « mégacité à dimension internationale », comme nous l'expliquent les jet-setters potentiels qui en profiteraient. Une telle fusion forcée a eu lieu récemment à Toronto, où les nouveaux riches de l'élite locale souffrent d'un complexe d'infériorité par rapport aux villes plus sophistiquées du continent. Avec la fusion, ils ont finalement eu leur « world class city » et cela malgré l'opposition d'une majorité de leurs concitoyens. 
  
          Non seulement les mégalomanes et les jet-setters branchés, mais aussi tout ce que la région de Montréal compte de nationalo-gauchistes voit d'un bon oeil une telle fusion. Le fait que les banlieues en général, et celle du West Island en particulier, soient beaucoup plus riches que les vieux quartiers de la ville centre en énerve plusieurs. Avec une seule ville, il serait tellement plus facile « d'étaler le fardeau fiscal », c'est-à-dire de siphonner la richesse des quartiers riches pour entretenir les autres.
 
 
          Ce n'est pas pour rien si l'un des défenseurs du projet de ville unique, un politologue du nom de Michel Magnant qui a signé une série d'articles dans La Presse, dénonçait la recommandation du rapport sur la fiscalité comme favorisant le West Island. Comparant les richesses foncières des villes de l'ouest, du centre et de l'est qui surgiraient de ce modèle, il déplore que « la ville de l'ouest serait trois fois plus riche que sa consoeur de l'est, près de 65% plus peuplée et 50% plus riche per capita. Deux extrêmes urbains, deux extrêmes de richesse. » 
  
          Mon Dieu, quelle horreur!, il y a des quartiers riches et d'autres pauvres à Montréal! On se demande pourquoi ce socialiste ne recommande pas un dispersement forcé de la population riche sur le territoire en plus d'une fusion forcée, question de vraiment s'attaquer au coeur du problème. 
  
          Un autre argument qui n'est pas évoqué publiquement mais qui entre sûrement dans les calculs du gouvernement péquiste est celui de la présence anglophone. L'une des réglementations les plus idiotes de la loi 101 au Québec prescrit que seules les municipalités comptant plus de 50% d'anglophones ont le droit d'offrir des services en anglais et d'ériger des affiches et panneaux dans les deux langues. La proportion d'anglophones dépasse 50% dans plusieurs des petites municipalités existantes du West Island, mais serait réduite de façon drastique dans une ville amalgamée. Si on ajoute à cette question de langue celle de la partition – plusieurs de ces municipalités ayant adopté des résolutions partitionnistes depuis le dernier référendum – on constate qu'une fusion aurait l'avantage non négligeable, pour nos nettoyeurs linguistiques, de submerger une fois pour toutes les anglophones dans une mer francophone et d'éliminer à toute fin pratique leur influence politique locale. 
  
Faux arguments 
 
           D'autres supporteurs du modèle « une île, une ville » offrent des arguments qui s'apparentent plus à la vision libérale classique, mais qui le font de manière simpliste et erronnée. Par exemple, le chef de l'ADQ Mario Dumont s'inspire de l'expérience torontoise – initiée par une de ses idoles, le premier ministre conservateur Mike Harris – pour prétendre qu'une fusion éliminerait un tas de bureaucraties coûteuses et rationaliserait la gestion municipale dans la région. La fusion torontoise est pourtant l'une des manoeuvres politiques les moins conservatrices et les moins libertariennes que Mike Harris laissera en héritage. Elle s'apparente bien plus aux instincts autoritaires d'un petit politicien de province qui ne comprend rien au fonctionnement d'une grande ville.      
  
          Le principe de subsidiarité, que M. Dumont appuie sur le plan de la structure politique fédérale du Canada, s'applique de la même façon au niveau des agglomérations urbaines et des régions. Le Canada serait-il mieux administré, de façon moins bureaucratique et moins coûteuse, si l'on abolissait les provinces pour tout centraliser à Ottawa? Évidemment que non. Les municipalités sont un niveau essentiel de gestion démocratique, le plus près du citoyen, le plus réceptif à ses besoins aussi à cause de cette proximité. 
  
          En créant une mégaville, on ne réduit pas le poids de la bureaucratie – on l'augmente! On crée des mégabudgets impossibles à comprendre pour le citoyen; des mégastructures labyrinthiques et décrochées de la réalité; des mégaconseillers municipaux qui ne sont plus redevables à leurs commettants; des mégaservices lourds et coûteux; et des mégamafias syndicales violentes et criminelles. Ce n'est pas un hasard si la Ville de Montréal a les taxes les plus élevées sur l'île, les services les moins efficaces, ni si deux dirigeants du syndicat des cols bleus sont en prison pour vandalisme, alors qu'un autre du syndicat des cols blancs est devant les tribunaux pour avoir tiré des coups de feu sur le chalet d'un administrateur de la Ville! 
  
Les bienfaits de la concurrence 
  
          Si Mario Dumont veut appliquer les principes de libre marché au débat sur l'avenir de Montréal, il devrait plutôt regarder du côté de la concurrence. La concurrence force les entreprises à offrir les meilleurs produits au plus bas prix, sinon le consommateur va acheter ailleurs; elles force de la même façon les États, provinces et municipalités à offrir les meilleurs services au plus bas niveau de taxation, sinon ces gouvernements risquent de perdre des contribuables au profit des territoires voisins. 
  
          Un habitant de la grande région de Montréal peut, s'il est insatisfait de la qualité de vie dans sa municipalité, déménager un peu plus loin. Les petites villes n'ont pas le choix d'être sensibles à cette pression. La Ville de Montréal, elle, est tellement grosse qu'elle peut se permettre une autre stratégie pour cacher sa mauvaise gestion, une stratégie typique de parasite: exercer des pressions sur le gouvernement provincial pour obtenir un « pacte fiscal » et faire payer les banlieues et le reste de la province. En créant une mégaville, on tuera ce qui reste de concurrence entre les municipalités de la région et on fera de Montréal une gigantesque siphonneuse de fonds pour alimenter son appétit bureaucratique. 
  
          Selon l'éditorialiste de La Presse Agnès Gruda, « la fusion (...) demeure la seule solution susceptible d'arracher la région métropolitaine à son marasme. » Faux! D'abord, la plupart des municipalités de banlieue sont bien administrées et prospères. C'est la Ville de Montréal qui est dans le marasme, pas la région. Une façon logique de la sortir de ce marasme serait de renverser le mouvement historique d'annexion des villes avoisinantes qui l'a fait grossir jusqu'à aujourd'hui, et de carrément la casser en quatre ou cinq plus petites villes. Celles-ci seraient alors forcées d'adopter les standards plus élevés de leurs voisines pour rester concurrentielles et cesseraient d'être un poids financier pour toute la région. C'est d'ailleurs ce que propose le maire de Dollard-des-Ormeaux Ed Jariszewski, qui demande avec à-propos: « C'est Montréal le cancer – pourquoi veut-on opérer les municipalités en santé? » 
  
          Enfin, une autre solution toujours à l'ordre du jour, pour quelque gouvernement de quelque taille que ce soit, est de privatiser des services, de cesser d'intervenir partout et de réduire la réglementation excessive et les taxes. Lorsque tout cela aura été fait, Montréal deviendra alors une véritable « mégacité », non pas au profit du jet-set, des politiciens et des employés municipaux, mais à celui de ses citoyens.  
 
 
 
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L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
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